Discours de Michel Barnier : « C’est un discours de bon père de famille, sans prise de risque », estime Philippe Moreau-Chevrolet

Ecoute, respect et dialogue. Trois mots martelés par Michel Barnier durant sa déclaration de politique générale devant les députés. « Je l’ai dit dès le premier jour : nous écouterons et nous respecterons chacune et chacun d’entre vous », a notamment affirmé l’ancien commissaire européen. Face à une Assemblée politiquement fracturée, le premier ministre a voulu rassurer, se démarquer de ses prédécesseurs et se poser en défenseur de l’intérêt général. S’il s’est démarqué par son flegme et son calme, le fond du discours reste prudent et témoigne d’une marge de manœuvre politique extrêmement restreinte. En effet, alors que ses soutiens et les membres de son gouvernement affichent leurs priorités et leurs lignes rouges, la véritable capacité d’action de Michel Barnier reste incertaine. Néanmoins, le gouvernement Barnier est toujours sous la menace de l’adoption d’une motion de censure dans les semaines qui viennent, le Rassemblement national continuant de faire planer le doute sur sa volonté de voter une motion de censure.  

Un discours d’apaisement, mais très général  

Durant son discours, l’ancien négociateur de l’Union européenne pour le Brexit a voulu cultiver l’image d’un homme calme, notamment face aux huées d’une partie de l’hémicycle. « C’est un discours qui se veut rassurant, calme, il pèse tous ses mots. Il cherche absolument à éviter les clivages, il se pose en négociateur », analyse Philippe Moreau-Chevrolet, enseignant en communication politique à Sciences Po Paris et co-fondateur de l’agence MCBG conseil. « C’est un homme qui n’a rien à prouver et qui le met en avant, on sent qu’il essaye d’imprimer un rythme, un peu lent, un peu austère mais aussi avec simplicité et humilité », abonde Emilie Zapalski, fondatrice de l’agence Emilie Conseil, spécialisée en communication politique. Une approche qui tranche avec la tension qui règne en séance depuis la dernière élection présidentielle.  

En présentant ses « chantiers prioritaires » (pouvoir d’achat, qualité des services publics, sécurité au quotidien, maîtrise de l’immigration, fraternité), Michel Barnier souhaite « se placer en serviteur de l’intérêt général », juge Emilie Zapalski. Néanmoins, malgré ces priorités, le contenu du discours de politique général reste vague et peu d’annonces ont été faites. « C’est un discours de bon père de famille, mais c’est une déclaration de politique très générale, sans prise de risque », constate Philippe Moreau-Chevrolet. Sur la plupart des sujets, Michel Barnier formule davantage des invitations à la discussion que des pistes claires de travail.  

Renouer le dialogue  

Si la teneur du discours était aussi générale, c’est sans doute pour crédibiliser la méthode que le premier ministre souhaite mettre en œuvre. En effet, l’approche « jupitérienne » d’Emmanuel Macron a pu crisper, au Parlement comme au sein des classes moyennes et populaires. « Il a voulu rassurer les classes moyennes en faisant presque un inventaire à la Prévert des professions et catégories sociales à rassurer comme les aides-soignants, les professeurs, les policiers », relève Philippe Moreau-Chevrolet.  

Michel Barnier a également insisté sur sa volonté d’amorcer « un renouveau du dialogue social », sur son souhait que « le Parlement, débatte, ajuste, améliore » ou sur son respect et sa confiance envers les partenaires sociaux. Une approche qu’il compte mettre en œuvre pour la négociation d’une réforme de l’assurance chômage, sur une adaptation de la réforme des retraites ou sur la loi sur la fin de vie. Une façon, peut-être, de se démarquer de ses prédécesseurs et particulièrement de Gabriel Attal. Dans son discours de politique générale, l’ancien locataire de Matignon avait multiplié les annonces affichant son volontarisme politique et son envie d’insuffler une nouvelle phase du macronisme. « Cela lui permet de critiquer en creux la méthode macroniste, en prônant une approche qui respecte et qui considère un peu plus tout le monde. Cela donne l’impression d’une recherche du compromis », considère Emilie Zapalski.  

Un premier ministre macroniste ?  

Un point pas forcément partagé par Philippe Moreau-Chevrolet qui pointe à l’inverse la posture très « centriste » du premier ministre : « Il incarne, presque physiquement, les électeurs macronistes qui sont en grande partie des seniors issus de catégories socio-professionnelles supérieures ». Le communicant y voit pratiquement un retour au macronisme d’origine prônant le dépassement des clivages politiques, le refus des positions dogmatiques, tout en plaçant l’ordre et la stabilité des finances publiques comme priorités. « Sur le fond, je n’ai rien vu de nouveau, on est passé de la start-up nation à la carte senior », continue le communicant.  

Une marge de manœuvre extrêmement faible  

Tout au long de son discours, Michel Barnier a fait preuve d’une certaine prudence, symbole de sa faible assise politique à l’Assemblée nationale. « Il va de la taxe des superprofits jusqu’à l’immigration », note Emilie Zapalski qui y voit une façon de ménager les différentes forces politiques. Malgré une ouverture sur la fiscalité, critiquée par les députés du groupe Ensemble pour la République, la longévité du gouvernement de Michel Barnier reste entre les mains du Rassemblement national. Sur deux de ses chantiers prioritaires, la sécurité et l’immigration, Michel Barnier a repris une partie du discours de la droite la plus dure, affirmant par exemple que la France ne maîtrise pas « de manière satisfaisante [sa] politique migratoire ». « Il sera toujours surveillé par le RN, c’est d’ailleurs sur sa proposition de créer des peines courtes qu’il a été le plus précis », estime Emilie Zapalski. « L’extrême-droite a eu droit à quelques clins d’œil sur l’immigration. Puis lorsqu’il a évoqué les discriminations et le racisme, il a aussi insisté sur les dangers du communautarisme », souligne Philippe Moreau-Chevrolet.