ENQUÊTE BFMTV - Assa Traoré, au nom du frère

Ligne Rouge - Assa Traoré : au nom du frère - BFMTV
Ligne Rouge - Assa Traoré : au nom du frère - BFMTV

Elle est devenue la porte-parole de ceux qui dénoncent les violences policières. Depuis quatre ans, Assa Traoré a fait de la mort de son frère Adama le combat de sa vie. Connue pour ses discours virulents à l’égard des forces de l’ordre, elle mène une bataille judiciaire, politique et médiatique pour voir reconnaître la responsabilité des gendarmes dans le décès de ce jeune homme de 24 ans au cours d’une interpellation à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), en juillet 2016. À l’occasion des quatre ans de sa disparition, BFMTV revient dans un long format “Assa Traoré: au nom du frère”, diffusé ce vendredi, sur le parcours de cette militante, adulée par certains, haïe par d’autres.

“C’est notre deuxième maman”

Cette ancienne éducatrice de 35 ans a grandi dans le quartier populaire de Boyenval, à Beaumont-sur-Oise, avec 16 frères et soeurs. “C’est notre deuxième maman, elle s’occupait de nous quand on était petits. Elle nous faisait faire nos devoirs, elle nous faisait à manger, elle nous lavait”, raconte Youssouf, l’un d’entre eux. Son père, d’origine malienne, chef de chantier dans le bâtiment, épouse deux Françaises, avant un mariage polygame avec deux Maliennes. Assa Traoré a 14 ans quand son père, le pilier de la famille, décède. Elle évoque auprès de BFMTV “une famille très unie."

En 2007, elle obtient son diplôme d’éducatrice spécialisée et travaille pendant 12 ans auprès de jeunes en difficulté. Assa Traoré “a aidé des centaines de jeunes à Sarcelles. Elle était sérieuse, compétente, disponible, sur le terrain, efficace, tout le monde à l’époque louait son travail”, se rappelle François Pupponi, ancien maire PS de Sarcelles. À l’époque déjà, elle se souvient de rapports conflictuels avec les forces de l’ordre:

“A chaque fois qu’on croisait les gendarmes, la police, on avait cette angoisse, cette appréhension que ça pouvait mal se passer, parce qu’il y avait des contrôles à répétition. Ils rentrent dans le quartier, ils insultent, ils tutoient. Ou des gardes à vue pour rien”, raconte-t-elle.

Plusieurs frères délinquants

Plusieurs de ses frères tombent dans la délinquance. Quatre d’entre eux font de la prison ferme, notamment pour extorsion de fonds et trafic de stupéfiant. Mais Assa Traoré continue à les défendre bec et ongles: “Je l’ai vu comme une injustice, mes frères ne sont pas des personnes mauvaises.”

Le 19 juillet 2016, un autre de ses frères, Adama, prend la fuite au cours d’une interpellation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise). Après une course-poursuite avec les forces de l’ordre, le jeune homme meurt à la caserne de gendarmes de Persan. Il fêtait ce jour-là ses 24 ans. “On a dû pleurer un jour et après il fallait aller au front tout de suite. Il fallait se battre”, explique-t-elle à nos caméras. Un bras de fer judiciaire s’entame, avec une bataille d’expertises encore d’actualité.

En parallèle, Assa Traoré occupe le terrain et arrête de travailler pour s’occuper pleinement de sa cause. Cette mère de trois enfants multiplie les réunions dans les lycées, les facultés.

“Pendant quatre ans, Assa a été partout, dans tous les quartiers, dire le nom de son frère partout. Il y a une chose qu’elle ne voulait pas: que son frère ne soit personne, que le nom de son frère ne fasse pas de bruit”, explique à BFMTV Elsa Vigoureux, journaliste co-auteure de Lettre à Adama.

Starification

Pour mener ses actions, elle s’appuie sur un comité “La vérité pour Adama”, dans lequel se trouvent une quinzaine de bénévoles, dont des membres de la famille, des proches et des militants. Ils sont soutenus par des mouvements qui dénoncent ce qu’ils appellent un “racisme d’État”. Dans leurs réseaux se trouvent aussi des avocats, des entrepreneurs, des personnalités publiques. Grâce à des cagnottes et des dons, le comité finance la procédure judiciaire et de nombreuses actions, durant lesquelles est scandé leur slogan: “Pas de justice, pas de paix”.

A chacun de ses déplacements, Assa Traoré est accueillie comme une star. “C’est l’avenir pour les noirs, pour tous. C’est une source d’inspiration. Elle nous donne de la force et à côté d’elle on a envie de se battre. Elle doit rentrer dans l’Histoire, c’est obligatoire”, affirment deux jeunes femmes, à l’occasion d’un rassemblement pour la mémoire de Lamine Dieng, un Franco-Sénégalais mort après un plaquage ventral dans un véhicule de police en juin 2007 à Paris.

Après la mort de George Floyd lors d’une intervention de police à Minneapolis aux États-Unis, son mouvement connaît un essor inédit. Du Monde aux Inrockuptibles, Assa Traoré multiplie les une de magazines et devient aussi populaire outre-Atlantique, avec un prix reçu au BET Award pour son combat contre le racisme et les violences policières. Assa Traoré trouve aussi des relais dans le monde du spectacle, avec par exemple l’acteur Omar Sy ou le réalisateur Ladj Ly, qui mettent leur notoriété au service de sa cause. En juin, le comité “La Vérité pour Adama” réussit un tour de force en rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes devant le tribunal judiciaire parisien.

Menaces de mort

À chaque événement, la jeune femme est désormais protégée par deux gardes du corps et un service de sécurité d’une quinzaine de bénévoles qui assurent sa protection. Ses positions radicales à l’égard de la police lui valent des “menaces de mort par courrier” et des commentaires acerbes sur les réseaux sociaux. Pas de quoi effrayer la militante: “Plus on nous attaque, plus ça me rend forte”, clame-t-elle.

Son discours virulent ne plaît pas non plus dans les rangs des forces de l’ordre.

“Ce qui me dérange chez elle, c’est son discours. Elle est très haineuse envers l’institution et les fonctionnaires de police”, déplore Grégory Goupil, secrétaire national adjoint Alliance Ile-de-France.

Son mouvement dépasse désormais celui des violences policières et se retrouve dans de nombreux événements, des gilets jaunes aux militants écologistes d’Extinction Rebellion. Toutes les contestations sont une occasion pour évoquer la mort de son frère. Une pression qui semble porter ses fruits: cette semaine, les juges en charge de l’enquête ont ordonné de nouvelles investigations, ainsi qu’une nouvelle expertise médicale, cette fois réalisée en Belgique. Les conclusions sont attendues pour janvier 2021.

Article original publié sur BFMTV.com