En Gambie, Yahya Jammeh face à l'ultimatum de ses pairs

par Tim Cocks BANJUL (Reuters) - Deux dirigeants de pays membres de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) sont arrivés vendredi en Gambie pour une mission de la dernière chance visant à convaincre Yahya Jammeh de quitter pacifiquement le pouvoir. Des troupes de la Cédéao, conduites par le Sénégal et le Nigeria, sont entrées jeudi en territoire gambien à la demande du nouveau président, Adama Barrow, qui a été investi non dans son pays mais à l'ambassade de Gambie à Dakar. La Cédéao a donné à Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 1994, jusqu'à vendredi midi pour quitter ses fonctions après sa défaite lors de l'élection présidentielle du 1er décembre. Le président sortant a demandé de repousser ce délai de quatre heures, a-t-on appris de sources gouvernementales, peu après l'arrivée à Banjul, la capitale, du président de Guinée, Alpha Condé, et de Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz. Le chef de la commission de la Cédéao, Marcel de Souza, a souligné que l'ultimatum adressé à Yahya Jammeh était clair et qu'on lui avait offert d'aller en Guinée avant de choisir un pays d'exil. "Il est hors de question qu'il demeure en fonction", a insisté Marcel de Souza. Le sort de Yahya Jammeh ferait en fait débat, dit-on de source diplomatique. Ses partisans assurent qu'il pourra rester dans le pays et vivre dans sa résidence fortifiée de Kanilai, à juste un kilomètre de la frontière sénégalaise. Le Sénégal, en revanche, dit-on, insiste pour qu'il aille en exil. Banjul était calme vendredi. Des centaines de Gambiens ont fêté jeudi dans la liesse l'investiture d'Amada Barrow et salué l'entrée de troupes sénégalaises et nigérianes. LES CIVILS FUIENT LE PAYS Mais le blocage de la situation et les menaces d'intervention militaire ont effrayé nombre d'habitants. Environ 45.000 personnes, surtout des enfants, ont fui la Gambie à destination du Sénégal depuis le 1er janvier, a dit vendredi le Haut commissariat de l'Onu pour les réfugiés. "Les prochains jours vont être déterminants et d'autres personnes pourraient quitter le pays si la situation actuelle ne trouve pas rapidement une solution pacifique", dit le HCR dans un communiqué émis à Genève. Dans un premier temps, Yahya Jammeh avait reconnu sa défaite face à Adama Barrow avant de se raviser et de contester la régularité des résultats de l'élection présidentielle. Plusieurs ministres ont démissionné, isolant le président sortant. Jeudi soir, le chef de l'armée gambienne, le général Ousman Badjie, qui a publiquement soutenu Yahya Jammeh, est apparu souriant dans les rues de la capitale. L'intervention militaire, dite "Opération restauration de la démocratie", implique 7.000 soldats venus du Sénégal, du Nigeria, du Ghana, du Togo et du Mali. Des troupes avaient déjà pénétré en Gambie par le sud-est, le sud-ouest et le nord quand l'ordre de s'arrêter leur a été donné. A New York, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé jeudi à l'unanimité une résolution présentée par le Sénégal appuyant les efforts de la Cédéao pour faire respecter la volonté du peuple gambien. Le texte insiste sur le recours à des moyens politiques. A Washington, le département d'Etat américain est allé plus loin en exprimant son soutien à une intervention militaire, soulignant l'importance "de stabiliser une situation tendue". (Avec Emma Farge et Diadié Ba à Dakar, Pierre Sérisier et Gilles Trequesser pour le service français, édité par Tangi Salaün)