Il droguait sa femme pour la faire violer par des inconnus: 51 accusés jugés lors un procès hors norme

Il droguait sa femme pour la faire violer par des inconnus: 51 accusés jugés lors un procès hors norme

Dans cette vaste salle du palais de justice d'Avignon, spécialement aménagée pour ce procès hors norme, Gisèle sera face à 50 inconnus. Pourtant, 50 de ces hommes, jugés à partir de ce lundi 2 septembre par la cour criminelle départementale du Vaucluse lui ont fait subir le pire: ils l'ont violée chez elle. Gisèle ne se souvient de rien, elle avait au préalable été droguée par son mari, le père de ses trois enfants.

"A son insu": c'est le nom du dossier retrouvé par les enquêteurs dans l'ordinateur de Dominique P., le mari de Gisèle, en septembre 2020. L'homme de 67 ans à l'époque, vient de se faire surprendre dans un centre commercial de Carpentras en train de filmer sous la jupe de femmes. L'analyse de ses téléphones puis de son ordinateur portable révèle des conversations avec d'autres hommes.

Sur Skype, mais surtout sur le site controversé de discussion Coco -et fermé en juin 2024 par les autorités- utilisant, sans précaution, son adresse mail personnelle. Le retraité, installé depuis 2013 avec son épouse à Mazan, dans le Vaucluse, échange avec d'autres hommes et leur propose d'avoir des relations sexuelles avec sa femme.

Le patriarche de cette famille est décrit comme sévère. Le "super mec" comme le qualifie son épouse avant l'affaire. Il est certes un peu exhibitionniste, a été surpris par une belle-fille en train de se masturber dans son bureau ou se permet des remarques à connotation sexuelle, mais personne n'imagine l'autre facette de l'ancien commercial. Celui de l'homme prêt à tout pour assouvir ses fantasmes, décrit par l'un de ses co-accusés comme "un spécimen rarissime de la perversité sexuelle".

Soumission chimique à haute dose

Des quelque 400 pages de l'ordonnance de mise en accusation des 51 hommes qui sont jugés, il ressort une montagne d'atrocités subies par Gisèle. La première photo retrouvée par les policiers la montrant inconsciente et droguée date du 24 juillet 2011. Dominique P. a reconnu devant le juge d'instruction qu'à l'époque il utilisait des somnifères pour avoir des pratiques sexuelles que sa femme lui refusait. Lui aimerait pratiquer l'échangisme, mais Gisèle, qu'il a épousée en 1973, refuse.

Il échange beaucoup avec d'autres hommes sur le forum de discussion et la soumission chimique qu'il fait subir à sa femme se professionnalise. Un internaute lui conseille le Temesta, un puissant anxiolytique. En 2015, un médecin en prescrit justement à Gisèle pour traiter son anxiété. Son mari en profite, il lui en administre dans son repas du soir "à son insu", le nom du forum qu'il crée sur Coco où il "recrute" les hommes qui participeront à assouvir ses fantasmes.

L'expertise psychiatrique de Dominique P. ne va pas révéler de maladies mentales, mais des déviances paraphiliques, à savoir des pratiques sexuelles qui diffèrent des actes traditionnellement considérés comme normaux. Des déviances à mettre en lien avec une agression sexuelle qu'il dit avoir subi à l'âge de neuf ans, mais dont ses proches doutent de la véracité. Au voyeurisme, au fétichisme, au sadisme, s'ajoute la somnophilie. La soumission chimique imposée à son épouse, rendue inerte, inconsciente par la prise de médicament, pourrait renforcer le sentiment d'emprise qu'il exerce sur elle.

En quatre ans, Dominique P. s'est fait prescrire 20 ordonnances de Lorazepam, un autre anxiolytique, soit 780 comprimés. De quoi en administrer un tous les deux jours à cette femme réduite au statut d'objet, et qui va être exposée à tous les risques. À haute dose, l'ingestion de ces médicaments peut être fatal. Depuis plusieurs années, Gisèle souffre d'absences, de trous de mémoire. Ses proches craignent un début d'Alzheimer. Elle prend la voiture dans un état second. Quand elle sera examinée par un expert dans le cadre de la procédure, elle est porteuse de quatre maladies sexuellement transmissibles.

50 suspects identifiés

Pendant ces années, Gisèle ne se doute de rien. En 2011, Dominique P. est déjà condamné pour avoir filmé sous les jupes des femmes dans un supermarché en région parisienne. Il écope d'une amende, et n'en parle à personne. C'est cette même année que les premiers abus ont lieu à Villiers-sur-Marne, en région parisienne, avant le déménagement du couple dans le Vaucluse. Mais aussi à l'île de Ré dans une maison familiale ou à Saint-Rémy-lès-Chevreuse chez leur fille. Les milliers d'échanges sur le site Coco découverts lèvent le voile sur une vérité sordide. "T'es comme moi t'aime le mode viol", lance l'un de ces hommes à Dominique P. sur le forum "A son insu".

Les rendez-vous sont fixés sur ce même forum. Les hommes sont invités à venir avoir des relations sexuelles avec Gisèle et reçoivent des consignes: ne pas se garer devant la maison, pas de parfum, pas de tabac. Ils doivent se déshabiller avant d'entrer dans la chambre, se réchauffer les mains pour ne pas risquer que Gisèle se réveille. Sur l'une des vidéos, on l'entend dire à l'homme présent: "Si jamais elle bouge, tu pars, t'attends derrière la porte!".

Toutes ces précautions mettent à mal la défense de certains des 50 hommes qui vont être jugés affirmant ne pas avoir su que la femme avec laquelle ils avaient des relations était droguée. Certains évoquent "le délire de couple". Dominique P., présent dans la pièce, nu, filme les viols subis par sa femme, les viols qu'ils orchestrent lui-même. Sur les vidéos, on l'entend, directif, donner des consignes. On le voit imposer à sa femme des pénétrations ou des fellations. Certains participeront à plusieurs rendez-vous, le rythme des rencontres s'accélérant avec la crise du Covid.

"Chef d'orchestre"

Le dossier "ABUS" découvert dans son ordinateur regroupe 128 sous-dossiers. Les noms de ces fichiers sont explicites: "ABUS/ charly après-midi du 130520 4eme fois", "nuit du 14 janvier 2018 avec nicolas", "marc sodo 5eme fois", "nuit du 03102020avec gaston". À cette dernière date, Dominique P. avait déjà été arrêté pour l'affaire du centre commercial de Carpentras. Au total, sur une dizaine d'années, 92 viols sont recensés par les enquêteurs qui recherchent 72 agresseurs. 50 seront identifiés. Ils ont entre 20 et 68 ans au moment des faits, certains ont l'âge des enfants de la victime.

"Ce sont des profils de gens qui se cherchent (...) qui sont tombés dans une relation particulière avec le mari qui les a amenés à commettre ces actes", résume auprès de RMC Me Christophe Huguenin-Vichaux, avocat de l'un des accusés, mettant en avant le rôle de "chef d'orchestre" du mari dans la commission de ces viols, ne laissant pas le choix aux hommes qu'il faisait venir.

Au cours de cette enquête déjà tentaculaire, les enquêteurs ont également fait le lien entre Dominique P. et deux affaires jusqu'alors non élucidées. Il a été mis en examen pour une tentative de viol, commise en 1999 en Seine-et-Marne. Des faits qu'il a reconnus partiellement. Un juge d'instruction du pôle "cold case" l'a aussi mis en examen pour un meurtre accompagné d'un viol, commis en 1991 dans le XIXe arrondissement de Paris. Des faits qu'il conteste.

Autour de Gisèle, sa fille Caroline et ses deux fils seront présents dans cette salle d'audience. Dominique P. est aussi poursuivi pour avoir photographié sa fille endormie et en lingerie et pour avoir photographié ses deux belles-filles lorsqu'elles prenaient leur douche dans la salle de bain de sa maison à Mazan. Une famille brisée après la découverte de la face sombre de leur père et qui s'est rapprochée à l'approche du procès. "Ils ont décidé de faire front" pendant ces quatre mois de procès, souffle un proche du dossier.

Article original publié sur BFMTV.com