D'ex-rebelles détaillent le rôle d'un proche de Poutine en Ukraine

L'un des principaux lieutenants de Vladimir Poutine supervise étroitement la gestion de l'administration rebelle pro-russe dans l'est de l'Ukraine, assurent trois anciens responsables séparatistes dont les propos contredisent les affirmations de Moscou, qui dément tirer les ficelles dans la région. /Photo d'archives/REUTERS/Alexander Ermochenko

par Anton Zverev MOSCOU (Reuters) - L'un des principaux lieutenants de Vladimir Poutine supervise étroitement la gestion de l'administration rebelle pro-russe dans l'est de l'Ukraine, assurent trois anciens responsables séparatistes dont les propos contredisent les affirmations de Moscou, qui dément tirer les ficelles dans la région. Les trois hommes, qui ont joué un rôle de premier plan au sein du mouvement rebelle dans le Donbass, ont livré en détail à Reuters des récits sur les fonctions exercées par le très discret Vladislav Sourkov. Selon le Kremlin, ce proche de Vladimir Poutine, qui collabore avec lui depuis 1999, est le conseiller officiel du président russe sur l'Ukraine. L'étendue de son influence et de ses pouvoirs n'est ni précisée ni reconnue par la Russie. Moscou admet avoir de l'influence sur l'ancienne république soviétique mais refuse l'étiquette de protagoniste. Dans leurs récits, les trois ex-rebelles déclarent que Vladislav Sourkov contrôle la situation sur le terrain grâce à des hommes de confiance et consolide les structures du pouvoir de manière à répondre aux desiderata de Moscou. "Tout appel de Moscou (...) est considéré comme un appel venant du bureau de Dieu en personne et on ne discute pas, c'est appliqué immédiatement", assure Alexeï Alexandrov, l'un des chefs de la rébellion à Donetsk, qui a depuis quitté la région. Deux autres dirigeants séparatistes confirment, tout en souhaitant rester anonymes. Ces trois récits sur le rôle de Vladislav Sourkov, qui suggèrent que les chefs séparatistes ne prennent aucune importante décision non militaire sans son aval, n'ont pu être vérifiés de manière indépendante. Ni Vladislav Sourkov, ni le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ni la présidence ukrainienne n'ont souhaité répondre aux questions de Reuters à ce sujet. "NOS ONCLES DE MOSCOU" Le fait qu'Alexeï Alexandrov et les deux autres ex-rebelles soient prêts à parler souligne le nouveau degré d'animosité prévalant entre Moscou et certains de ceux qui considéraient auparavant le Kremlin comme un allié. Ces séparatistes estiment que leur soulèvement, entamé en avril 2014, a été détourné par la Russie, qui a installé sur place des fidèles dont les intérêts régionaux ne sont pas la première préoccupation. Tous trois disent que Moscou a progressivement écarté la plupart des séparatistes qui se trouvaient à l'origine du soulèvement en usant de menaces de mort ou de détention. "Au début, on était un peu naïfs, on pensait que nos oncles de Moscou ne comprenaient peut-être tout simplement pas ce qu'il se passait ici, quand nos camarades de Moscou nous traitaient comme des chiens", raconte l'un d'eux. "Puis j'ai réalisé qu'ils comprenaient tout, et qu'ils voulaient simplement qu'on se taise." Considéré par les Occidentaux comme l'un des architectes de l'annexion de la Crimée, péninsule ukrainienne depuis 1954, par la Russie en mars 2014, Vladislav Sourkov a été placé sur liste noire par les Etats-Unis et l'Union européenne en mars dernier. Il a déclaré à un journal russe qu'être placé sur la liste noire par Washington était pour lui "un grand honneur". Les trois témoins interrogés par Reuters racontent le rôle qu'il a joué par dans la désignation d'Alexandre Zakhartchenko, l'actuel dirigeant de la République populaire autoproclamée de Donetsk (DNR), la plus grande entité séparatiste par la population. Durant l'été 2014, cet ancien électricien d'une houillère du Donbass commande une milice rebelle dans la région lorsqu'il est convoqué à Moscou. Les chefs séparatistes le voient bien ministre de la Défense de leur gouvernement sécessionniste. Mais lors de la réunion avec Vladislav Sourkov, un autre projet émerge : Alexandre Zakhartchenko sera le chef politique et militaire des séparatistes de Donetsk. Le message est transmis en Ukraine. NOMS DE CODE A l'époque, la rébellion de Donetsk est dirigée par deux hommes qui se décrivent eux-mêmes comme des volontaires venus de Russie. L'ancien journaliste d'extrême droite Alexandre Borodaï est le chef politique de la République populaire et Igor Strelkov, qui dit avoir été un agent du FSB (services de sécurité russes), est le chef militaire. Moscou souhaite les remplacer par un Ukrainien afin de montrer aux Occidentaux que le soulèvement n'est pas manipulé de l'étranger, explique à Reuters Alexandre Borodaï. La Russie choisit Alexandre Zakhartchenko car il est considéré comme un homme facile à contrôler, dit l'une des trois sources rebelles. Sur ordre direct de Moscou, Alexandre Borodaï et Igor Strelkov quittent discrètement leurs fonctions et franchissent la frontière pour rejoindre la Russie. Alexandre Zakhartchenko a pris le pouvoir. Ce récit est celui que livre Alexeï Alexandrov, qui a des liens étroits avec Alexandre Zakhartchenko et a eu affaire de nombreuses fois à Vladislav Sourkov. Il est corroboré par un autre dirigeant rebelle ayant demandé à rester anonyme. Alexandre Zakhartchenko est ensuite confirmé à son poste par une élection. Une équipe de proches de Vladislav Sourkov se rend à Donetsk pour l'aider à piloter sa campagne, affirme encore Alexeï Alexandrov, ce que n'a pas pu vérifier Reuters. Selon lui, ces hommes n'ont jamais livré leur véritable nom et utilisaient des noms de code. Prié de dire comment il a su qu'ils travaillaient pour Vladislav Sourkov, il répond : "Ils ne s'en cachaient pas. Ils le criaient haut et fort à la première occasion." Cinq sources, dont l'une proche de l'administration présidentielle en Russie et une autre qui a travaillé avec Vladislav Sourkov au Kremlin, soulignent que ce dernier a régulièrement des réunions avec les chefs séparatistes, que ce soit en Russie ou en territoire rebelle. Le lieutenant de Poutine reste impliqué encore aujourd'hui dans le conflit, trois ans après le début du soulèvement. (Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Gilles Trequesser)