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En Centrafrique, les musulmans de Boda en état de siège

par Emmanuel Braun BODA Centrafrique (Reuters) - Avant que la guerre n'éclate en Centrafrique, les ponts de bois branlants qui se trouvent aux deux extrémités de la route principale de Boda, dans l'ouest du pays, servaient de points de passage vers les commerces et le marché de la ville. Aujourd'hui, ils tiennent lieu de frontières pour les musulmans: d'un côté la vie, de l'autre la mort. Car la population musulmane de cette ville minière, qui vit d'ordinaire de l'extraction du diamant, se trouve encerclée par les miliciens "anti-balaka", décidés à chasser les musulmans du pays. "Nous vivons en prison", raconte Adou Koné. "Tout est fermé, rien ne peut entrer. Ça revient très cher d'acheter de la nourriture. Nos vies sont menacées." Boda, à 115 km environ à l'ouest de la capitale, Bangui, offre une illustration parfaite du chaos qui règne en Centrafrique depuis que le pays a basculé après le renversement de François Bozizé, en mars 2013. Brutalement, l'arrivée au pouvoir des rebelles de la Séléka, majoritairement musulmans, a mis fin à la coexistence pacifique entre chrétiens et musulmans. Et certains craignent que l'ancienne colonie française ne devienne le théâtre d'un génocide. "Nous sommes prêts à attendre dix ans pour qu'ils partent. Et s'ils ne partent pas, nous resterons ici et nous tiendrons nos positions", prévient le capitaine Dopani Firmin, chef des "anti-balaka" de Boda, maillot rouge du Paris Saint-Germain sur les épaules. "Nous ne pouvons accepter de vivre aux côtés des musulmans sur le long terme", poursuit-il. "C'est notre droit de tuer les musulmans." "NOUS VOULONS QU'ILS PARTENT" Dans le quartier musulman, on peut voir des drapeaux français aux fenêtres et même une banderole remerciant les troupes de l'opération Sangaris sans lesquelles, croit-on ici, le sort des musulmans aurait pu être bien pire. Mais, de fait, le déploiement des 2.000 soldats français, pas plus que celui des 6.000 hommes de la Misca, la force africaine, n'ont réussi à véritablement apaiser la situation. Le 10 avril, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé à l'unanimité le déploiement d'une force de maintien de la paix de près de 12.000 casques bleus mais, en attendant, le siège de Boda continue à faire des victimes. "Je suis allé rendre visite aux enfants qui souffrent de malnutrition, notamment de malnutrition sévère, et nous en avons trouvé beaucoup, plus de 200 ou 300", explique Adam Moussa, qui travaille dans le secteur de la santé. Adam Moussa raconte que quatre personnes mouraient de faim par jour il y a encore quelques semaines. Depuis l'arrivée d'une aide du Programme alimentaire mondial des Nations unies, cette moyenne est tombée à un décès tous les deux jours. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'Onu (OCHA), plus de la moitié des 4,5 millions d'habitants de Centrafrique ont besoin d'une aide mais, en l'état actuel des choses, moins de 30% de l'argent nécessaire est disponible. A défaut de restaurer le calme, les troupes françaises et africaines escortent les musulmans, principalement en direction du Tchad voisin. "Si les musulmans veulent partir, la Misca et Sangaris peuvent les escorter. Il n'y a pas de problème, nous n'allons pas les tuer", promet Simbonda Guy Copain, un porte-parole de la communauté chrétienne de Boda. "Tout ce que nous voulons, c'est qu'ils partent", ajoute-t-il. "Leur présence gêne dans la ville. Nous ne pouvons pas aller à la mine, nous ne pouvons pas travailler, nos enfants ne vont pas à l'école. Vous voyez, ça nous fait du mal." (Simon Carraud pour le service français; édité par Henri-Pierre André et Tangi Salaün)