Éducation sexuelle à l'école : qu'est-ce que la "théorie du genre", au cœur d'un imbroglio gouvernemental ?

La ministre de l'Education Anne Genetet a dû rappeler ce jeudi que "la théorie du genre n'existe pas", après des propos tenus au Sénat par son ministre délégué à la Réussite scolaire.

La ministre de l'Education Anne Genetet a dû recadrer son ministre délégué après que celui-ci a évoqué la "théorie du genre". (Photo : Bertrand GUAY / AFP)

Un élément de langage qui crée la discorde au sein du gouvernement. Alors que le ministère de l'Education nationale planche actuellement sur le nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité qui doit être présenté aux syndicats étudiants à la mi-décembre, un couac de communication est survenu entre la ministre Anne Genetet et son ministre délégué à la réussite scolaire et à l'enseignement professionnel, Alexandre Portier.

Interrogé mercredi 27 novembre au Sénat sur le contenu de ce fameux programme, ce dernier a notamment déclaré : "Je m'engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles, parce qu'elle ne devrait pas y avoir sa place". Des propos qui ont poussé la ministre de l'Education à opérer un recadrage ce jeudi, à l'occasion d'un déplacement à Marcq-en-Barœul (Nord). "La théorie du genre n'existe pas, elle n'existe pas non plus dans le programme", a ainsi rappelé Anne Genetet.

L'emploi de l'expression "théorie du genre" est en effet embarrassant pour le gouvernement, ce terme étant d'ordinaire principalement utilisé par des mouvements conservateurs, parfois religieux fondamentalistes, pour désigner de manière péjorative "des études et enseignements ouvrant à une perception nuancée des différences entre les sexes", selon l'AFP.

Comme l'explique un article du magazine scientifique Epsiloon, l'expression "théorie du genre" est ainsi apparue "pour la première fois en France sous la plume du prêtre Tony Anatrella dans un discours écrit à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse, en 2003, où il dénonce une 'nouvelle idéologie' diffusée par l’ONU et le Parlement européen 'afin d’obliger les pays à modifier leur législation et reconnaître, par exemple, l’union homosexuelle ou l’homoparentalité par l’adoption d’enfants'".

Cette analyse pour le moins complotiste s'est ensuite diffusée dans les milieux réactionnaires et a pris une certaine ampleur, au point d'émerger dans le débat public en 2013, au moment de la Manif pour tous. Le mouvement social contre le mariage de personnes du même sexe a ainsi fait de la lutte contre la "théorie du genre" l'un de ses principaux chevaux de bataille.

"Les partisans de la théorie du genre avancent masqués, soutenait à l'époque l'un des porte-paroles de la Manif pour tous, cité par Le Figaro. Ils présentent leurs thèses d'une façon généreuse, comme un progrès sociétal, mais cela se fera au détriment des enfants. On ne peut pas nier la dimension biologique d'une personne. C'est une erreur de dire que tout est inné, mais c'est également grave de dire que tout est acquis !"

Confrontée à une vague de désinformation sur le sujet, la ministre de l'Education de l'époque, Najat Vallaud-Belkacem, avait alors tenté de couper court à la polémique en affirmant que "la 'théorie du genre', ça n’existe pas, je ne l’ai jamais rencontrée. Ce qui existe en revanche ce sont les études du genre dans plein de champs disciplinaires. Vous avez des chercheurs qui s’intéressent à la façon dont la société organise les inégalités entre hommes et femmes."

De fait, si, comme le rappelle Epsiloon, on ne trouve "nulle trace" du terme "théorie du genre" dans la littérature scientifique, l'expression est très souvent employée, dans le discours réactionnaire, en référence au courant bien réel des "gender studies" ("études de genre" en VF). Ce terme désigne, selon Le Nouvel Obs, "une approche interdisciplinaire des sciences humaines, qui rassemble des domaines de recherche aussi divers que la sociologie, l’histoire, la linguistique, la médecine, l’architecture, la philosophie, la psychologie ou la science politique".

Comme le précise le psychologue Pascal Huguet, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le principe de ces "gender studies", qui ont débuté dans les universités américaines au cours des années 1970 et qui ont ensuite été développées sur tous les autres continents, est d'opérer "une distinction entre 'sexe biologique' et 'genre'".

"Le genre est un concept issu des sciences humaines et sociales pour affirmer l'importance de l'environnement social et culturel dans la construction de l'identité sexuelle de chacun, décrit le chercheur dans un article publié par le HuffPost. En effet, au moment de l'enfance nous ne faisons pas qu'apprendre notre appartenance à l'un des deux sexes. Nous intégrons aussi—souvent de manière implicite—les valeurs et les rôles sociaux associés par les adultes à cette appartenance."

"En gros et pour faire vite : je 'joue aux petites voitures et non à la poupée' parce que je suis un garçon. Je 'joue à la poupée et non aux petites voitures' parce que je suis une fille, poursuit Pascal Huguet. Construites très tôt au cours du développement mental, de telles associations conduisent à la fois à une identité sexuelle (perception d'être soi-même de genre masculin ou féminin) et à des 'rôles de genre' qui contrairement au sexe biologique sont socialement et culturellement construits."

"De ce fait, conclut le docteur en psychologie, les rôles de genre et l'identité sexuelle (ou identité de genre) permettent à l'âge adulte la reproduction de certaines inégalités inscrites de longue date entre hommes et femmes, aujourd'hui encore en matière par exemple de salaire, d'accès à certaines professions et à certains statuts."

Loin d'être une "idéologie", le genre est donc avant tout un concept scientifique, qui "permet aux chercheurs d’étudier divers phénomènes sociaux, et à tout le monde de mieux comprendre comment s’articulent notamment les identités d’homme et de femme", souligne Le Nouvel Obs. Plutôt que de définir un projet de société, comme le fantasment les milieux réactionnaires, il est donc avant tout un moyen de s'interroger sur le réel.

"La question du genre a longtemps été cantonnée à la psychiatrie, aux questions transgenres et à l’identité de genre, rappelle Arnaud Alessandrin, sociologue à l’université de Bordeaux, cité par Epsiloon. Mais l’usage et la pertinence de cette catégorie s’étendent désormais à des domaines bien plus variés. Le genre est devenu un outil d’analyse : il permet d’aller au-delà du biologique, de questionner des acquis culturels et sociaux à l’origine de représentations sociales liées à un sexe donné."

Ainsi, comme l'indique Pascal Huguet et contrairement à ce qu'affirment les pourfendeurs de la prétendue "théorie du genre", "il ne s'agit pas de nier les différences biologiques entre hommes et femmes, mais de dévoiler l'origine éminemment sociale et donc le caractère en réalité arbitraire de l'inégalité des sexes dans de multiples domaines".

Focalisant le débat sur la question biologique, le discours réactionnaire évacue donc toute la portée sociale du concept de genre en le réduisant à une idéologie, une vision du monde par rapport à laquelle il faudrait se positionner en tant qu'individu. "Parler de 'théorie du genre' permet de supposer que le genre n’est pas vrai, résume Le Nouvel Obs. Or en tant que concept, le genre peut être plus ou moins pertinent ou utile, mais pas vrai ou faux."