Comment donner le goût de la lecture à son enfant ? Les conseils d’une bibliothécaire jeunesse
PARENTALITÉ - Pour que leur enfant ouvre (et lise) un livre, certains parents n’hésitent pas à employer les grands moyens. À l’image de la critique littéraire Mireille Silcoff qui confiait récemment dans une chronique du New York Times avoir offert 100 dollars à sa fille de douze ans pour qu’elle vienne à bout en un mois du premier tome de L’été où je suis devenue jolie, de l’autrice pour ados Jenny Han. Si la méthode a effectivement porté ses fruits (sa fille lui a ensuite réclamé les deux autres tomes pour les lire gracieusement), elle est loin d’être à la portée de tous les budgets, en plus d’être moralement discutable.
Mais c’est un fait : les enfants lisent de moins en moins. Selon la dernière étude du Centre national du livre, un jeune sur cinq n’ouvre jamais un livre dans le cadre de ses loisirs. Pourtant, la lecture reste une porte ouverte sur l’imaginaire et la connaissance. Alors, comment donner envie à son enfant de lire et, surtout, en faire un lecteur pour la vie ? Quelques conseils de Stéphanie, bibliothécaire jeunesse en Gironde.
Une passion qui se transmet dès le plus jeune âge
Pas besoin d’attendre que son enfant sache parler pour commencer à lui raconter des histoires. « C’est même possible dès les premières semaines de vie », assure Stéphanie. Regarder les images et les couleurs, manipuler les pages cartonnées et toucher leur matière, écouter la voix apaisante de son parent… Tous ces moments participent à l’éveil du nouveau-né.
Raconter des histoires à son enfant permet aussi, en tant que parent, de créer de véritables moments de tendresse et de complicité. C’est d’ailleurs pour cette raison que Stéphanie recommande de ne pas délaisser cette pratique tant qu’elle plaît à l’un et à l’autre. Invoquant le « pouvoir ancestral des contes », elle incite les parents « quel que soit l’âge de leur enfant, à continuer de leur lire des livres à voix haute ». Elle-même, en tant que bibliothécaire, continue à donner lecture aux élèves jusqu’au début du collège. « Car le plaisir d’entendre une histoire, même si on sait lire tout seul, on ne le perd pas. »
C’est le même principe avec les boîtes à histoires. Très prisées des parents, elles favorisent l’autonomie des enfants, qui peuvent choisir seuls ce qu’ils écoutent. « Comme nous qui écoutons un podcast ou la radio, ils aiment aussi être bercés. »
Donner une dimension ludique aux livres
Dans beaucoup de familles, la lecture fait partie intégrante du rituel du coucher pour amener l’enfant vers le sommeil. Et c’est très bien, affirme Stéphanie. Mais associer le livre au seul temps calme, c’est aussi faire abstraction de toute sa dimension ludique. « Je revendique que le livre puisse aussi être bruyant, que la lecture puisse être un moment de rigolade. » Beaucoup de livres pour enfants sont d’ailleurs conçus comme de véritables sources de distraction. « Il y a des albums jeunesse où on imite les bruits des animaux, ceux où on invite l’enfant à souffler… », énumère-t-elle. « Il ne faut pas oublier que le livre, c’est un peu un cinéma pour les enfants. »
Donner l’exemple en tant que parent
Il ne faut pas sous-estimer l’influence qu’ont les parents sur leurs enfants, même pour ce qui est de la lecture. « Les enfants sont dans l’imitation très tôt, avant même de savoir parler. Alors, avoir des parents lecteurs ou qui ont à cœur cet accès aux livres a forcément des effets positifs. »
Et lorsqu’on n’est pas soi-même un féru de littérature, rien ne nous empêche d’accompagner son enfant à la médiathèque. On y demande des conseils, on choisit ensemble un ou plusieurs livres, on y échange au sujet des histoires… Les enfants apprécient d’autant plus ces moments que c’est un lieu qu’ils connaissent souvent bien pour y être allés dans le cadre scolaire. « Ils sont très contents de montrer à leurs parents un lieu qu’ils connaissent déjà, de leur faire visiter. »
Savoir lâcher prise
Quand on est parent et qui plus est grand lecteur, on peut être désespéré de voir son enfant délaisser ses tomes d’Harry Potter pour ses jeux vidéo ou son smartphone. Mais comme le rappelle Stéphanie, rien n’est immuable, et un enfant qui n’ouvre jamais un seul livre peut tout à fait en venir à les dévorer une fois devenu adulte. « L’amour de la lecture, ça tient souvent à la rencontre du bon livre ou du bon personnage. » Et pour que cette rencontre ait lieu, il faut aussi parfois apprendre à lâcher du lest. « Ce n’est pas grave s’il ne lit jamais Le Club des Cinq. Contrairement à notre époque, les enfants disposent d’un choix décuplé tant en quantité qu’en qualité. »
Alors, si votre enfant préfère lire Les aventures de Spider-Man plutôt que Le Petit Nicolas, laissez-le faire. Même chose s’il se tourne vers des bandes dessinées pas vraiment intellos, comme Mortelle Adèle ou Anatole Latuile. Selon la professionnelle, ces BD sans trop de texte peuvent même « être très efficaces pour réconcilier l’enfant ne serait-ce qu’avec le principe du livre » et pour renforcer la confiance d’un enfant dans ses compétences de lecteur. « Savoir lire, ce n’est pas seulement déchiffrer les lettres, c’est aussi décrypter les images. »
Faire la guerre aux mangas, souvent considérés comme des « faux livres » par les parents, est aussi dommage du point de vue Stéphanie. « Le discours sur le manga aujourd’hui est le même qui existait sur la BD il y a quarante ans. Or, il y a d’excellents mangas. » Cette bande dessinée nippone peut même être une formidable porte d’entrée vers d’autres types de lectures, comme les documentaires sur la culture japonaise et même… les grandes œuvres de la littérature. « Les éditions Nobi Nobi ont un catalogue très étoffé et de qualité de classiques adaptés en mangas. Les adolescentes qui adorent la romance peuvent par exemple découvrir Raison et Sentiments de Jane Austen. » Il faut, quoi qu’il en soit, faire confiance à son enfant. « Aucun ado ne lira que Naruto ou One Piece toute sa vie. Et chaque enfant peut devenir un grand lecteur si on lui en laisse l’opportunité. »
À voir également sur Le HuffPost :
« Mauvaise langue » : ces parents n’ont pas appris l’arabe à leurs enfants et le regrettent