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Le dessinateur Jul tourne en dérision la gestion de la pandémie de Covid-19 dans "Silex and the City"

Le pangolin dans
Le pangolin dans

Scénariste et dessinateur de bande dessinée, et ancien de Charlie Hebdo, Jul tourne en dérision dans ses albums les tares de notre temps. Si le dernier Lucky Luke, Un cowboy dans le coton, qu'il a publié avec Ashdé en octobre dernier, faisait involontairement écho à l'actualité marquée par les violences policières, son Silex and the City s'empare tout à fait consciemment de la pandémie et du confinement.

Dans La Dérive des confinements, ce nouvel album de Silex and the City "miroir de notre société", se moque de la manière dont la France gère la crise sanitaire et revisite les grands moments de l’année, des mesures de distanciation sociale à la folie dans les supermarchés en passant par Didier Raoult.

"On parle de quelque chose de grotesque, mais aussi de véritablement tragique", précise cependant Jul. "Des gens sont morts non seulement dans la souffrance, mais aussi dans l’indignité. Des gens ont été enterrés à la sauvette. Ils ont été entassés comme de la viande dans des couloirs les uns par-dessus les autres. On a vu ça dans le monde entier. Il faut parler de cette inhumanité quand on fait une BD rétrospective sur cette folie et sur cette 'dérive des confinements'."

Alors qu’il travaille sur le casting du film Silex and the City et qu’il prépare le prochain Lucky Luke, Jul commente plusieurs scènes de son nouvel album qu’il présente comme un vaccin contre la Covid-19: "Il est remboursé par la sécurité sociale, on a négocié avec Olivier Véran."

La dérive des confinements

"L’enjeu de l’album a été de faire quelque chose de plus approfondi que les blagues qu’on trouvait sur Internet. il y en a eu plein, parce que l’humour a été d’un grand recours au moment des confinements pour mettre à distance cette paralysie qui pouvait nous prendre. [Le titre fait référence à] l’approximation totale, autant politique que sociale, sur toutes ces questions. La situation était complètement nouvelle, tout a sans arrêt été de pire en pire, par une accumulation de mauvais choix: il ne fallait pas mettre de masque, puis il a fallu en mettre. Il fallait laisser les écoles ouvrir, puis il a fallu les fermer. Ce truc-là, c’est de la pure dérive. Le tout asséné avec une certitude absolue. Ce titre, c’est une façon de dire vous n’en savez pas plus qu’il y a 40.000 ans, peut-être."

Les masques

"Cette page permet de montrer ce que les masques racontent de nos sociétés. On peut avoir une interprétation un peu intello de cette page, en y voyant une référence à La Voie des masques de [l’ethnologue Claude] Lévi-Strauss: le masque est une forme de pensée magique, pour écarter le mal. Associer les masques à des rituels chamaniques permet aussi de raconter l’approximation, l’improvisation et les croyances qui sous-tendent toute l’action publique dans ces moments d’épidémie."

Orang-Outan

"Je cherchais un jeu de mot avec Didier Raoult. J’ai hésité avec les 'mammoults'. Oraoultang, c’était pas mal. Je trouvais qu’il pouvait être dessiné de manière amusante. Comme j’avais inventé ce truc, la bananosilexidrine, un mélange de banane et de silex pilé censé nous guérir, c’était bien que ce soit un primate."

La distanciation sociale

"On a tous été étourdis par la dimension kafkaïenne des réglementations et de la paperasse. À partir du moment où on a commencé à définir les gestes barrières, il y a eu une espèce de minutie qui touchait à l’absurde. J’ai vu partout des gens mesurer avec un mètre ruban exactement à quelle distance il fallait être les uns des autres en pensant que le virus allait s’arrêter à 1 mètre 50. Il y avait cette espèce de côté dérisoire. L’idée de déplacer des stalactites dans Silex mettait en abîme l’absurdité totale de ces réglementations ultra changeantes."

La délation

"Ce personnage a une espèce de regard de poisson d’eau profonde assez dépourvu d’humanité. Cette scène représente la méfiance caractéristique des Français et leur côté délateur, vichyste qui ressort à chaque fois qu’il y a des crises, dès qu’ils sont un petit peu mis en difficulté. La France s’est illustrée dans plusieurs épisodes de l’Histoire à la fois pour sa bravoure et pour sa lâcheté, avec notamment le mythe des résistants de la dernière heure."

La guerre des herbivores

"On a tous été témoins de ces démonstrations d’angoisse dans les supermarchés. On est tous entrés dans des magasins où les rayons de PQ avaient été complètement pillés. Il y a eu beaucoup de blagues là-dessus. On a pu voir des scènes de bagarres dans les supermarchés avec des gens qu’on n’aurait jamais soupçonnés d’une telle agressivité: des bonnes mères de famille, des gens apparemment inoffensifs, des citoyens lambda ont pu se transformer en prédateurs sous l’effet de la panique. Que ce soit les herbivores qui s’entretuent de manière encore plus brutale que les Tyrannosaurus rex est assez révélateur... Dans Silex, je ne transforme pas la réalité, je l’amplifie, je la révèle."

Silex and the City, T. 9, La Dérive des confinements, Dargaud, 48 pages, 14,50 euros.

Article original publié sur BFMTV.com