De la dissolution aux tractations pour Matignon, le récit d’un été politique chaotique

Emmanuel Macron photographié lors de la cérémonie d’ouverture des JO, le 26 juillet à Paris.
ODD ANDERSEN / AFP Emmanuel Macron photographié lors de la cérémonie d’ouverture des JO, le 26 juillet à Paris.

POLITIQUE - Tout est parti d’un chiffre catastrophique : 14,6 %. Le score en guise de gifle obtenu par Valérie Hayer, candidate du camp présidentiel, aux élections européennes. Nous sommes le dimanche 9 juin, 20 heures, et l’extrême droite réalise un score historique. Les Français ne le savent pas encore, mais le paysage politique va basculer dans l’inconnu une heure plus tard.

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À 20 h 50, l’entourage du chef de l’État prévient les journalistes qu’un débrief suivra la prise de parole d’Emmanuel Macron, annoncée dans la foulée des résultats, tandis que le RN demande déjà la dissolution de l’Assemblée. L’usage est inhabituel. Quelque chose se trame.

Coup de tonnerre

La suite, désormais, est connue. Dissolution et tempête politique. Des élections législatives sont convoquées trois semaines plus tard. Le temps s’accélère et, face au péril frontiste, la gauche parvient à s’unir autour du Nouveau Front populaire. De François Hollande à Philippe Poutou. Le RN s’imagine déjà à Matignon, fort du ralliement tragi-comique du président des Républicains Éric Ciotti et de l’explosion de Reconquête. Sentant la débâcle venir, le camp présidentiel est autant sonné que sidéré.

Le 30 juin, au soir du premier tour, l’impensable devient concret. Avec 34 % des voix, le parti présidé par Jordan Bardella arrive largement en tête, à six points de la coalition de gauche et à 14 du camp présidentiel. Casquette nazie, propos homophobes, crashs en direct… Ce que le parti d’extrême droite s’employait à cacher ressurgit brutalement dans l’entre deux tours à travers des candidatures aussi sulfureuses que catastrophiques.

Au second tour, le « front républicain » joue à plein. Aidé par une participation record, il empêche la victoire du RN. Mais il ne suffit pas d’écarter le péril lepéniste pour solder la crise politique. Si le NFP arrive en première position le 7 juillet, l’Assemblée est désormais divisée en trois blocs principaux, tandis que Jordan Bardella prend la direction du Parlement européen pour présider un groupe parlementaire aux côtés d’un nostalgique de Mussolini.

L’impasse

Personne ne dispose d’une majorité absolue, ce qui permet au chef de l’État de ne pas se tourner vers sa gauche pour former un gouvernement, malgré la victoire revendiquée par un NFP qui se lance dans une navrante négociation à ciel ouvert pour désigner une incarnation. Il dit attendre que les rapports de force se dessinent au Palais Bourbon. Si la candidate de son camp, Yaël Braun-Pivet, est bien réélue au Perchoir (à la faveur d’un accord avec la droite) elle se retrouve en minorité au bureau de l’Assemblée nationale, dominé par la gauche, qui se trouve manifestement plus unie au Palais Bourbon qu’entre quatre murs pour choisir un candidat pour Matignon.

Pas de quoi faciliter la tâche du chef de l’État qui, ayant accepté la démission de son gouvernement le 17 juillet, décrète une trêve politique le temps des Jeux olympiques, alors que le NFP finit par sortir un nom de son chapeau : Lucie Castets. Une parfaite inconnue jetée dans le grand bain au terme d’un accouchement difficile, marqué par les querelles médiatiques autour des options Huguette Bello et Laurence Tubiana. Si la désignation de l’énarque de 37 ans constitue un pas de géant pour la gauche, sa candidature est rejetée, une première fois et à demi-mot, par Emmanuel Macron. Pas pressé, le chef de l’État renvoie à la fin des JO pour discuter de Matignon, préférant savourer l’instant olympique.

Faux plat

La trêve n’en est pas vraiment une. Emmanuel Macron ne rate ni une médaille ni une occasion de câliner un champion. Dans l’ombre médiatique, Lucie Castets essaie tant bien que mal de faire vivre sa candidature, alors que l’attention des Français est surtout rivée sur les exploits de Léon Marchand et Teddy Riner. L’actualité se dessine en faux plat. La Macronie accuse la gauche de snober les Jeux (ce qui est a minima exagéré) tandis que l’extrême droite, affectée par sa désillusion aux législatives, se console en fustigeant une cérémonie d’ouverture jugée « wokiste ». Dans la torpeur estivale, et alors que le gouvernement est (toujours) démissionnaire, des premières options pour Matignon sont balancées dans la presse.

Pas vraiment des profils disruptifs : Xavier Bertrand pour la droite, et Bernard Cazeneuve pour la gauche. Ils sont nombreux en Macronie à croire en ces solutions, jugées plus aptes à constituer une majorité, voire à former un gouvernement de coalition, que la candidate désignée par le NFP, accusée d’être inféodée à La France insoumise. Le temps passe et les JO touchent à leur fin. Logiquement, Emmanuel Macron est pressé par ses adversaires, mais aussi par son camp, de nommer un Premier ministre. Mais les jours se suivent, et rien ne vient. Les insoumis s’impatientent, et menacent Emmanuel Macron de destitution s’il ne nomme pas Lucie Castets. Un coup d’épée dans l’eau qui va surtout diviser la gauche.

Consultations

Tout le monde y va de son portrait-robot. François Bayrou, président du MoDem depuis 17 ans, appelle le chef de l’État à mettre les partis hors-jeu. En parallèle, un autre nom apparaît : celui du maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane. Le 16 août, le président (qui pense pouvoir garder la main) convoque les forces politiques pour une série de consultations organisée à l’Élysée la semaine suivante. Entre-temps, le Premier ministre Gabriel Attal, pourtant démissionnaire, décide d’une trame budgétaire qui fait hurler la gauche.

Vendredi 23 août, les consultations démarrent, et c’est la gauche qui est reçue en premier. Et comme toutes parties prenantes campent sur leurs positions, ces rendez-vous ne donnent rien. Et c’est le chef de l’État qui l’admettra, le 27 août, en écartant dans un communiqué la candidature de Lucie Castets, que la Macronie promet de censurer, de concert avec le RN. Et ce, qu’importe si des insoumis participaient, ou non, à son dispositif gouvernemental. L’espoir de voir un Premier ministre nommé avant les Jeux paralympiques s’évapore.

Emmanuel Macron justifie ce choix au nom de la « stabilité institutionnelle », et somme implicitement les socialistes, écologistes et communistes de rompre avec LFI, tandis qu’il appelle les formations « républicaines » à participer à une deuxième phase de concertations. C’est raté. Le NFP reste uni et refuse de retourner à l’Élysée dans ces conditions. La droite, seul parti d’opposition à avoir accepté d’y retourner, sort du rendez-vous en haussant le ton. « Plus aucune raison de procrastiner », gronde Laurent Wauquiez. Sans succès. Cela fait maintenant plus de 50 jours que le camp présidentiel a été défait aux législatives provoquées par Emmanuel Macron, mais rien ne bouge.

Sauf sur le plan diplomatique. Jeudi 29 août, le chef de l’État s’envole pour la Serbie. Depuis Belgrade, il assure qu’il fait tout son possible pour « aboutir à la meilleure solution pour le pays ». Ce week-end, le Président planchera encore sur cette question, alors que la solution idéale semble chimérique. Auprès du HuffPost, son entourage confirme qu’une décision pourrait intervenir avant ce lundi 2 septembre. Avant d’ajouter : « sans être certain de rien, évidemment ».

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