Derrière la démission de Thierry Breton, la perte d’influence européenne d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron photographié lors du Conseil de l’Europe à Reykjavik le 16 mai 2023 (illustration)
CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP Emmanuel Macron photographié lors du Conseil de l’Europe à Reykjavik le 16 mai 2023 (illustration)

POLITIQUE - L’analyse est partagée au sein même du camp macroniste. Ce lundi 16 septembre sur le plateau de C à vous, l’eurodéputé Renew Bernard Guetta, par ailleurs spécialiste des relations internationales, décrypte la démission fracassante de Thierry Breton, résultant de l’opposition exprimée par la présidente commission européenne, Ursula von der Leyen, au fait de voir ce commissaire européen combatif rempiler.

Stéphane Séjourné proposé par Emmanuel Macron à la Commission européenne pour remplacer Thierry Breton

« Je peux imaginer que madame von der Leyen, bien bêtement, ait demandé sa tête. Ce que je ne peux pas comprendre en revanche, c’est que le président de la République ait accepté », a regretté l’élu macroniste. Avant d’ajouter, non sans amertume : « Ça signifie une chose - je n’aime pas le dire, mais c’est la réalité -, c’est que le président de la République ne se sent pas assez fort pour résister à la présidente de la Commission européenne. »

Un échec « sans précédent »

Un constat largement partagé au sein des eurodéputés français. Élu au mois de juin, le socialiste François Kalfon juge auprès du HuffPost que ce coup de théâtre « signifie qu’Emmanuel Macron perd en influence au niveau européen ». Il rappelle aussi le contexte dans lequel le chef de l’État lui-même a proposé la reconduction de Thierry Breton à la Commission européenne, à savoir le 31 juillet, soit quelques semaines après des législatives qui, provoquées par ses soins après le crash de sa candidate aux élections européennes, ont conduit à l’affaiblissement de son propre camp et au renforcement du Rassemblement national.

« Il ne faut pas croire que les institutions européennes ne comprennent pas les situations de politique nationale », explique encore François Kalfon. Dans L’Opinion, Jean-Dominique Giuliani, président de la fondation Robert Schuman, est tout aussi sévère. « C’est sans précédent que le commissaire français soit retoqué. C’est inquiétant pour l’Europe », alerte le spécialiste des questions continentales, qui fait un lien entre ce camouflet et la dissolution (ratée) décidée par le chef de l’État : « On a l’impression que le leader de l’Europe a baissé le pavillon. »

Une lecture réfutée par l’Élysée, qui préfère mettre en avant que le remplacement de Thierry Breton par le ministre des Affaires étrangères démissionnaire Stéphane Séjourné permettait d’obtenir un portefeuille plus large, ce dernier héritant du titre ronflant de « vice-président exécutif pour la Prospérité et de la Stratégie industrielle ». Une qualification qui, de l’avis des connaisseurs du jeu européen, s’avère davantage honorifique que réellement exécutive.

Autre argument mis dans la balance par le camp présidentiel, la « confiance » prétendument perdue par Thierry Breton auprès d’Ursula von der Leyen. Pourtant, et même s’il ne s’agit aucunement d’un prérequis, la relation entre les deux était déjà exécrable quand Emmanuel Macron a proposé sa reconduction. Quant au profil « européen » de Stéphane Séjourné vanté par la Macronie, il ne résiste pas au souvenir de son choix de ne pas rempiler au Parlement européen, privilégiant une élection en tant que député dans la très confortable 9e circonscription des Hauts-de-Seine.

Résultat, sans surprise, ces arguments peinent à convaincre plusieurs observateurs, qui voient dans la nomination de ce très proche du chef de l’État un habile moyen de l’exfiltrer du quai d’Orsay, à l’heure où le nouveau Premier ministre Michel Barnier s’attelle à composer son gouvernement. Sébastien Maillard, conseiller spécial auprès de la Fondation Jacques Delors, qualifie ainsi ce mouvement de « besoin de recasage post-dissolution ».

« Convenance personnelle »

Une impression renforcée par le profil de Stéphane Séjourné qui, bien qu’ancien président du groupe Renew au Parlement européen, n’était pas spécialement connu pour être un fin connaisseur des questions économiques, ni même un anglophone chevronné. « C’est une nomination pour convenance personnelle de Macron qui recase son boys’ club. Ce n’est pas bon pour l’influence de la France dans l’institution européenne, mais ça, les autres pays et partis s’en moquent. Au contraire, quelque part ça les arrange », tacle auprès de Libération l’eurodéputé écolo David Cormand.

La pilule passe mal également du côté du MoDem. Jean-Louis Bourlanges, ex-député et ancien président de la Commission des affaires de l’Assemblée nationale, juge sur France Inter que la manière dont Thierry Breton a été débranché est non seulement « offensante » pour l’intéressé, mais surtout « extrêmement désinvolte à l’égard des citoyens européens que nous sommes ». Ce qui, une fois encore, interroge sur la façon dont la France (en pleine instabilité politique) est désormais perçue sur la scène européenne. De surcroît dans un contexte où Emmanuel Macron donne l’impression d’accepter le veto d’Ursula von der Leyen.

Alors, en recul l’influence de Paris ? « Je crains non seulement que ceci soit parfaitement exact, mais que cela entraîne aussi un arrêt brutal des progrès récents en matière de politique militaro-industrielle de l’UE », juge sur X François Heisbourg, conseiller spécial Europe pour l’International Institute for Strategic Studies, soulignant que la France pourrait perdre en conséquence un précieux levier dans la construction d’une Europe de la Défense. Une construction pourtant ardemment souhaitée par… Emmanuel Macron.

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