Destitution d'Emmanuel Macron : la procédure portée par LFI a-t-elle une chance d'aboutir ?

Jugée recevable par le bureau de l'Assemblée, la procédure de destitution d'Emmanuel Macron, menée par La France insoumise, n'a que très peu de chance d'aller à son terme. Explications.

Emmanuel Macron peut-il être destitué ? (Photo : Manon Cruz / POOL / AFP)

Une procédure d'exception, qui n'a encore jamais été menée à son terme dans l'histoire de la Ve République. Portée par LFI, la procédure de destitution d'Emmanuel Macron a été jugée recevable par le bureau de l'Assemblée ce jeudi. Mais comment fonctionne cette procédure, qui n'a que très peu de chances d'aboutir.

Cette menace brandie par les Insoumis fait directement référence à l'article 68 de la Constitution française, qui fixe les conditions dans lesquelles le président de la République, élu au suffrage universel, peut être destitué.

Contrairement à ce qui lui est reproché par certains de ses opposants politiques, LFI ne sort donc pas du cadre républicain en invoquant une possible destitution d'Emmanuel Macron.

Relativement court et théorique, cet article 68 est par ailleurs complété par la loi organique du 24 novembre 2014, qui détaille la marche à suivre pour qu'une procédure de destitution du président de la République soit menée à bien.

Comme le stipule l'article 68, la destitution du président ne peut être engagée "qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". Dans la version originale de la Constitution de 1958, le même article réservait la procédure de destitution aux cas de "haute trahison", mais une révision constitutionnelle de 2007 en a modifié les termes, car la notion de "haute trahison" était jugée trop floue et incertaine.

Pas sûr, toutefois, que la définition du "manquement" aux devoirs du président soit beaucoup plus précise. D'après le site gouvernemental Vie publique, "le 'manquement' en cause peut concerner le comportement politique, mais aussi privé, du Président, à condition que ses actes aient porté atteinte à la dignité de sa fonction". Toute la question est donc de savoir qui fixe le cadre de la "dignité de la fonction" du président et qui peut décider qu'il y a "porté atteinte".

L'article 68 répond directement et d'emblée à cette question : la destitution du président de la République ne peut être prononcée que "par le Parlement constitué en Haute Cour". En pratique, donc, les deux assemblées françaises, l'Assemblée nationale et le Sénat, doivent obligatoirement se réunir pour étudier la possibilité de mettre fin prématurément au mandat d'un président.

Comme le précise l'article 68, la Haute Cour est "présidée par le président de l'Assemblée nationale" et "statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution". Pour que cette dernière soit prononcée, il faut nécessairement qu'elle réunisse un total de voix correspondant à "la majorité des deux tiers des membres composant" la Haute Cour.

Sur le papier, donc, la procédure semble relativement simple : lorsqu'une procédure de destitution est engagée, la Haute Cour se réunit et un vote est organisé. Si la proposition de destitution réunit un total de voix correspondant à deux tiers (ou plus) du nombre de parlementaires composant la Haute Cour, le président est destitué.

Dans les faits, toutefois, le mécanisme est loin d'être aussi limpide et la Haute Cour n'a d'ailleurs jamais été réunie, à ce jour, dans l'histoire de la Ve République. Avant de parvenir à ce stade, il faut en effet passer par toute une série d'étapes qui complexifient grandement la donne. Ces étapes sont notamment définies par la loi organique du 24 novembre 2014, qui fixe les conditions d'application de l'article 68.

Cette loi organique indique ainsi, dès son article 1, que "la décision de réunir la Haute Cour résulte de l'adoption d'une proposition de résolution par les deux assemblées du Parlement". Au départ de la procédure de destitution du président de la République se trouve donc cette "proposition de résolution" d'une importance capitale.

Cette dernière doit justifier "des motifs susceptibles de caractériser un manquement" correspondant à l'article 68 et être "signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée devant laquelle elle est déposée". La proposition de résolution doit donc, dans un premier temps, être transmise à l'Assemblée nationale ou au Sénat, par un certain nombre de députés ou de sénateurs.

Comme le stipule l'article 2 de la loi organique de 2014, une fois qu'elle est émise, cette proposition est transmise au Bureau de la Chambre concernée. Ce dernier doit alors vérifier "sa recevabilité au regard des conditions posées à l'article 1er". Si le bureau juge que la proposition n'est pas recevable, celle-ci est immédiatement abandonnée et ne pourra donner lieu à une réunion de la Haute Cour.

Un exemple récent illustre parfaitement l'importance de cette étape préliminaire. En 2016, 79 députés Les Républicains (LR) avaient ainsi déposé une proposition de résolution dans le but de destituer le président de la République François Hollande pour divulgation d’informations secrètes. La procédure avait cependant tourné court, car la proposition de résolution avait été rejetée "dès son examen par le bureau de l’Assemblée nationale", selon Le Monde.

Si le Bureau de l'Assemblée nationale (ou du Sénat) juge recevable une proposition de résolution, cette dernière poursuit sa route, mais est encore loin d'aboutir. La proposition validée par le Bureau est ainsi transmise dans la foulée "à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelle", pour une deuxième étape de validation, étape à laquelle nous somme dans le cas actuel.

Cette commission doit en effet décider si la proposition de résolution est conforme aux différents articles de la Constitution française. Si elle juge que ce n'est pas le cas, la proposition est définitivement abandonnée. Dans le cas où la proposition est jugée conforme à la Constitution, elle doit ensuite être soumise aux votes de l'assemblée où elle a été déposée, dans un délai de quinze jours.

Placée à l'ordre du jour et proposée aux votes des parlementaires, la proposition de résolution fonctionne alors comme une proposition de loi ordinaire : si elle réunit plus de la moitié des suffrages exprimés, elle est adoptée. Dans ce cas, elle est ensuite automatiquement transmise à l'autre Chambre, qui doit à son tour se prononcer dans un délai de quinze jours. Si la deuxième Chambre adopte à son tour la proposition de résolution, la procédure de réunion de la Haute Cour est déclenchée.

À la lecture de ces différents éléments, il semble hasardeux d'imaginer que la procédure évoquée par LFI puisse être menée à son terme. Avant même de savoir si les deux tiers du Parlement pourraient voter pour la destitution d'Emmanuel Macron, il faudrait en effet qu'une hypothétique proposition de résolution déposée par LFI soit adoptée par l'Assemblée. Or, cela semble complètement irréalisable, compte tenu notamment du fait que certains alliés de LFI au sein du NFP, notamment le PS, ont d'ores et déjà annoncé qu'ils s'opposaient à l'idée d'une destitution d'Emmanuel Macron.