Éducation nationale : "Je suis inquiet pour la jeunesse, l’école républicaine est en train de tomber en ruine"
L’ancien enseignant William Lafleur, alias Monsieur Le Prof, a récemment sorti un ouvrage dans lequel il dresse un état des lieux inquiétant de l’éducation nationale. Pour Yahoo, il a accepté de revenir sur ces années d’enseignement, déplorant la dégradation des conditions de travail et le manque de moyens alloués à la profession
Il a jeté l’éponge. Après 12 années à enseigner l’anglais, William Lafleur, plus connu sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme Monsieur le prof, a décidé de claquer la porte de l’Éducation nationale. Auteur de l’ouvrage “L’ex plus beau métier du monde” (ed. Flammarion), il a accepté pour Yahoo de se livrer sur les raisons de son départ, revenant notamment sur les multiples désillusions qui ont marqué sa carrière. Conditions de travail, réformes, solitude, salaire, manque de considération, il n’a manqué aucun sujet.
Comme il le raconte, ses débuts en tant que professeur ont été compliqués. Après s’être inscrit en master MEF (Métiers de l’Enseignement et de la Formation), le jeune homme s’est lancé dans la quête du CAPES (certificat d'aptitude au professorat du second degré) afin de devenir professeur certifié. Une formation “qui ne préparait pas du tout au métier en lui-même”, a-t-il déploré. Jeté dans le grand bain, il a dû apprendre seul sans pouvoir compter sur l’Éducation nationale. “On me donnait des formations après mes besoins. Par exemple, deux semaines après la rentrée, je recevais une formation sur la manière de créer mon premier cours. Deux mois après, j’en recevais une sur la façon de gérer mon conseil de classe. Pas de chance, il était déjà passé”.
Pour lui, ce manque d’accompagnement ne l’a pas aidé dans les premières années de sa carrière. “Je ne pense pas que j’ai été un excellent professeur la première année, ni la deuxième ni la troisième”, a-t-il confié tout en précisant avoir voulu persévérer dans cette voie coûte que coûte. “Il m'a fallu vraiment des années pour me faire la main, seul. J’ai appris petit à petit et j’ai finalement enseigné l’anglais pendant 12 ans”.
“Des élèves se moquaient de moi, ricanaient dès que je parlais, me jetaient de l’encre dans le dos”
Pendant toutes ces années, William Lafleur a été le témoin de nombreuses situations délicates et même la cible de quelques élèves. “Certains se moquaient de moi, ricanaient dès que je parlais. D’autres me jetaient de l’encre dans le dos”, s’est-il remémoré tout en mettant en avant un problème évident de considération. Mais ce phénomène était pour lui anecdotique et subi par la plupart de ses confrères.
Ce qui l’a bien plus choqué, en revanche, c’était le manque de personnel disponible. Comme il l’a expliqué, les situations devenaient “tendues” car les adultes étaient trop peu nombreux par rapport aux élèves. Et à son grand désarroi, lui comme ses autres collègues passaient plus de temps à jouer à la police qu’à faire de l’enseignement. “Au collège, je voyais les classes trois heures par semaine, au lycée deux heures. Si je passais la moitié du temps à rouspéter sur les élèves, il ne me restait plus beaucoup de temps pour me consacrer à ma matière”. Pour lui, avoir des classes à plus de 35 élèves est une aberration. “Ils ne veulent pas être en classe et c’est à nous de gérer. Mais il faut nous donner les moyens de le faire”, a-t-il rappelé.
En parallèle, il a également tenu à mettre en évidence un problème inquiétant qui touche les générations actuelles. Un problème qui n’existait pas au tout début de sa carrière. “Le monde a changé. Lorsque j’ai commencé à enseigner, les élèves n’avaient pas encore de smartphone. Maintenant, ils en ont tous dès la sixième”. Et les conséquences, minimisées par certains, seraient en réalité dévastatrices. “On les voit dormir en cours. Ils sont épuisés parce qu’ils gardent leur téléphone jusqu’à 1 heure, deux heures voire trois heures du matin”.
“Je suis inquiet pour la jeunesse, l’école républicaine est en train de tomber en ruine”
Une situation face à laquelle il se sentait impuissant. En plus d’observer ces changements de comportement, William Lafleur a vu en 12 ans ses conditions de travail “se désagréger”. Chaque rentrée scolaire était pire que la précédente. Quant à son salaire, il stagnait. Ce professeur, qui a fait de nombreux sacrifices pour exercer pleinement son métier, ne trouvait plus la motivation nécessaire pour continuer. La balance du “pour” et du “contre” était complètement déséquilibrée. “Au bout d’un moment, il faut penser à soi et j’ai donc décidé de partir”.
Le déclic pour lui a été la réélection d’Emmanuel Macron dont la politique en matière d’Éducation était loin de s’accorder avec ses idées. “Je suis inquiet pour la jeunesse car on fait des économies sur son dos. Les gouvernements successifs parlent de l'éducation comme d'un coût. L’éducation, c’est plutôt un investissement dans la jeunesse, c'est un investissement pour les générations futures”, a-t-il tenu à rappeler, pointant notamment du doigt la part du PIB mise dans l’éducation, en baisse de 0,9%.
Des décisions qui ont, sans grande surprise, des répercussions sur la scolarité des adolescents car il n’est pas rare de trouver dans des établissements un surveillant pour 150 élèves. “C’est terrible”. Face à cette réalité, “certains jeunes se retrouvent en situation de stress, développent des phobies scolaires ou subissent du harcèlement. Et malheureusement, on ne peut pas correctement les aider parce que l'on a trop de choses à gérer”. Pour lui, l’avenir de l’Éducation nationale ne se présente pas sous les meilleures auspices. “Il y a une fuite des élèves vers le privé. L’école républicaine est en train de tomber en ruine”.
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