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Qui dit moins? Volkswagen mise sur la nouvelle chasse au CO2

VOLKSWAGEN MISE SUR LA NOUVELLE CHASSE AU CO2

par Christoph Steitz, Gilles Guillaume et Kate Abnett

FRANCFORT (Reuters) - Volkswagen a assoupli sa position sur de nouveaux objectifs européens plus stricts d'émissions de dioxyde de carbone dans le secteur automobile, s'estimant mieux placé que ses rivaux pour tirer son épingle du jeu, ont déclaré à Reuters des sources proches du dossier.

L'Union européenne a relevé le mois dernier ses ambitions en matière de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre, visant désormais une baisse de 55% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, et non plus seulement de 40%.

Les constructeurs européens découvriront en juillet ce que ce nouvel objectif implique pour leurs propres émissions de CO2. S'ouvrira alors un long processus de négociation qui pourrait durer jusqu'en 2022.

Trois sources ont dit à Reuters que Volkswagen, qui regroupe des marques comme Porsche, Audi, VW, Seat et Skoda, fait discrètement savoir aux décideurs européens qu'il serait prêt à soutenir des coupes de CO2 plus ambitieuses que celles que d'autres constructeurs sont disposés à accepter.

Les sources n'ont pas précisé quels objectifs spécifiques conviendraient au groupe allemand, mais cette position fragilise et inquiète les rivaux de taille plus modeste, qui espèrent de Bruxelles davantage de souplesse.

"C'est devenu une quête pour la survie", a déclaré une des sources proches de VW. "Vous ne pouvez pas attendre que les autres finissent par réduire leur retard."

Interrogé sur sa position sur les émissions de CO2, Volkswagen a répondu avoir déjà indiqué par le passé être favorable à des réductions ambitieuses. Il a également rappelé la position du secteur selon laquelle les nouveaux objectifs doivent être conditionnés à des engagements fermes des pays membres sur les infrastructures de recharge et les énergies renouvelables.

VW s'attend à ce que la Commission européenne préconise une baisse de 50% des émissions moyennes des voitures neuves d'ici 2030 et s'est préparé à une telle exigence.

Mais il pourrait même encaisser un tour de vis plus drastique encore.

Deuxième constructeur automobile mondial, le géant de Wolfsburg a pour ambition de supplanter l'américain Tesla en 2025 pour devenir le leader mondial des véhicules 100% électriques. Un tel agenda passe par la construction par VW de pas moins de six immenses usines de batteries d'ici 2030, et ce rien qu'en Europe.

TENSIONS A L'ACEA

Herbert Diess, 62 ans, a toutes les raisons d'être agressif.

Le constructeur a pris très tôt la décision de construire une plateforme unique pour ses véhicules électriques, il dispose d'un trésor de 24 milliards d'euros en cash et gagne rapidement des parts de marché sur les pionniers de l'électrique, notamment Renault.

Fort de sa puissance industrielle et financière, Volkswagen pourrait même atteindre la parité des coûts de fabrication entre une voiture électrique et une voiture à moteur thermique dès 2025, selon les analystes de la banque suisse UBS.

Cette question du rythme auquel les différents constructeurs européens pourront négocier la plus grosse révolution qu'ait connue l'industrie automobile depuis l'invention du moteur à explosion, suscite des tensions. Celles-ci ont été mises en lumière lors d'une réunion du bureau de l'Acea (Association des constructeurs européens d'automobiles) en mars, ont dit à Reuters deux sources proches du dossier.

Plusieurs dirigeants automobiles présents ce jour-là ont fait part de leur inquiétude face au prochain tour de vis envisagé par l'Union européenne, craignant qu'il condamne les motorisations thermiques trop tôt pour que l'électrique prenne le relais sans surcoût, ont ajouté les sources.

Mais à la surprise générale, notamment celle du nouveau directeur général de Renault, Luca de Meo, le président du directoire de Volkswagen, Herbert Diess, a lancé que le coût des véhicules électriques serait à parité avec le thermique dès le milieu de la décennie.

Volkswagen et Renault ont refusé de commenter le contenu de la réunion.

Une porte-parole de l'Acea a dit de son côté que l'organisation "ne faisait pas état du détail des discussions qui se tiennent lors des réunions de son bureau, car celles-ci sont des réunions internes de travail".

Elle a précisé toutefois à Reuters qu'au dernier rendez-vous, tous les dirigeants présents se sont dit ouverts à un durcissement des objectifs de CO2 pour les voitures à condition qu'il s'accompagne d'engagements des Etats membres sur le déploiement du réseau de points de recharge et de stations d'hydrogène.

L'ATOUT DE LA PLATEFORME "MEB"

Derrière cet accord de façade, il n'en reste pas moins que tous les constructeurs ne parviendront pas aussi facilement que VW à absorber des normes d'émission plus strictes, ont précisé des sources au fait de la réunion. Et si l'Acea est favorable à des objectifs plus ambitieux, elle s'est bien gardée jusqu'ici de les chiffrer publiquement.

La trajectoire actuelle prévoit une baisse de 37,5% des émissions de CO2 entre 2021 et 2030, ce qui revient à passer d'un plafond de 95 grammes au kilomètre à 59 grammes.

Selon une des sources proches du dossier, l'industrie se prépare maintenant à ce que la baisse attendue d'elle soit portée à au moins 50%. Mais au fil de l'examen du projet par le Parlement européen, l'objectif pourrait encore être durci à -55%, voire davantage, ajoute la source, ce qui accentuerait la pression sur les constructeurs les moins préparés.

Les marques purement premium peuvent se permettre de continuer à travailler à la fois sur des modèles thermiques et électriques, leurs clients regardant toujours moins à la dépense pour un modèle sportif ou de luxe, mais les généralistes se doivent de proposer des voitures électriques abordables.

S'il veut atteindre les volumes recherchés, Volkswagen doit donc parvenir rapidement à produire des voitures électriques en grand nombre, accessibles pour les clients et rentables pour l'entreprise.

Ressorti puissant financièrement du scandale du dieselgate qu'il a provoqué en 2015, VW a lancé une plateforme modulaire dédiée à l'électrique, "MEB", qui lui donne une marge de manoeuvre significative pour revenir dans la course sur cette technologie, en doublant même ses concurrents.

"Il y a cinq ans, nous avons décidé de construire une plateforme unique pour les voitures électriques. Beaucoup, dans l'industrie, avaient alors douté de notre approche", a rappelé Herbert Diess lors du "Power Day" du groupe le mois dernier.

"Aujourd'hui, ils nous emboîtent le pas, tandis que nous en récoltons les fruits."

LE LEADERSHIP DE RENAULT ATTAQUÉ

Avec le déploiement de sa gamme ID, notamment la berline compacte ID.3, Volkswagen a déjà commencé à prendre des parts de marché à Renault dans les voitures électriques en Europe, selon des chiffres du site de données EV-Volumes.com. "Renault occupe une position forte sur le marché européen des véhicules électriques depuis plusieurs années maintenant. Cela dit, avec les lancements de modèles concurrents chez VW et Stellantis, nous pensons que ce leadership est de plus en plus attaqué", estiment les analystes de Barclays.

La part de marché de l'ensemble du groupe Volkswagen sur le segment a bondi à 25% environ l'an dernier en Europe, contre 14% en 2019, dépassant celle de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, pionnier de l'électrique au début de la décennie précédente, mais dont le poids est passé en un an de 23% à 19%.

Au premier trimestre 2021, cette tendance s'est poursuivie, Renault se contentant de 15% du marché, au coude-à-coude avec Tesla pour la troisième position derrière Volkswagen (21%) et Stellantis (17%), selon EV.volumes.com.

Graphique interactif: https://tmsnrt.rs/3xbBkcx

L'atteinte des objectifs européens permet d'échapper à de lourdes amendes, voire de monnayer ses performances sous la forme de crédits de CO2, comme ceux vendus jusqu'à cette année par Tesla à l'ex-FCA. Stellantis, dont FCA fait désormais partie, compte toutefois se passer de ces crédits dès 2021 en Europe grâce à sa propre technologie.

Face à l'architecture MEB unique de VW, Renault - et son partenaire Nissan - ont aujourd'hui un éventail de plateformes électriques plus éparpillé.

Mais Luca de Meo, de dix ans le cadet de Herbert Diess, voit dans les architectures CMF B-EV (celle de la future R5 électrique) et CMF-A (la base du tout nouveau SUV urbain électrique Dacia Spring) un précieux atout pour que Renault garde la main sur une partie du marché.

"Nous avons des armes pour préparer l'avenir avec notre plateforme CMF-B-EV. C'est notre arme pour contrer Volkswagen", a dit le directeur général de Renault en présentant pour la première fois en interne fin 2020 sa stratégie de relance du constructeur français.

"Le segment des petites électriques de moins de 20.000 euros est un projet unique en Europe, que de nombreux concurrents vont nous envier", avait ajouté cet ancien de Volkswagen, où il a exercé des fonctions de direction pendant plus de dix ans avant de prendre les rênes du groupe au losange.

"Nous savions que la concurrence arrivait, ce n'est pas une grosse surprise pour nous", a commenté fin avril la directrice financière de Renault Clotilde Delbos lors de la publication du chiffre d'affaires du groupe au premier trimestre, qui a fait apparaître une cinquième baisse d'affilée.

En dépit de ce calme apparent, la perspective d'une mort prématurée des moteurs à explosion et à combustion, si le coût de leur dépollution devenait prohibitif, est surveillée au plus haut niveau de l'Etat français, principal actionnaire de Renault.

Le ministre des Finances Bruno Le Maire a qualifié mi-avril d'excessives certaines propositions pour la nouvelle norme Euro 7 pour les émissions polluantes, également en discussion. "Nos constructeurs ne pourront pas suivre", a-t-il prévenu.

(Avec David Clarke, édité par Jean-Michel Bélot)