Publicité

Dix ans après, la crise a chamboulé la structure des marchés

par Blandine Henault

PARIS (Reuters) - Juillet 2007. Les marchés financiers sont au beau fixe : les Bourses mondiales se sont remises de l'éclatement de la bulle Internet et le Fonds monétaire international (FMI) a prédit en début d'année une croissance mondiale de l'ordre de 5%.

Certes, certains signes de nervosité sont apparus au cours des derniers mois autour du ralentissement du marché immobilier aux Etats-Unis et des prêts hypothécaires à risque, baptisés "subprimes". Ainsi, dès février, certaines sociétés financières spécialisées dans le crédit hypothécaire ont commencé à faire faillite.

"La première fois que j'ai entendu parler des 'subprimes', c'est lorsque HSBC a fait un profit warning début février 2007", se souvient Sébastien Lalevée, associé gérant chez Financière Arbevel et qui était alors directeur de la recherche sur les valeurs françaises chez Citigroup.

La banque britannique a en effet porté à 10 milliards de dollars ses provisions pour créances douteuses sur le marché immobilier américain.

Malgré tout, les investisseurs restent globalement confiants - rares sont ceux qui distinguent le risque systémique associé à la titrisation financière des crédits "subprimes" - et les marchés, après avoir marqué le pas à la fin de l'hiver 2006-2007, sont repartis de l'avant.

Le 16 juillet 2007, l'indice Dow Jones clôture pour la première fois de son histoire au-dessus du seuil des 14.000 points. En Europe, l'indice Stoxx 600 évolue non loin de ses plus hauts historiques atteints en 2000.

La crise explose peu après. Le 9 août, en pleines vacances d'été, BNP Paribas annonce le gel temporaire de trois fonds investis sur des actifs immobiliers américains.

Face à l'affolement des marchés et à la contraction soudaine et brutale du marché interbancaire, les banques centrales entrent en action. Elles injectent massivement des liquidités le jour même pour éviter toute crise du crédit.

A elle seule, la Banque centrale européenne (BCE) injecte 95 milliards d'euros dans le système bancaire de la zone euro, un montant supérieur aux 69 milliards injectés après l'attaque du 11 septembre 2001.

Le 18 septembre, la Réserve fédérale américaine (Fed) abaisse d'un demi-point le niveau de ses taux d'intérêt. Le taux des fonds fédéraux passe de 5,25% à 4,75%, un geste qui clôt un cycle de 17 hausses successives, débuté en juin 2004, du principal taux d'intérêt américain. Celui-ci tombera à zéro en décembre 2008, après la faillite à l'automne de Lehman Brothers et l'entrée en récession des grandes économies mondiales.

LE RÔLE VITAL DES BANQUES CENTRALES

Dix ans après, la crise financière a laissé des traces. "Je garde un souvenir très fort de cette période où le monde s'écroulait sur les marchés financiers", confie Eric Bourguignon, responsable des activités pour compte de tiers en France chez Swiss Life AM. "On n'avait jamais vécu un tel choc conjoncturel simultané dans le monde entier".

"J'ai toujours dit que je ne vivrai pas deux crises comme celle-là", déclare pour sa part Didier Le Ménestrel, PDG de la Financière de l'Echiquier.

Pour les gérants, la crise des "subprimes" a provoqué un bouleversement de la structure des marchés et de l'environnement d'investissement.

Le rôle joué par les banques centrales constitue un des grands changements de paradigme de ces dix dernières années. Face à la crise, elles ont pris des décisions importantes et souvent inédites : sauvetage d'établissements financiers, fourniture de liquidités, taux d'intérêts à zéro ou encore achats massifs de titres.

"Leur rôle a été vital", estime Michaël Aflalo, directeur des gestions chez BFT IM. Et dix ans après, le sauvetage le mois dernier de Banco Popular par la Banque centrale européenne (BCE), sans que cela ne provoque de remous particuliers sur les marchés, a démontré l'efficacité des mécanismes de solidarité et de résolution mis en place après la crise.

Ce sauvetage a aussi prouvé une nouvelle fois "l'affirmation du pouvoir des banques centrales face aux Etats", note Didier Le Ménestrel.

LA GESTION DU RISQUE AVANT TOUT

Mais l'action des banques centrales a aussi eu pour effet de chambouler l'allocation d'actifs. Avec des taux à zéro et un écrasement des "spreads", les écarts de rendement, la recherche de rendement est devenue un casse-tête et la gestion du risque a pris le pas.

"Il y a dix ans, la gestion était assez simple: les taux sans risque étaient autour de 4% à 5%, les marchés actions se portaient bien, les obligations des grandes entreprises françaises rapportaient entre 6% et 7%. On pouvait donc obtenir un rendement annuel assuré de 4%", se remémore Alexandre Neuvy, directeur de la gestion privée chez Amplegest.

"Aujourd'hui, face à des taux d'intérêts proches de zéro, la gestion du risque a pris une importance considérable. De nombreux investisseurs sont dans des logiques de maîtrise de la volatilité. Il acceptent moins de pouvoir perdre à court terme et donc d'investir à long terme dans une vision d'accompagnement des entreprises".

"La crise a changé le quotidien de la gestion", souligne pour sa part Michaël Aflalo, chez BFT IM. "L'environnement de taux faibles oblige à trouver de nouvelles solutions d'investissement, plus personnalisées."

Pour Laurent Gaetani, directeur général de Degroof Petercam Gestion, le marché a aussi beaucoup évolué. "La recherche de la diversification du risque et des sources d'opportunités s'est accrue, tout comme la flexibilité. On utilise également plus les stratégies de couverture", explique-t-il.

Dans le même temps, les gérants ont dû s'adapter à un durcissement de la réglementation.

UN CADRE RÉGLEMENTAIRE TOUJOURS PLUS STRICT

L'absence de transparence sur certains produits financiers, notamment les titres adossés à des actifs (ABS), mis en cause pendant la crise, a poussé les autorités à durcir considérablement la réglementation financière. Quitte à aller trop loin, regrettent plusieurs gérants.

"Aujourd'hui, on est dans la protection client, la transparence à tout prix", observe Sébastien Lalevée, chez Financière Arbevel.

"La réglementation est allée au-delà de ce qu'elle devait faire et du coup, elle participe à une aversion au risque qui est extrêmement dommageable", renchérit Didier Le Ménestrel.

La mise en oeuvre de la nouvelle directive des marchés d'instruments financiers (MIF 2) et du règlement PRIIPS sur les produits d'investissement, prévue début 2018, va encore renforcer les obligations des sociétés de gestion en terme de transparence, notamment concernant le reporting des fonds.

"Le réglement PRIIPS obligera à expliquer au client, avant même qu'il n'entre dans le fonds, quelle serait l'évolution du fonds en fonction de différents scénarios sur les marchés. On cherche à tout maîtriser à l'avance, ce qui est impossible", regrette Alexandre Neuvy chez Amplegest.

La directive MIF 2 devrait également conduire à la fin des rétrocessions de commissions pour les fonds gérés dans le cadre de mandats. Et rendre encore plus transparents les frais de gestion, déjà poussés à la baisse, entre autres par la concurrence de plus en plus vive de la gestion passive.

ETF, ROBOTS ACHETEURS ET GESTION QUANTITATIVE

Si l'essor de la gestion passive n'est pas directement lié à la crise, celle-ci a néanmoins considérablement contribué à son accélération, estiment certains gérants.

Selon la dernière étude de Deloitte sur l'industrie de la gestion d'actifs, la part de marché en Europe de la gestion passive est passée de 4% en 2002 à 15% en 2016.

Les investisseurs se sont notamment tournés vers les fonds indiciels cotés (ETF), des outils simples et surtout peu onéreux. Un avantage certain là où la crise a pu remettre en cause la plus-value revendiquée par les "stocks pickers" pour justifier des frais de gestion plus élevés.

D'après le cabinet d'analyses ETFGI, le nombre d'ETF commercialisés en Europe est passé de 273 en 2006 à 1.579 à la fin mai 2017.

De nouveaux acteurs de poids ont ainsi émergé, à l'instar de BlackRock, dont les encours ont quasiment quintuplé en dix ans passant de 1.100 milliards de dollars fin 2006 à 5.400 milliards actuellement.

"Conseillers financiers spécialisés, robo-advisors, assureurs, courtiers: l'écosystème financier au service des particuliers s'adapte pour proposer enfin des ETF", souligne Régis Yancovici, conseiller financier spécialiste des ETF et fondateur de Jinvestismoinscher.fr.

En France, l'encours des ETF à fin mars était de 79 milliards d'euros, soit 4% des encours totaux pour les OPC domiciliés dans l'Hexagone, selon l'Association française de la gestion financière (AFG).

"Ce qui a changé aussi, c'est la façon de passer les ordres. Les robots acheteurs sont partout, même sur les small et mid cap", les petites et moyennes capitalisations, observe par ailleurs Sébastien Lalevée, chez Financière Arbevel.

Le développement de la gestion dite quantitative, qui confie les décisions d'investissement à un programme mathématique, et des stratégies d'arbitrage, type "long-short", ont par ailleurs rendu la lecture des marchés plus complexe.

"Dès qu'une micro-tendance est repérée sur une classe d'actifs, automatiquement des positions sont prises sur d'autres classes d'actifs. De fait, il est parfois difficile de comprendre les variations de marché", souligne Alexandre Neuvy, chez Amplegest.

MARCHÉ DE FLUX ET BULLE DE LA DETTE

"La structure des marchés a vraiment changé mais la psychologie des investisseurs reste la même depuis la crise des tulipes en Hollande en 1636", observe pour sa part Bernard Aybran, directeur de la multigestion chez Invesco.

"Dans un marché qui performe, on trouve toujours de bonnes raisons pour continuer à performer", explique-t-il, citant en exemple l'engouement sur le secteur technologique américain.

Ce marché de flux n'est pas sans risque, selon Sébastien Lalevée. "Les marchés sont beaucoup plus algorithmés, beaucoup plus dans un momentum où la hausse entretient la hausse. Le jour où cela s'inversera, beaucoup de flux risquent de sortir rapidement", prévient le gérant.

Le bilan de l'action des banques centrales qui, dix ans après, commencent à peine à normaliser leur politique monétaire, est aussi controversé.

"On a sans doute évité le pire mais ces politiques ont eu pour effet d'encourager une bulle d'endettement encore plus grande que ce qu'on a connu en 2007", alerte Eric Bourguignon, chez Swiss Life AM. "On a soigné une crise de la dette par de nouvelles dettes".

Selon une étude publiée par l'Institute of International Finance (IIF), l'endettement à l'échelle mondiale a atteint cette année un record à 217.000 milliards de dollars (191.000 milliards d'euros), ce qui représente désormais 327% du produit intérieur brut mondial.

"Ça va quand les taux sont à zéro, mais que va-t-il se passer avec le resserrement monétaire des banques centrales ? Cela va forcément handicaper la croissance, car il faut bien, au final, rembourser les intérêts et la dette", pointe Alexandre Neuvy.

(édité par Marc Angrand)