Derrière le duel Donald Trump - Kamala Harris, un autre enjeu électoral crucial se joue en Alabama

Shomari Figures (au 2e rang à gauche) avec la délégation de l’Alabama lors de la Convention nationale des démocrates à Chicago, le 20 août 2024
Jasper Colt / USA TODAY NETWORK via Reuters Connect Shomari Figures (au 2e rang à gauche) avec la délégation de l’Alabama lors de la Convention nationale des démocrates à Chicago, le 20 août 2024

ÉTATS-UNIS - Le duel Kamala Harris-Donald Trump ne sera pas la seule élection qui va compter ce mardi 5 novembre. Alors que la majorité républicaine de la Chambre des représentants ne tient qu’à quelques sièges, chaque scrutin local a son importance. Un, en particulier, pourrait faire basculer la chambre basse du côté démocrate. Sa particularité ? Il a lieu dans un État traditionnellement rouge écarlate : l’Alabama.

Avec Tim Walz et J.D. Vance, les élections américaines se divisent sur les questions de natalité et de famille

« J’ai beaucoup d’espoirs pour ce scrutin, plus que pour celui de la présidentielle », confie Dennis McFarland, romancier basé à Mobile, dans le sud de l’État, qui fait campagne pour le candidat démocrate local, Shomari Figures.

Si le natif de l’Alabama, qui reconnaît lui-même « qu’ici, on est culturellement républicains et on a toujours été républicains », se prend à espérer, c’est parce que la circonscription où Shomari Figures se présente (la deuxième de l’État) a récemment connu une petite révolution.

Charcutage électoral

Pour bien comprendre ce qui s’est déroulé dans cette région pauvre du pays, il faut être familier avec une pratique électorale très ancrée aux États-Unis, le « gerrymandering ». Le principe ? Manipuler les frontières des circonscriptions électorales pour favoriser un parti. Par exemple, un centre-ville à majorité démocrate se verra divisé en plusieurs morceaux, et chacun rattaché à une plus grande zone de banlieue où le vote républicain domine.

Ce charcutage électoral – pratiqué dès les débuts de la république américaine puisqu’il doit son nom à Elbridge Gerry, l’un des pères fondateurs – a servi les intérêts des deux partis, mais ce sont les républicains du Sud et du Midwest qui en sont les plus friands, notamment pour étouffer le vote noir, traditionnellement démocrate. Selon les calculs du Brennan Center for Justice de la New York University, dans ces élections, le « gerrymandering » devrait avantager les républicains dans 16 circonscriptions du Congrès, qui n’auraient pas penché de leur côté avec un découpage plus juste.

Une victoire inattendue

La seconde circonscription de l’Alabama aurait pu être l’une d’entre elles sans les efforts d’activistes qui ont traîné l’État sudiste devant la justice pour obtenir une carte électorale plus représentative. Shalela Dowdy, militante noire de Mobile qui était l’une des plaignantes, résumait en 2023 auprès du New York Times : « Je veux que moi-même et ma communauté prenions place à table, plutôt que de figurer au menu. » Un enjeu important dans cet ancien État esclavagiste, qui a longtemps refusé la déségrégation.

Le dossier a fini par atterrir devant la Cour Suprême des États-Unis, à majorité conservatrice depuis plusieurs années. Ce fut donc une surprise pour tout le monde lorsque les plaignants ont obtenu gain de cause, les juges reconnaissant une violation de la loi contre la discrimination raciale dans l’exercice du droit de vote et exigeant un nouveau découpage.

La nouvelle circonscription correspond à la Black Belt de l’Alabama, une zone englobant deux des plus grandes villes américaines à majorité noire, Mobile et Montgomery. Une région hautement symbolique, puisque la deuxième ville est connue comme l’un des lieux de naissance du mouvement des droits civiques américains : c’est ici que Rosa Parks a été arrêtée en 1955 après son célèbre acte de rébellion.

Deux philosophies politiques opposées

Pour briguer le siège de la seconde circonscription, les démocrates ont nommé Shomari Figures, un candidat charismatique, issu d’une célèbre famille politique noire locale, qui a lui-même travaillé pour la campagne de Barack Obama et servi au ministère de la Justice. « C’est un potentiel futur président, si vous voulez mon avis », s’enthousiasme Dennis McFarland, qui voit dans ces élections un « reflet direct du scrutin national », avec deux philosophies politiques qui s’opposent.

Car l’adversaire de Shomari Figures est un pur produit du trumpisme : Caroleene Dobson, fille d’un très riche fermier local, fan de rodéo, et accessoirement diplômée de Harvard. Ses obsessions ? L’immigration (elle accuse les immigrés latinos d’être à l’origine de la crise des opioïdes aux États-Unis), les armes à feu, la « protection des liens sacrés du mariage entre un homme et une femme » et « la défense des enfants à naître » (traduire : elle est anti-avortement).

« Il fut un temps, il suffisait qu’un candidat dise “je suis un conservateur !” dans son clip de campagne pour se faire élire en Alabama, raconte Dennis McFarland. Aujourd’hui, il suffit de dire “Je suis du côté de Trump !”. C’est comme ça que nos deux sénateurs locaux se sont fait élire et c’est la stratégie de Caroleene Dobson. »

Rien n’est gagné

Malgré la victoire légale devant la Cour suprême, celle dans les urnes n’est pas garantie pour les démocrates. Les deux partis en ont bien conscience puisqu’ils ont chacun investi dans leur poulain : Shomari Figures est sponsorisé par le programme « red to blue » du parti de gauche, tandis que Caroleene Dobson fait partie de la liste des « young guns » des républicains. Si le parti de Donald Trump pense encore avoir une chance de gagner, c’est que la très vaste majorité du vote blanc local lui est acquise et que les précédents scrutins dans la région ont été marqués par une forte abstention au sein de la communauté noire.

« Il y a une très forte pauvreté dans cette partie du pays. Et avec la pauvreté viennent l’absence d’espoir et le sentiment de ne pas avoir de voix. Il y a cette idée de “ça sert à quoi ? Rien de ce que je fais ne va changer quoi que ce soit” », explique Dennis McFarland. Alors, pour ceux qui comme lui font campagne pour Shomari Figures, l’essentiel est désormais de mobiliser les électeurs et de s’assurer qu’ils ont les moyens pour voter. Cela passe par du porte à porte, des campagnes téléphoniques, mais aussi en prévoyant des moyens de transport vers les urnes pour ceux qui n’ont pas de voiture le jour J.

Avec en tête, l’espoir de voir basculer cette circonscription du côté bleu, mais aussi une crainte : que les efforts légaux pour une représentation plus équitable ne portent pas leurs fruits. « Ce qu’on entend en ce moment, c’est que si Shomari Figures perd, ceux qui sont contre les redécoupages électoraux plus justes auront un argument pour faire marche arrière et dire “vous voyez, ça ne sert à rien”, explique Dennis McFarland. C’est aussi pour éviter ça qu’autant de gens s’investissent dans cette campagne. »

À voir également sur Le HuffPost :

Trump ou Harris ? Pourquoi la proclamation du résultat de la présidentielle risque de prendre du temps

À Las Vegas, Kamala Harris se paye un spot publicitaire sur The Sphere pour la présidentielle