Donald Trump élu président: comment les politiques français espèrent dupliquer sa victoire

Des résultats suivis de très près par la classe politique française. La très large victoire de Donald Trump, après des mois de campagne sous haute pression, a été scrutée par l'ensemble de l'échiquier politique de ce côté de l'Atlantique. Si le contexte américain est bien différent du nôtre, pas question de se passer des enseignements de la présidentielle américaine à trois ans de la future course à l'Élysée.

"Donald Trump a habité la question économique, Kamala Harris n'en a rien fait", a ainsi regretté jeudi le député François Ruffin, qui a rompu avec les insoumis, y voyant une raison pour que "les plus fragiles" soutiennent le septuagénaire.

"Quand la gauche abandonne les travailleurs, il ne faut pas s'étonner que les travailleurs abandonnent la gauche", a également assené le député de la Somme, reprenant à son compte les mots du sénateur Bernie Sanders, classé à la gauche de la gauche du parti démocrate.

Plusieurs sondages de CNN à la sortie des urnes montrent que Donald Trump a été largement soutenu par les personnes sans diplôme: le milliardaire récolte ainsi 34 points d'avance sur Kamala Harris dans cette catégorie de la population.

"La hausse des prix compte parmi les principales préoccupations"

Les personnes qui se définissent comme "pauvres" ou "peinent à finir les fins de mois", ont elles aussi massivement soutenu Donald Trump avec 42 points d'avance sur Kamala Harris.

Handicapée par la hausse de l'inflation qui a explosé aux États-Unis sous Joe Biden avec près d'une hausse de 20% des prix, Kamala Harris a été plutôt discrète sur les sujets liées au porte-monnaie qui impactent particulièrement les plus pauvres. De quoi donner du grain à moudre de ce côté-ci de l'Atlantique. Si l'inflation a fortement ralenti ces derniers mois en France, elle avait bondi de près de 6% en 2023.

"Les sujets économiques ont toujours été centrales dans les élections américaines tout comme en France où la hausse des prix compte parmi les principales préoccupations", analyse Matthieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos et bon connaisseur des États-Unis.

"On pourrait faire du bon mot de Bill Clinton en 1992: 'It's the economy stupid' (c'est l'économie qui compte, idiot), un bon mantra en France comme à Washington", sourit de son côté Philippe Karsenty, le porte-parole des Républicains en France.

Les questions de société, pas un élément déterminant pour le bulletin de vote

Ces dernières années, plusieurs partis politiques français ont joué la carte des questions de société au sens large, de la lutte contre les violences dans la police pour La France insoumise à la lutte contre "le wokisme" par Marine Le Pen et Éric Ciotti.

Kamala Harris avait elle aussi choisi de mettre l'accent sur la défense de l'avortement. Alors qu'au moins 20 États américains ont légiféré depuis deux ans pour restreindre l'accès à l'IVG, la démocrate espérait mobiliser l'électorat démocrate sur cette question, et particulièrement les femmes.

Donald Trump a été de son côté plutôt tempéré dans cette campagne sur la question des droits reproductifs. En dépit de propos parfois virulent tenus à l'encontre de Kamala Harris sur le sujet, il s'est dit plutôt favorable à ce que chaque État soit libre de légiférer comme il l'entend en la matière. Mais la stratégie n'a pas été gagnante pour la démocrate.

"Elle a joué sur le sociétal pour donner une dynamique à l'aile gauche de l'électorat du parti démocrate tenté par l'absention", juge le directeur de l'Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) Romuald Sciora.

Résultat: 50% des personnes interrogées à la sortie des urnes par CNN, qui jugeait que l'avortement devait être légal dans la plupart des cas, ont voté pour Donald Trump.

"Quand on regarde les chiffres, on voit que la question de l'avortement n'a motivé le vote pour Kalama Harris que pour les personnes qui y voient un enjeu central. Pour les autres, y compris pour ceux qui jugent cela important mais pas capital, ça n'a pas été un moteur de décision", analyse Nicolas Tenzer, membre du CEPA, un institut de recherche consacré à promouvoir les liens entre l'Europe et les États-Unis.

De quoi faire relativiser l'influence des enjeux sociétaux dans les campagnes présidentielles, y compris en France.

"On a parfois l'impression qu'axer une campagne sur des enjeux sociétaux peut largement mobiliser. En réalité, ce n'est pas une facteur de mobilisation large. Cela doit faire réfléchir quand on veut partir à la conquête du pouvoir de ne pas tout axer là-dessus", analyse le sondeur Matthieu Gallard.

Une stratégie clivante, pas un repoussoir

Éric Zemmour tout comme Jean-Luc Mélenchon ont choisi ces dernières années de mener des campagnes fondées sur la polarisation des électorats. Le fondateur de la France insoumise s'est par exemple largement inspiré de la stratégie du "bruit et de la fureur".

Le résultat de l'élection américaine pourrait-il donner du grain au moudre aux partisans à la mise en scène de forts clivages politiques? La réponse pourrait bien être positive.

Tout comme il l'avait fait en 2016 puis en 2020, Donald Trump a utilisé une rhétorique très inflammable, qualifiant les migrants de "sauvages" qui "empoisonnent le sang du pays" et même de manger des chiens et des chats.

"Kamala Harris a fait du Hollande"

Alors que l'ex dirigeant a sillonné le pays en choissisant de polariser les débats à l'extrême, Kamala Harris avait choisi dans un premier temps de miser sur une image de femme posée avec la tête sur les épaules. Elle a finalement fini par dégainer les gants de boxe à la fin de la campagne. Pas suffisant pour convaincre les Américains.

"Il faut tenir bon, ne faire aucune concession pour paraître plus acceptable par vos adversaires comme l'a fait Kamala Harris", a jugé Jean-Luc Mélenchon dans une note de blog.

Même son de cloche pour le député Antoine Léaument qui a expliqué au micro de LCP que "Trump a fait du Trump" tandis que "Kamala Harris a fait du Hollande". "Il y a une inquiétude aussi en France, que certains veuillent suivre cette voie à gauche, une voie molle, souple, qui à la fin amène l'extrême droite au pouvoir."

"On peut gagner sans jamais renoncer à ses idées. On peut gagner en parlant au peuple sans chercher à faire plaisir aux médias. C’est exactement ce que m’avait dit Donald Trump au téléphone", a lancé de sn côté Éric Zemmour sur CNews, au lendemain de la victoire du milliardaire.

Le patron de Reconquête avait mené en 2022 une stratégie de polarisation. Très fortes tensions avec les journalistes, propos chocs, condamnations par la justice, meetings émaillés d'incidents parfois violents... L'ex journaliste avait tenté de reprendre à son compte les recettes de Donald Trump.

En février 2022, le patron de Reconquête, alors candidat à la présidentielle, avait d'ailleurs échangé près de 40 minutes avec lui. "Les médias vous trouveront brutal. Ne cédez pas", lui avait alors conseillé l'ancien locataire de la Maison Blanche.

Marine Le Pen, elle, n'a pas repris à son compte sa vision. En dépit d'une tentative de rapprochement qui avait tourné au flop en 2017 lors d'un déplacement de la candidate à la présidentielle à New York, l'histoire d'amour n'a finalement jamais eu lieu. Le RN a été en service minimum pour saluer le retour de Donald Trump au pouvoir, très loin de la stratégie de normalisation adoptée par les députés RN à l'Assemblée nationale.

Article original publié sur BFMTV.com