"Je me suis dit qu'il fallait agir": le témoignage d'un médecin français parti en Ukraine

Quentin Estrade sur l'antenne de BFMTV le 6 décembre 2022.  - BFMTV
Quentin Estrade sur l'antenne de BFMTV le 6 décembre 2022. - BFMTV

Depuis dix jours, Quentin Estrade, interne en cardiologie originaire de la région de Narbonne, a rejoint l'hôpital de Mykolaïv, dans le sud de l'Ukraine. Sur place, il panse les plaies des soldats, des civils réchappés de bombardements, de l'ensemble des victimes collatérales de cette guerre qui sévit à l'est de l'Europe. Il était l'invité de BFMTV ce mardi matin.

Un élan humanitaire et patriotique

Il est d'abord revenu sur ce qui avait motivé son départ. La raison en est double. Le premier volet est humanitaire: "D’une part, en tant que médecin car je m’identifie à ces jeunes qui ont 26 ans comme moi, des deux côtés, qui s’entretuent, qui vivent des situations très dures. Je me suis dit: 'Si tu peux amener un peu de paix, une atténuation de la misère, il faut le faire'."

Le second facteur est patriotique: "D’autre part, en étant également réserviste, à Castelnaudary, dans la Légion étrangère, je me suis dit que si ça pouvait servir aussi l’intérêt de la France, il fallait le faire."

Son entrée en contact avec une association narbonnaise a fait le reste pour le dépêcher sur le front. Ou plus exactement à quelques dizaines de kilomètres en retrait des combats, depuis que la contre-offensive ukrainienne a gagné du terrain dans le sud du pays. Ce qui change bien sûr la nature des soins prodigués sur place comme l'a noté Quentin Estrade au moment de décrire son activité:

"À 90% c’est de la médecine civile, humanitaire où avec très peu de moyens on essaie de faire énormément. Ils recyclent les seringues qui en France sont à usage unique, là on est obligé de s’en resservir donc c’est très compliqué. Et on a 10% de médecine de guerre avec des blessés qui arrivent après des bombardements". "Ce sont des situations très dures, dramatiques, avec des amputations de membres et où on essaie de faire au mieux", a-t-il repris.

Il faut de surcroît se charger de la logistique, et même de la manutention. "Entre deux alertes bombardement, on descend parfois décharger des convois d’aide humanitaire", a-t-il expliqué. "Mon chef m’a dit – et je trouve cette phrase très belle : ‘On ne sait jamais ce qui arrive mais on sait qu’on en a besoin’".

Le psychologue

Mais le cardiologue n'est pas qu'un soignant. Ici, l'écoute du Français compte au moins autant que son stéthoscope: "Plus que l’action médicale, ce dont ils tiennent compte c’est qu’il y a un jeune de 26 ans qui est capable, neuf mois après le début de la guerre, de ne pas les oublier, de venir à leurs côtés, d’être un peu leur psychologue."

Il a illustré: "Tout le monde vient me voir, me parle, me raconte des situations de vie très compliquées : le froid, les coupures de courant, leur famille en exil depuis six mois, les liens rompus avec leur famille en Russie".

"Ils me racontent leur vie très dure et me disent: 'Toi, en France, à Narbonne, à Toulouse, tu fais quoi après le travail?' Et ça permet de leur transmettre un peu de vie, d’énergie. Ils me disent: 'Après la guerre, on viendra te voir en France'. Et je vois que ça leur fait chaud au cœur d’avoir ce témoignage humain, cet échange est important pour eux".

La guerre et au-delà

"L’accueil est très, très chaleureux, que ce soit de la part des médecins ou des personnes qu’on a la chance de pouvoir soigner, ou des Ukrainiens en général", a salué Quentin Estrade.

On ne voit, hélas, pas le bout de cette invasion. De toutes façons, le médecin envisage de continuer à soigner les blessures de la guerre même après la fin du conflit. Et ce, jusqu'en Russie. "Et si pour la France, pour la paix, et la concorde entre ces deux peuples, il faut retourner soigner à Mykolaïv ou après la fin de la guerre à Saint-Pétersbourg je le ferai", a-t-il promis. La souffrance, après tout, n'a pas d'uniforme.

Article original publié sur BFMTV.com