Pour les enfants d’immigrés, santé mentale et thérapie sont souvent des sujets tabous en famille

« Mes parents ne parlent pas de leurs ressentis, et nous reproduisons leurs comportements », confie Christelle Hari, 27 ans.
FatCamera / Getty Images « Mes parents ne parlent pas de leurs ressentis, et nous reproduisons leurs comportements », confie Christelle Hari, 27 ans.

SANTÉ MENTALE - « La thérapie, c’est pour les fous. » Si la santé mentale occupe de plus en plus d’espace dans le débat public, comme l’ont prouvé les récentes prises de parole de plusieurs athlètes olympiques, le sujet reste parfois très compliqué à aborder au sein du cercle familial. C’est souvent le cas des familles immigrées, chez qui les traumatismes de la migration se transmettent de génération en génération. Mélanie Vijayaratnam, psychologue spécialisée dans les questions de psychologie transculturelle, aide les familles à s’ouvrir à ce sujet.

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Invisible à l’œil nu et donc très abstraite, la santé mentale est un tabou universel, selon Mélanie Vijayaratnam. D’origine sri-lankaise et elle aussi issue de l’immigration, la psychologue est spécialisée dans l’accompagnement des familles sud asiatiques en France.

Si certaines normes culturelles influencent effectivement notre manière d’aborder la santé mentale, Mélanie Vijayaratnam pointe d’abord du doigt le bouleversement essentiel que représente l’expérience migratoire des parents. Pour les personnes qui ont quitté leurs pays d’origine dans l’espoir d’une vie meilleure en France, le pays d’adoption est vu comme un « eldorado » par le reste de la famille restée au pays. Alors, la pression du succès est élevée pour ces immigrés de première génération qui ont le sentiment de ne pas avoir le droit de se plaindre, raconte la psychologue.

« Un bon travail, une belle maison, de bonnes études »

La réussite matérielle est un élément essentiel dans l’expérience migratoire des parents. « Leur propre famille attend d’eux qu’ils trouvent un bon travail, une belle maison, et que leurs enfants fassent des bonnes études », illustre-t-elle. Des attentes concrètes qui ne laissent aucune place à la vulnérabilité ou à la souffrance psychologique qu’implique la migration. « On vous demande s’il fait beau, si vous avez bien mangé. Personne ne vous demande comment vous allez. »

Cette invisibilisation des émotions crée une véritable fracture entre les parents immigrés et leurs enfants nés en France, car ces derniers ont souvent une sécurité matérielle qui laisse plus de place à l’introspection. « Les enfants veulent aussi être satisfaits émotionnellement, par exemple en cherchant l’épanouissement au travail. » Un concept qui n’existe pas pour beaucoup de parents, précise la psychologue.

Ce décalage, Christelle Hari l’a connu toute sa vie. Si elle est née et a grandi en France, les parents de la jeune femme de 27 ans ont tous deux immigré depuis l’Inde dans leur jeunesse. « Ils ne parlent pas de leurs ressentis, et nous reproduisons leurs comportements », déplore-t-elle.

Alors, en partant de chez ses parents à 24 ans, Christelle Hari, aujourd’hui auditrice en banque, a décidé de briser les tabous sur la santé mentale. C’est ainsi qu’est née @talktabou.media, une page Instagram dédiée à la communauté sud asiatique qu’elle a créée pour donner la parole à tous ceux qui n’osent pas parler. Une initiative importante pour la jeune femme qui dit avoir subi de nombreux traumatismes au sein de sa famille et avoir notamment été victime d’inceste.

« Je me suis plongée dans les études pour ignorer mes traumatismes, sans me rendre compte que je les accumulais. » Ce n’est qu’à 21 ans que Christelle décide d’en parler, après un échec scolaire en première année de fac qui a été une prise de conscience.

« Il suffisait d’aller se promener pour faire passer la dépression »

« J’ai fini par exploser, et j’ai tout dit à ma mère. » Mais face à cette à révélation, Christelle Hari évoque la minimisation de son traumatisme. « Elle m’a dit qu’elle comprenait, mais rien n’a changé. » Si l’inceste est un tabou universel, la jeune femme attribue aussi le comportement de sa mère à l’accent mis sur la notion de « dignité » dans sa famille. « Il faut toujours montrer son meilleur visage et n’afficher que la réussite. »

Le véritable « électrochoc », qui a permis de casser tous les tabous familiaux sur la santé mentale, est le divorce de ses parents. Cet évènement a poussé Christelle Hari à aller voir une psychologue, une première dans sa famille. Pourtant, l’aide professionnelle est loin d’avoir été une solution magique pour la jeune femme. Après une enfance passée à réprimer ses émotions « pour avancer », celle-ci a beaucoup de mal à se confier face à sa psy. « Ça a peut-être trop été décrédibilisé pendant mon enfance pour que j’y croie. Dans ma famille, il suffisait d’aller se promener pour ‘faire passer la dépression’ », admet-elle.

Les enfants peuvent briser ce cercle vicieux avec leurs parents

Ce divorce a aussi été un déclic pour Christelle Hari, qui a pris conscience des démons que sa mère combattait depuis de longues années. « Elle semblait toujours épuisée, les yeux cernés et la peau fatiguée, et elle était toujours très irritable », se rappelle la jeune femme. Mais maintenant, c’est « tout le contraire », se réjouit-elle.

S’il a fallu un bouleversement pour mettre sur la table le sujet de la santé mentale, Christelle Hari est soulagée de pouvoir aujourd’hui très librement aborder ces thèmes avec sa famille. « J’ai même pu évoquer avec ma mère l’idée qu’elle aille consulter un professionnel. »

Une phrase qui veut dire beaucoup pour Mélanie Vijayaratnam, car la psychologue accueille souvent dans son cabinet des parents qui se disent « envoyés par leurs enfants ». Un échange intergénérationnel que salue la psychologue, car il permet de briser un cercle vicieux. « J’ai besoin des enfants pour aider les parents à dépasser leurs préjugés. » Au-delà de l’idée que l’aide professionnelle est réservée aux personnes atteintes de pathologies, c’est aussi le jugement des autres qui effraie beaucoup certains parents. « C’est impensable pour eux d’aller parler de leurs problèmes personnels à quelqu’un d’autre. »

Mais une fois que le premier pas est fait, qu’ils se rendent compte que la psychologue « n’est pas une tante ou une voisine », de nombreux parents avouent avoir eux-mêmes souvent réfléchi à leur santé mentale. « Le concept de santé mentale existe bel et bien dans ces familles, il est juste invisibilisé », insiste Mélanie Vijayaratnam.

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