Drame de la maternité d'Orthez: le procès de l'anesthésiste alcoolique s'ouvre ce jeudi

L'autorité régionale de santé a donné un avis favorable à la fermeture de la maternité d'Orthez. - Gaizka Iroz - AFP
L'autorité régionale de santé a donné un avis favorable à la fermeture de la maternité d'Orthez. - Gaizka Iroz - AFP

"Ca fait mal, ça fait mal." Trois mots qui seront les derniers de Xynthia Hawke. Ce 26 septembre 2014 au soir, cette jeune Anglaise de 28 ans a accouché par césarienne d'un petit garçon à la maternité d'Orthez, dans les Pyrénées-Atlantiques. Une opération qui s'est mal déroulée, et au terme de laquelle la jeune maman a perdu la vie. "Toute sa vie, ce petit garçon aura cette pensée d'être né le jour où sa mère est morte", déplore Me Philippe Courtois, l'avocat des proches de la famille de Xynthia Hawke.

Ce jeudi s'ouvre devant le tribunal correctionnel de Pau le procès, deux fois renvoyé, pour "homicide involontaire" de l'anesthésiste qui était présente le jour de l'opération. La justice soupçonne Helga Wauters, une Belge âgée de 50 ans, de s'être présentée alcoolisée au moment de la césarienne, l'empêchant d'adopter les bons gestes et d'avoir les bonnes réactions afin de sauver sa patiente. "Incapable de prendre des décisions, ayant des propos et gestes inadaptés, elle a montré une parfaite défaillance et incompétence", tranche la juge d'instruction.

"Incapable de donner des directives"

Xynthia Hawke est arrivée au terme de sa grossesse le 18 septembre 2014, une grossesse sans souci. Elle est examinée à la maternité, et l'équipe médicale la renvoie malgré tout chez elle, espérant que l'accouchement se déclenche naturellement. Cinq jours plus tard, la jeune femme est hospitalisée, l'accouchement est finalement déclenché. Les jours suivants, les contractions se multiplient, Xynthia Hawke s'épuise, l'enfant est en souffrance, une césarienne est alors décidée. Ses derniers mots à son compagnon seront des mots rassurants.

Xynthia Hawke donne naissance à un petit garçon le 26 septembre 2014 à 22h25. L'enfant, qui peine à respirer, est rapidement pris en charge par l'équipe pédiatrique. La patiente est elle prise en charge par l'obstétricien qui, au moment de suturer la jeune femme, se rend compte qu'elle présente des signes de réveil. La jeune Anglaise, toujours le ventre ouvert, bouge les jambes, tente de s'extuber avant d'y parvenir, parle pour exprimer sa souffrance et vomit. Autant de signes face auxquels l'anesthésiste ne régit pas ou que trop tardivement. C'est ce que toutes les personnes présentes dans le bloc décriront.

Une sage-femme présente lors de l'intervention a décrit "une anesthésiste incapable de donner des directives, tournant en boucle sur le dysfonctionnement du respirateur au lieu de s'occuper de la patiente", selon l'ordonnance de renvoi que nous avons pu consulter.

Cyanosée

Refusant le respirateur, et préférant le ballon manuel pour ventiler la patiente, Helga Wauters, en poste depuis 15 jours, va jusqu'à tenter de réintuber sa patiente avec la sonde que cette dernière vient d'enlever. Une pratique contraire au protocole. Plus tard, l'équipe va d'ailleurs se rendre compte que la sonde pour aider Xynthia Hawke à respirer était mal positionnée, l'air n'étant pas envoyé dans la trachée, donc dans les poumons, mais dans l'œsophage, directement dans le ventre. Sans oxygène, la patiente fait un arrêt cardiaque. L'obstétricien débute le massage cardiaque mais doit s'occuper de l'utérus de la jeune femme. Le SMUR, comme le veut l'organisation, est finalement appelé.

"Un anesthésiste, c'est comme un pilote de ligne, compare l'avocat de la famille de la victime. En vol, c'est lui qui donne les ordres aux passagers comme aux hôtesses. Dans un bloc, c'est l'anesthésiste qui dirige l'opération. À plusieurs reprises, les infirmières l'alertent, mais elle ne réagit pas."

A son arrivée, l'équipe de réanimation constate l'arrêt cardiaque, ce que dément au même moment l'anesthésiste. La patiente est alors cyanosée, un des infirmiers décrit la couleur de sa peau comme "bleue/grise". "Il décrit une scène macabre", insiste Me Courtois. Une infirmière utlise devant les enquêteurs une comparaison avec "Bagdad". Un autre urgentiste note de nombreux dysfonctionnements dans le bloc: aucun massage cardiaque n'est en train d'être pratiqué, le ballon pour prendre le relai de la respiration n'est pas relié à l'oxygène, et elle évoque des problèmes de communication. "Sa non-réactivité, son laconisme, son inertie sont en lien direct avec son alcoolisation au bloc opératoire", écrit la juge d'instruction.

"En entrant alcoolisée au bloc opératoire, elle met en danger Xynthia Hawke, qui en perdra la vie, étant incapable de voir qu'elle ne l'avait pas intubée dans les poumons et privant aussi d'oxygène son bébé qui sera extrait inerte puis réanimé avec succès", conclut la magistrate.

Deux licenciements

Car la justice estime que les réactions de l'anesthésiste sont directement en lien avec son état d'alcoolisation, quotidienne. Une maladie qu'Helga Wauters traîne depuis de nombreuses années, et connue de ses proches. Brillante étudiante en médecine, elle voit cependant sa carrière être entachée par deux licenciements en lien avec cette consommation d'alcool. L'anesthésiste date le début de sa dépendance à sa séparation d'avec sa compagne, mère de ses enfants, en 2005. Les années qui suivent sont marquées par plusieurs passages en cure de désintoxication et en hôpital psychiatrique.

Le 19 février 2013, Helga Wauters est licenciée une première fois pour faute grave de l'hôpital de Soignies, en Belgique. Quelques semaines plus tôt, elle avait dû être remplacée par un autre anesthésiste après avoir eu des réactions inadaptées lors d'une opération. Son licenciement avait été finalement décidé après qu'elle s'est présentée alcoolisée pour une césarienne. Un an plus tard, les événements se répètent. Helga Wauters est remerciée par l'hôpital de Saint-Vith, près de Liège. L'anesthésiste se présentait à nouveau au travail en sentant l'alcool alors qu'une clause dans son contrat de travail permettait à son employeur de la soumettre à un éthylotest.

La clinique d'Orthez n'avait pas été informée de ce passif, et n'a d'ailleurs procédé à aucune vérification du CV du médecin. Pourtant, deux jours avant l'accouchement et la césarienne de Xynthia Hawke, la décision avait été prise de se séparer de l'anesthésiste belge. En effet, le 22 septembre 2014, un médecin de la clinique d'Orthez avait signalé avoir vu sa collègue perdre l'équilibre dans la chambre d'un patient. La décision d'une rupture de contrat avait finalement été décidée le 24 septembre 2014, alors que l'anesthésiste n'avait pas répondu à un appel un jour de garde, ce qui constitue une faute grave.

Une bouteille de vodka par jour

Helga Wauters est bien consciente de sa maladie. Devant la juge, elle a expliqué "être obligée" de boire pour éviter les tremblements. Sa consommation s'est accélérée à partir de 2012, passant de trois bouteilles de vin à une bouteille de vodka par jour. L'anesthésiste a également affirmé boire chaque jour 50 cl d'un mélange composé d'eau et de vodka, qu'elle dissimulait dans une petite bouteille d'eau. Elle a admis avoir consommé de l'alcool le 26 septembre 2014, "reconnaissant être incapable d'aller au bloc opératoire sans avoir bu". Elle a affirmé avoir été ce jour-là à 70% de ses capacités.

"Ce n'est pas parce que j'ai bu que je ne sais pas fonctionner, que les choses soient claires", a-t-elle d'ailleurs lancé au juge lors de son premier interrogatoire. Lorsqu'elle s'est présentée aux gendarmes, quatre jours après l'opération et le décès de sa patiente, Helga Wauters présentait d'ailleurs un taux d'alcoolémie de 2,38 grammes par litre de sang à 10h30.

Contacté, son avocat n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

Interrogée une nouvelle fois par la juge en juin 2015, Helga Wauters a indiqué "ne pas avoir envie d'arrêter de boire", s'amusant même de sa consommation d'alcool. Seule sa période de deux mois de détention provisoire aura été un temps de sevrage. Peinant à reconnaître que sa maladie pouvait avoir un effet sur son travail, elle a tout de même estimé que la mort de Xynthia Hawke était la conséquence d'une "responsabilité partagée" entre les médecins, les infirmières, les sage-femmes, et même l'hôpital, qui l'ont laissée entrer au bloc.

Helga Wauters a mis en cause également la qualité du matériel et la qualité du travail des soignants. L'enquête a écarté la responsabilité de l'obstétricien présent lors de l'opération, mais aussi de la clinique et de l'hôpital d'Orthez, auquel elle est rattachée. La maternité a depuis fermé. "Plus qu'une peine de prison, la famille de Xynthia Hawke espère qu'aucune autre famille ne connaîtra la même souffrance, conclut Me Philippe Courtois. Ce qui est important, c'est que ce médecin n'exerce plus jamais."

Article original publié sur BFMTV.com