Droits des femmes : quel bilan pour Macron ? On a rembobiné le mandat avec une experte

Les organisations féministes ont fait le bilan du quinquennat d'Emmanuel Macron et pointent beaucoup de communication mais des demi-mesures insuffisantes.

BILAN - “Grande cause, petit bilan” : c’est ainsi que s’intitule le rapport. Après une analyse des lois, réformes, discours et initiatives prises ces cinq dernières années pendant le mandat d’Emmanuel Macron sur les grands marqueurs de la politique en faveur de l’égalité femmes-hommes, le verdict des associations est sans appel.

Pour son autrice, Sandra Lhote-Fernandes, responsable de plaidoyer Droits des femmes d’Oxfam France, le bilan est “insuffisant pour un Président qui se déclarait ‘candidat féministe’ en 2017”, malgré de gros efforts de communication sur le sujet. Entretien.

Vous parlez d’un “petit bilan” pour une “grande cause”. Pourquoi ?

Le président avait lui-même fixé une ambition assez haute en érigeant les droits des femmes et l’égalité femme-homme comme “grande cause du quinquennat”. On peut dire qu’il y a eu des actions entreprises, mais on est très loin du compte. On aurait pu mettre une très bonne note sur la communication, car il y en a eu. Mais quand on creuse, il y a un écart entre ce qui a été fait et les besoins, qui sont immenses.

Vous parlez d’un budget “dérisoire” alloué aux droits des femmes, alors qu’il a presque doublé de 2016 à 2022. Pourquoi ne peut-on pas se réjouir de cette augmentation ?

On partait d’extrêmement loin. C’est vrai qu’en partant d’aussi loin, c’est moins dur de doubler le budget du ministère. Mais quand on le met en perspective avec l’ensemble du budget de l’État, ça représente 0,01 % du budget. Ça n’englobe pas l’ensemble des moyens alloués aux droits des femmes, mais c’est caractéristique. Quand on regarde l’ensemble des moyens labellisés ”égalité femme-homme” de la France, c’est assez dérisoire : c’est 0,25 % du budget général en 2022.

Vous insistez notamment dans le rapport sur l’importance de dédier un ministère aux droits des femmes. Pourquoi est-ce nécessaire selon vous ?

C’était une demande historique, dès 2012, des associations féministes, pour avoir un vrai portage et une vraie priorisation politique au sein du gouvernement des enjeux des droits des femmes. En 2017, alors que cela avait été annoncé comme engagement de campagne, ça a été relégué à un secrétariat d’État. Et on sait qu’un secrétariat d’État a moins de pouvoir qu’un ministère plein et entier. Aujourd’hui, c’est un ministère, mais il reste “délégué”, donc avec moins de poids politique et de budget. C’est aussi un combat symbolique.

Autre symbole : le président lui-même, quand il était candidat, avait dit qu’il “souhaiterait” - ce n’était qu’un souhait et pas un engament ferme - une femme première ministre. Il ne l’a pas fait.

Le quinquennat a coïncidé avec l’apparition des différentes vagues de témoignages de #MeToo. Pour vous, cette parole n’a pas été prise en compte par le gouvernement ?

Les différentes vagues #Metoo ont été un tournant historique dans la reconnaissance de l’ampleur des inégalités et des violences envers les femmes. Et il y a eu une réaction : quatre lois pour lutter contre les violences conjugales, le Grenelle contre les violences conjugales, en lien avec la montée accrue de la médiatisation des féminicides, qui est presque un néologisme de ce quinquennat... Avant cela, c’était un phénomène de société et une réalité peu connus, sans réponse politique.

Des choses ont été faites, mais ce sont souvent des demi-mesures et beaucoup de communication. Le nerf de la guerre étant l’argent, ce n’est pas suffisant.

Des exemples de ces “demi-mesures” ?

Les dispositifs de renforcement du “téléphone grand danger” (TGD) ou du “bracelet rapprochement” en sont un bon exemple. Le nombre d’infractions pour violences conjugales constatées par le ministère est de 140 000 par an en France. L’estimation plus large des cas de violences conjugales est de 213 000 par an. Aujourd’hui, il y a 500 bracelets actifs, un peu moins de 3000 “téléphones grave danger”. Ces dispositifs ont bien évidemment évité des cas de violences, mais c’est beaucoup trop limité et pas suffisant pour protéger les femmes qui en sont victimes.

Les associations spécialistes de l’accueil et de la protection des femmes n’ont cessé d’alerter sur le sujet des places d’hébergement. Et là encore, on est loin du compte. Il faudrait augmenter le budget de 300 à 600 millions d’euros par an pour répondre à la demande.

La France est le premier pays à avoir créé une infraction pour “outrage sexiste”. Quel bilan faites-vous de cette mesure?

C’est un dispositif phare du début de mandat de Marlène Schiappa. Ce que l’on peut reconnaître, c’est effectivement qu’on a été le premier pays du monde à créer une infraction pour outrage sexiste, qui vise à s’attaquer au harcèlement de rue. Et auquel, selon les études, 80 % des femmes en France ont déjà été confrontées.

C’est un élan que l’on peut saluer. Mais les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur en 2022 sont parlants : on relève une moyenne de 6 infractions constatées par jour. Parce que le dispositif repose sur le fait que les cas doivent être pris en flagrant délit. Il y a beaucoup de communication, mais ça ne va pas casser complètement le phénomène de harcèlement de rue.

L’index de l’égalité professionnelle avait été présenté comme la mesure-phare pour lutter contre les inégalités professionnelles. Quel est le bilan de cet index ?

Il devait permettre de faire du “name and shame” des entreprises qui ne respectaient pas l’égalité salariale et professionnelle. Quatre ans plus tard, quand on regarde les résultats de l’index, la moyenne des entreprises françaises est de 85 points/100. On est un peu loin du “name and shame” et la plupart des entreprises ont un très bon score. Pourquoi? Parce qu’en fait, le paramétrage de cet outil a été façonné pour ne pas bousculer le patronat.

Il s’agit de 4 à 5 indicateurs en fonction de la taille des entreprises. L’un des indicateurs, c’est le nombre d’augmentations pour les femmes et pour les hommes. Donc une entreprise peut augmenter toutes les femmes de 5 euros et tous les hommes de 100 euros et elle aura tous les points de l’indicateur. Et c’est pareil pour tout. Ça permet aux entreprises d’avoir des notes positives et de faire du “gender washing”.

La championne 2021 de l’index, par exemple, c’est Air Liquide, avec 99 points/100. Mais quand on creuse le bilan social de l’entreprise, il y a un écart de 2000 euros entre la rémunération moyenne des hommes et celle des femmes.

Le gouvernement met en avant l’allongement du congé paternité à 28 jours. N’est-ce pas un facteur d’égalité professionnelle ?

La parentalité pénalise bien plus les femmes dans le monde professionnel que les hommes. C’est l’une des premières causes des inégalités salariales entre les femmes et les hommes.

On passe de 11 jours en France à un mois de congé paternité, mais seule une semaine est obligatoire, donc l’inégalité d’absence au sein de l’entreprise au moment de l’accueil de l’enfant reste. Le poids de la parentalité n’est toujours pas partagé entre les hommes et les femmes. Une femme reste absente 3 mois ou plus, mais l’homme partira un mois voire une semaine.

Les études récentes sur le congé paternité montrent que lorsqu’il n’est pas obligatoire, les hommes ont tendance à ne pas le prendre, surtout ceux qui sont en CDD. En Espagne, il a été allongé à 16 semaines, avec une vraie volonté d’alignement entre congé paternité et maternité.

Début janvier, Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur d’un “droit à la garde d’enfant”. Qu’en pensez-vous ?

La faiblesse des structures de garde d’enfant est un frein majeur à l’autonomisation économique ou à l’emploi des femmes. 40 % des enfants de moins de 3 ans n’ont aucune solution de mode de garde.

Emmanuel Macron avait promis un plan massif de construction de crèches, avec 30 000 places supplémentaires sur le quinquennat. Il n’y en a pas eu la moitié. Il aurait fallu une vraie réflexion sur un vrai service public de la petite enfance.

Est-ce que l’égalité professionnelle passe aussi par une revalorisation des métiers dits “féminisés”, souvent faiblement rémunérés ?

Oui, tous ces métiers féminisés, qui sont moins rémunérés, sont une autre cause des inégalités salariales. Et là encore, la réponse a été trop faible. Il a fallu une pandémie pour enfin ouvrir les yeux sur la question du personnel soignant, mais ça ne s’est pas accompagné d’un élan politique pour revaloriser ces professionnels.

Malgré les augmentations de certains salaires, qui sont à noter, comme pour les infirmières ou les aides-soignantes, il faudra toujours 150 ans de travail à une infirmière pour gagner ce que gagne un PDG du Cac 40 en un an. Il y a toujours des écarts de salaire indécents.

Le gouvernement met en avant de grandes avancées sociales comme la PMA pour toutes, le délai d’allongement de l’IVG, le plan national contre l’endométriose... Ce sont des avancées réelles, pour vous ?

Sur la question des droits sexuels et reproductifs, c’est là où le gouvernement a la meilleure note, car il y a eu des avancées certaines, comme l’allongement de la durée du délai pour l’IVG, la reconnaissance de l’endométriose qui touche une femme sur 10 ou la lutte contre la précarité menstruelle.

Mais pour nous, cela reste “encourageant” et pas “bien”. L’exemple révélateur de cela est l’IVG : cette victoire est à mettre au crédit de parlementaires qui se sont mobilisés à l’Assemblée nationale, mais sans le soutien du gouvernement.

Dans une interview à Elle l’année dernière, Emmanuel Macron se disait “peu favorable” à allonger les délais de l’IVG car c’était un trop gros “traumatisme” pour les femmes... C’était un vrai affront pour les droits des femmes et ce n’était pas du tout cohérent avec un positionnement soi-disant féministe.

Dans le texte initial d’Albane Gaillot (ndlr : députée ex-LREM) il y avait aussi la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG, ce qui permet à des professionnels de refuser une IVG et qui stigmatise des femmes qui ont recourt à l’avortement. Ça a été enlevé du texte, sans aucun soutien de la part d’Olivier Véran, alors qu’on sait que c’est une barrière fondamentale au droit à l’IVG.

Sur la PMA pour toutes, la principale réserve c’est que cela fait des années que ça traînait. C’est une avancée majeure pour les femmes et les couples lesbiens, mais cela aurait dû être fait de manière bien plus rapide et bien plus assumée.

Le rapport, rédigé par Oxfam France, Equipop, et CARE France, avec la participation d’associations expertes des droits des femmes telles que la Fondation des Femmes, le Planning familial et ONE France, est à retrouver en intégralité ici.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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