Emmanuel Macron peut-il convaincre le pape François de venir en France?

Emmanuel Macron et le pape François lors de leur première rencontre en juin 2018. (Photo: Alessandra Tarantino via AP)
Emmanuel Macron et le pape François lors de leur première rencontre en juin 2018. (Photo: Alessandra Tarantino via AP)

RELIGION - Emmanuel Macron est reçu ce vendredi 26 novembre pour la deuxième fois par le pape François, seulement quelques semaines après la rencontre de ce dernier avec Jean Castex. Mais contrairement aux souverains pontifes avant lui, le pape François ne s’est jamais rendu France.

Christophe Dickès, historien de la papauté et auteur du livre Saint Pierre : Le mystère et l’évidence (Perrin, 2021), explique au Huffpost que le pape François n’est pas autant attaché à l’Europe que ses prédécesseurs et ne fait pas de la France une priorité.

Le pape François siège au Vatican depuis 2013, pourtant, il ne s’est jamais rendu en France. Comment l’expliquer?

Le problème n’est pas la France. En fait, il n’est allé dans aucun grand pays européen, que ce soit l’Allemagne, l’Espagne, l’Angleterre... Il est allé en Pologne en 2016, mais uniquement parce que les JMJ (Journées mondiales de la jeunesse où les jeunes catholiques se rencontrent, NDLR) s’y tenaient. Il est allé au Portugal en 2017, mais ce voyage relevait de l’exception.

Comment expliquer qu’il ne donne pas d’importance aux puissances européennes ?

François n’est pas un pape européen, donc aller dans les grands pays du continent n’est pas sa priorité comme ce le fut pour Benoît XVI originaire d’Allemagne (qui a renoncé en 2013, NDLR), ou Jean-Paul II, né en Pologne.

François, qui vient d’Argentine, privilégie les pays de la “périphérie”. Il a aussi visité des petits pays de l’Amérique latine (Bolivie, Équateur...). En Europe, il a par exemple voyagé en Albanie. En fait, il préfère visiter de petits pays en marge de l’économie mondiale, des flux internationaux.

Il existe un réel décalage culturel entre le pape et l’Europe.Christophe Dickès, historien

Le choix de son nom illustre cette politique : en reprenant le nom de François d’Assise, le “povorello”, il montre sa proximité avec la pauvreté et les démunis. Le pape veut donc donner la voix à ceux qui vivent dans la détresse ou sont dans le besoin. La création d’un dicastère (équivalent d’un ministre, NDLR) pour le développement humain intégral et qui s’occupe justement de ces questions migratoires ou de la pauvreté, est une illustration de ces choix politiques.

Enfin, il me semble important de souligner qu’il existe un réel décalage culturel entre le pape et l’Europe. Le pape ne comprend pas cette Europe et son évolution.

Pourquoi?

Il la considère comme une veille dame, affaiblie, qui n’a pas remplie toutes ses promesses. Il ne comprend pas cette Europe anciennement chrétienne qui cède aujourd’hui à une culture occidentale qu’il n’accepte pas: le relativisme (remettre en cause la vérité délivrée par Dieu, NDLR), l’hédonisme (la recherche permanente du plaisir, NDLR), l’individualisme.

Le pape Bergoglio possède aussi une perception assez binaire de la société dans la tradition sociale de l’Amérique latine. La classe moyenne est ainsi totalement absente de sa vision et de ses discours. Il s’adresse simplement aux riches en leur rappelant leurs responsabilités et aux pauvres afin de les défendre.

Il est tout de même allé à Strasbourg, en 2014, pour visiter les institutions européennes. Il n’est donc pas contre l’Europe?

Oui, il soutient l’Europe, et visiter les institutions (Parlement européen, Conseil de l’Europe) constitue un minimum lorsqu’on est pape. On ne peut pas en faire l’impasse. François a aussi visité les institutions européennes parce qu’il observe le renouveau des nations voire des nationalismes. Il soutient sans ambiguïté le lien entre Européens en défendant une vision politique supranationale.

Son lien avec la France est-il très différent de ses prédécesseurs?

Benoît XVI est très proche de la France intellectuellement. Il est membre étranger de l’Académie des Sciences morales et politiques. Son passage dans notre pays et notamment son fameux discours aux Bernardins constituent un des moments les plus essentiels du pontificat. Quant à Jean-Paul II, il a visité à huit reprises la France!

La France et sa langue sont aussi normalement très présentes au Saint-Siège. Tous les papes parlaient français, à l’exception de Pie X (pape de 1903 à 1914, NDLR) et… de François. D’ailleurs, le français était la langue de la diplomatie pontificale mais depuis 2014, l’anglais l’a supplanté avec l’arrivée du britannique Mgr Gallagher à la tête de la Secrétairerie pour les relations avec les États, qui est l’équivalent de notre ministère des Affaires étrangères. La France est beaucoup moins présente dans les structures du Vatican et du Saint-Siège qu’elle ne l’a été au XXe siècle.

Une visite en France ne serait-elle pourtant pas un moyen de resserrer les liens, notamment avec les catholiques?

En réalité, il y a un décalage entre les catholiques français et ce pape. Le catholicisme identitaire se développe en France, nombre de croyants n’adhèrent pas à ce que dit le pape sur les migrants ou même sur l’écologie. Les catholiques occidentaux s’inquiètent de la déchristianisation mais aussi de l’anticléricalisme latent dans notre société contemporaine, ils veulent qu’on leur parle de Dieu, pas de l’écologie.

Le catholicisme identitaire se développe en France et nombre de croyants n’adhèrent pas à ce que dit le pape sur les migrants ou même sur l’écologie.Christophe Dickès, historien

Ils se sentent plus proche du message théologique d’un Benoît XVI, message tourné vers Dieu, que de la dimension très politique et sociale du pape François.

Peut-on tout de même envisager une visite de François en France dans le futur?

Emmanuel Macron va probablement relancer l’invitation car il s’entend bien avec le pape, ils sont tous les deux proches du philosophe Paul Ricoeur, c’est un de leurs points communs. Le président de la République préfère d’ailleurs parler au pape plutôt qu’aux évêques.

Mais personnellement, je ne crois pas à une visite en France. S’il vient, il devra ensuite aller en Allemagne, en Espagne, en Autriche. Or à son âge (84 ans, NDLR), je ne pense pas qu’il sera capable t’entamer un tel périple. Ou alors, ce sera une visite complètement décalée et différente de ses prédécesseurs. Il a par exemple failli venir à Marseille à la Toussaint.

De plus, le pape ne se déplace pas dans un pays qui entre dans une période électorale comme les élections présidentielles et législatives. En revanche, cela ne va pas l’empêcher d’agir voire de se prononcer sur le sujet, comme il l’a fait pour son propre pays.

Mais en fait, il y a des relents de fin de pontificat. L’ambiance est très lourde au Vatican. Les cardinaux se mettent en retrait, ne donnent plus leur avis, ils semblent attendre le prochain conclave. Je pense que François attend la mort de Benoît XVI avant de se retirer dans son pays. Étonnamment, François a gardé son passeport argentin, alors qu’en devenant pape, le Saint Père prend la nationalité vaticane. Tout un symbole…

La réouverture de Notre-Dame-de-Paris en 2024 ne pourrait-elle peut-être pas inciter le pape François à venir?

Ce serait une belle occasion et un symbole extrêmement fort. C’est une possibilité et un événement particulier même si le protocole va devoir clairement poser la limite entre d’une part l’événement “culturel” que cela représente et la dimension religieuse du moment. On imagine en effet qu’une telle inauguration donnera lieu à une célébration liturgique.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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