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Des témoins clefs "indisponibles" pour le procès de Tarnac

Le procès de huit militants anticapitalistes du groupe dit de Tarnac a commencé mardi à Paris par la longue énumération de témoins clefs qui ont fait savoir qu'ils étaient indisponibles, comme l'ancienne ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie. /Photo d'archives/REUTERS

par Emmanuel Jarry

PARIS (Reuters) - Le procès de huit militants anticapitalistes du groupe dit de Tarnac a commencé mardi à Paris par l'énumération de témoins clefs qui ont fait savoir qu'ils étaient indisponibles, comme l'ancienne ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie.

Les avocats de ces cinq hommes et trois femmes de 31 à 43 ans entendent faire des trois semaines d'audience prévues le procès des errements de l'enquête sur le sabotage de caténaires du réseau de TGV qui a conduit à leur arrestation en 2008, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Ils ont ainsi obtenu du tribunal qu'il accepte de se transporter le 23 mars en Seine-et-Marne, sur les lieux d'un de ces sabotages, pour tenter de démontrer les failles du dossier.

Un tel transport, exceptionnel dans un procès correctionnel, est "utile à la manifestation de la vérité", est convenue la présidente du tribunal, Corinne Goetzmann.

En 2008, les prévenus étaient présentés par les autorités de l'époque comme des terroristes en puissance de la mouvance "anarcho-autonome". Mais la Cour de cassation a définitivement écarté la qualification terroriste le 10 janvier 2017.

Après neuf ans de procédure, quatre d'entre eux, dont Julien Coupat, présenté alors comme leur chef et idéologue, et son ex-compagne Yildune Levy répondent essentiellement d'association de malfaiteurs et, pour les deux derniers, de dégradation de matériel ferroviaire, accusation qu'ils ont toujours contestée.

Ces quatre personnes encourent cinq ans de prison. Leurs coprévenus comparaissent pour des délits mineurs, de la falsification de documents au refus de prélèvement d'ADN.

Tous avaient été rapidement libérés après leur arrestation, à l'exception de Julien Coupat, qui a fait six mois de prison, et Yildune Levy, qui en a fait deux.

Leurs avocats ont cité à comparaître une cinquantaine de témoins à l'appui de leur thèse d'un dossier bâti selon eux pour couvrir les erreurs de l'enquête et sous influence politique.

Michèle Alliot-Marie avait évoqué aussitôt après leur arrestation, le 11 novembre 2008, une "résurgence violente de l'extrême gauche radicale". Jean-Claude Marin, alors procureur de la République, avait estimé que Tarnac, village corrézien de 300 habitants où les prévenus vivaient en communauté, était la base arrière d'"un noyau dur dont l'objet est la lutte armée".

UN PROCÈS VERBAL CONTESTÉ

Selon la présidente du tribunal, tous deux ont fait savoir qu'ils n'étaient pas disponibles pour venir témoigner, comme l'actuel procureur de Paris François Molins et le préfet de police Michel Delpuech, ex-conseillers de Michèle Alliot-Marie, et un autre magistrat ayant eu à connaître de ce dossier.

L'ancien patron des renseignements intérieurs Bernard Squarcini n'a pas répondu à ce jour à sa convocation, de même que nombre d'autres témoins cités par la défense, parmi lesquels des enquêteurs, le juge Thierry Fragnoli, désaisi du dossier en pleine instruction, ou le président de la SNCF, Guillaume Pepy.

Le principal avocat de Julien Coupat et de six autres prévenus a ironisé sur l'attitude de personnalités qui étaient pourtant "très fières, à l'époque" de l'opération de Tarnac et "n'hésitaient pas" à s'en attribuer la paternité.

"Maintenant qu'il est avéré que c'est un fiasco, plus personne ne veut répondre", a ajouté Me Jérémie Assous.

La présidente du tribunal a écarté l'idée de contraindre les témoins "indisponibles" à témoigner mais s'est réservé le droit de les citer à nouveau en fonction du déroulement du procès.

Quant à Jean-Hugues Bourgeois, agriculteur qui avait avoué avoir signé sous la contrainte un PV à charge et était revenu sur son témoignage, il n'a pas donné signe de vie à ce jour.

Le 26 octobre 2008 et dans la nuit du 7 au 8 novembre, des cavaliers en fer à béton posés sur les caténaires de lignes TGV avaient provoqué des perturbations du trafic SNCF.

Faute d'éléments probants, un non-lieu a été prononcé pour quatre de ces cinq actes. Seul a été retenu celui de Dhuisy (Seine-et-Marne), lieu près duquel la police dit avoir repéré la nuit des faits Julien Coupat et Yildune Levy, déjà surveillés.

Mais des doutes pèsent sur le procès verbal de la police, que les avocats de la défense disent truffé d'incohérences et de contradictions et n'hésitent pas à qualifier de faux.

Une thèse dont ils entendent faire la démonstration lors du transport du tribunal sur place, au cours duquel cinq policiers de la sous-direction anti-terroriste de la police judiciaire ayant participé à cette filature devraient être présents.

"Vous vous rendrez compte qu'il y a une seule possibilité, c'est que les policiers n'y étaient pas", a déclaré Me Assous.

Le procureur représentant le ministère public c'est au contraire dit convaincu qu'il "permettra de montrer que les constatations" faites dans ce fameux PV D104, pièce clef de l'accusation, sont "réelles".

(Edité par Yves Clarisse et Julie Carriat)