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Enlèvement parental à l’étranger: ils se battent pour le retour de leurs enfants

Un rassemblement de parents dont l'enfant a été enlevé à l'étranger par l'ex-conjoint, devant le ministère de la Justice, le 14 octobre 2020. - Ambre Lepoivre
Un rassemblement de parents dont l'enfant a été enlevé à l'étranger par l'ex-conjoint, devant le ministère de la Justice, le 14 octobre 2020. - Ambre Lepoivre

"J’ai peur de ne jamais la retrouver." Cette crainte, tous les parents rassemblés ce mercredi devant le ministère de la Justice la partagent. La Chancellerie suit actuellement 318 dossiers d’enlèvements d’enfants à l’international, autant de familles qui se battent depuis des mois, parfois même des années, pour récupérer un enfant emmené à l’étranger par un parent. "Ils sont réunis pour faire valoir leurs droits et tenter de faire bouger les choses", explique à BFMTV.com Eileen Devouassoux, séparée de sa fille Alia depuis le 4 décembre 2016.

A un an et demi, sa petite fille a été conduite par son père - ancien compagnon d’Eileen Devouassoux - en Algérie, son pays d’origine.

"Il a demandé à la voir un dimanche. Je lui ai imposé un rendez-vous dans un lieu public car il avait déjà, par le passé, fait des 'mini-enlèvements'. Une première fois, il l’avait ramenée de lui-même, mais une autre fois, nos avocats avaient dû se rencontrer pour lui faire entendre raison", nous expose-t-elle.

"Sur le parking, il a réussi à bloquer ma voiture avec la sienne et a pris la petite", souffle Eileen Devouassoux à qui la garde exclusive d’Alia a pourtant été accordée par un juge. La jeune femme tente tout pour retrouver sa fille, mais il est déjà trop tard. Son ex-compagnon s’est envolé pour l’Algérie avec Alia: leurs passeports ont été enregistrés dans le pays le 8 décembre 2016, lui a appris l’ambassade. Mais l’homme refuse de dire exactement où ils se trouvent.

Des recours juridiques sans effet

S’engage alors un long combat judiciaire avec, dans un premier temps, un dépôt de plainte pour non-représentation d’enfant, un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.

"Il assure que ma fille est chez sa grand-mère en Algérie. Mais la police locale s’y est rendue et ne l’a pas trouvée. Je pense qu’elle se trouve chez une nouvelle petite amie de son père que j’ai tenté de contacter mais elle a bloqué mon numéro", rapporte la maman, démunie.

À chaque fois, Eileen se heurte à un mur. Trois fois, elle a pris l’avion vers l’Algérie, en vain. Elle a réussi à localiser l’école dans laquelle Alia a été inscrite, mais la famille de son ex-compagnon l’a déscolarisée. Jusqu’au jour où le père d’Alia rentre en France. Il est seul, sans l’enfant, mais la plainte déposée par Eileen Devouassoux permet aux autorités françaises de le repérer et de l’interpeller.

Le 26 novembre 2019, il est condamné à trois ans de prison pour enlèvement parental. Mais les espoirs d’Eileen de récupérer enfin son enfant s’envolent une nouvelle fois: l’homme se mure dans le silence. "La France a signalé à l’Algérie que ma fille devait être rapatriée mais ils ne font plus rien, alors que les tribunaux algériens aussi m’ont octroyé la garde exclusive. Au quai d’Orsay, les magistrats de liaison font des relances à l’Algérie mais ça n’a pas d’effet", se désole-t-elle.

"Il faut que ma fille soit rentrée avant qu’il sorte de prison sinon je ne la retrouverai jamais", angoisse Eileen qui n’a parlé à Alia que trois fois par visioconférence entre 2016 et 2019. Depuis, ses journées sont rythmées par un silence "insupportable" qui la "ronge".

"Je n’ai rien vu venir"

Un sentiment partagé par Thierry Guinot, dont les deux enfants, Maxime et Sophie, sont retenus par leur mère depuis le mois de juillet 2018. Cet été-là, la famille se rend en Arménie, le pays natal de la mère. A la moitié des vacances, Thierry doit rentrer en France pour le travail. Il laisse donc son épouse et leurs enfants profiter de la trêve estivale à Erevan, la capitale. Il ne les a plus jamais revus.

“Je n’ai rien vu venir", témoigne, abattu, celui qui se décrit comme un "papa poule".

Comme Eileen, Thierry met en branle la machine judiciaire: en mai 2019, le tribunal lui accorde la garde exclusive de Maxime et Sophie, mais son épouse fait appel et la décision est annulée. Il tente alors de faire appliquer la Convention de la Haye relative aux enlèvements internationaux d’enfants, dont l’Arménie est signataire.

Élaboré en 1980, ce texte - ratifié par 101 pays dont la France - "cherche à combattre l’enlèvement parental d’enfants en instaurant un système de coopération entre les Autorités centrales et une procédure rapide de retour de l’enfant dans son État de résidence habituelle. Les Autorités centrales de chaque État aident à localiser l’enfant et, dans la mesure du possible, à obtenir son retour volontaire ou une résolution amiable des problèmes". Mais les autorités locales ne daignent pas appliquer les décisions françaises et la convention demeure inefficace.

Juridiquement, l’affaire reste donc au point mort. Les relations familiales, en revanche, se détériorent rapidement. "Quand ils ont su que j’entamais des poursuites, ils m’ont envoyé des menaces de mort", rapporte Thierry Guinot, pas intimidé pour autant. Il saisit un juge arménien qui le déboute, estimant que les enfants doivent rester en Arménie avec leur mère. Une décision dont Thierry Guinot fait appel avant de déposer plainte en France contre son épouse, dont il est aujourd’hui divorcé.

"Je ne vis plus"

Ce blocage de la justice, Thierry Guinot ne se l’explique pas, estimant avoir mis toutes les chances de son côté: "J’ai deux avocats en France, un en Arménie. Mon dossier est béton, on a pu prouver que tout ce qu’avançait mon ex-femme était faux." Elle aurait expliqué à la justice avoir quitté la France pour éloigner les enfants de leur père dont ils avaient peur.

"Mes avocats ont diligenté une enquête sociale qui a démontré que je n’ai jamais été violent avec eux et qu’au contraire, j’étais beaucoup plus présent que leur mère. D’ailleurs dans une interview dans un média arménien, elle justifie son départ de France en disant qu’elle ne supportait plus le pays."

"La France n’est pas devenue mon pays. La mentalité est totalement différente, l’humanité est au niveau zéro", dit-elle dans cet article. Aujourd’hui, Thierry Guinot redouble d’inquiétude alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont entrés en conflit armé autour du Nagorny Karabakh, une région azerbaïdjanaise séparatiste en majorité peuplé d'Arméniens.

"Je ne vis plus. Toute la famille est inquiète. J’ai écrit à mon ex-femme pour la supplier de revenir en France avec les enfants à la maison. Je lui ai même dit que j’étais prêt à tout oublier pour reprendre à zéro. Pour moi, ce qui importe, c’est la sécurité de Sophie et Maxime", se désespère-t-il. Il en appelle aux plus hautes autorités de l’État pour faire rapatrier ses enfants: "C’est une urgence vitale."

L’inquiétude, les insomnies, le cours de la vie chamboulé, sont autant de points communs que l’on retrouve chez les parents dont les enfants font l’objet d’un déplacement illicite. A cela s’ajoutent les longues années d'affrontement juridique, parfois ponctuées de graves accusations. Après s’être séparé de son épouse avec qui il a eu trois enfants - Abigaïl, Luca et Daphné - Alexandre F. a dû se défendre des charges pesant contre lui: Anna, son ex-femme, l’a accusé d’avoir abusé de leur ainée. "En 2013, les problèmes ont commencé", nous raconte-t-il.

Course-poursuite à travers l’Europe

Soumis à une enquête sociale, Alexandre F. est contraint de voir ses enfants durant un temps restreint et sous supervision de travailleurs sociaux. Neuf examens gynécologiques sont réalisés sur Abigaïl et tous se révèlent négatifs, écartant ainsi les accusations tenues par la mère. A Toulon puis Londres, Anna - partie avec les trois enfants - lance une nouvelle procédure similaire imposant à Alexandre F. d’apporter, à chaque fois, la preuve de son innocence. En parallèle, lui dépose 17 plaintes pour "non-représentation d’enfant", dont une débouchera sur une condamnation de son ex-épouse.

En 2015, à Londres, il obtient la garde exclusive des enfants: "Le juge a compris que mon ex-femme est une manipulatrice."

"J’ai eu un appel de l’école. Ma fille avait reconnu que sa mère lui avait demandé de mentir sur les agressions. Je suis allé les chercher à la sortie de l’école, ça faisait un an et demi que je ne les avais pas vu, ils m’ont sauté dans les bras, c’était très émouvant", se souvient-il.

Le père de famille rentre en France en 2017 avec ses enfants. Qu’à cela ne tienne, Anna fait de même et multiplie les demandes de garde partagée devant les juges. Dans la marine marchande, Alexandre F. est muté au début de l’année 2020 à Tahiti.

“Les enfants étaient très excités. Abigaïl avait prévu de tenir un blog pour raconter le voyage. Elle rêvait de nager avec des raies." Lors du dernier week-end de garde avant le départ pour le Pacifique, il reçoit un message: "J’ai pris les enfants, nous partons en vacances, je ne te les ramènerai pas." Un nouveau coup de massue pour le père de famille.

Le parquet de Toulon ouvre une enquête, trace le téléphone portable et récupère les relevés bancaires: Anna est localisée à près de 2000 kilomètres de la France, à Copenhague. Alexandre n’a d’autres choix que de se relancer dans une nouvelle procédure, cette fois avec le Danemark.

Retour inespéré

"Si je ne dors pas, ce n’est pas à cause du décalage horaire, c’est invivable comme situation, c’est interminable. Mes espoirs se sont effondrés, et moi aussi", souffle-t-il.

Lors de multiples audiences devant la justice danoise et française, les enfants expriment leur désir de retourner chez leur père. Mais ils évoquent aussi un homme violent, qu’aucune expertise - médicale et psychologique - ne permet d’attester.

La justice française tranche finalement pour un retour à Tahiti, en imposant une enquête sociale d’un an. Abigaïl, Luca et Daphné, sont depuis retournés en Polynésie Française, où ils ont repris l’école la semaine dernière. La mère, elle, a été assignée à résidence en France, avec un contrôle judiciaire. Elle sera jugée en février prochain pour enlèvement parental.

Au total, le père de famille a déboursé près de 100.000 euros de frais de procédure. "Si vous n’avez pas d’argent, vous êtes obligé d’abandonner vos enfants", déplore-t-il, avant d’ajouter: "Est-ce que je recommencerai tout ça? Pour eux, oui."

Article original publié sur BFMTV.com