Decathlon : ouvriers adolescents, conditions de travail... Une enquête épingle la stratégie "ultra low cost" de la marque française
Le média d'investigation Disclose publie une enquête éloquente sur les conditions de travail dans les usines de la marque française au Bangladesh.
"Chez Decathlon, nous voulons promouvoir la responsabilité sociale partout où nous intervenons. Nous pensons que la taille de notre entreprise nous donne l'occasion et la responsabilité uniques de promouvoir des conditions de travail sûres et équitables dans toute notre chaîne de valeur."
Avec cette déclaration forte, affichée fièrement sur le site internet de la marque sportive, on pourrait s'attendre à ce que Decathlon se montre irréprochable en matière de conditions de travail dans les usines de production textile.
"Le salaire des ouvriers et ouvrières représente seulement 2,84 euros"
Pourtant, une enquête du média d'investigation Disclose, publiée le 4 février et réalisée en lien avec les équipes de Cash investigation sur la galaxie Mulliez (Decathlon, Auchan, Leroy Merlin...), semble prouver le contraire. Les équipes de journalistes ont épluché pendant un an les documents internes et des témoignages d'anciens employés, et leurs conclusions sont loin des normes de travail équitable affichées par la marque.
🔴 @Decathlon au Bangladesh c'est ça :
Aucune protection ni mesure de sécurité malgré la manipulation de substances chimiques potentiellement toxique pour la santé pic.twitter.com/SXu1xfvDsh— Disclose (@Disclose_ngo) February 5, 2025
Par exemple, Disclose s'est procuré une nomenclature interne à l'entreprise, qui permet de calculer le coût de revient et le prix de vente pour une basket pour enfant très populaire, la Decathlon PW 540.
"Sur les 8,61 euros de prix de revient au Bangladesh, le salaire des ouvriers et ouvrières représente seulement 2,84 euros. Prix de vente en France : 25 euros" extrait de l'article de Disclose.
Une stratégie du low cost, voire de "l'ultra low cost"
Selon l'article (qui sera suivi par la sortie de Cash Investigation sur le sujet ce jeudi) l’entreprise sélectionne ses fournisseurs en fonction de critères stricts, notamment leur capacité à réduire les coûts et à proposer des salaires inférieurs à la moyenne. Elle privilégie les sous-traitants "low-cost" et "ultra low-cost".
Decathlon exige de ses fournisseurs une transparence totale sur leurs dépenses, y compris salaires, loyers et coûts de production. Un calcul précis du "coût par minute" est effectué, révélant un coût moyen de 0,030 € par minute pour un fabricant de chaussures. Un modèle de compression des coûts qui entraîne des conditions de travail précaires et une pression accrue sur les ouvriers.
"Pour faire baisser les coûts de fabrication, nous n’avions qu’un levier : le coût de la main d’œuvre". Déclaration d'un ancien employé à Disclose
Mineurs, conditions de travail, manque d'audits
L'enquête démontre également plusieurs points problématiques, en prenant l'exemple d'Edison footwear, un sous traitant de la marque, situé au Bangladesh et qui fabrique la marque Kalenji run. Là-bas, en 2020, un travailleur ou une travailleuse y gagnait environ 87 euros par mois, pour dix heures de travail, six jours par semaine avec seulement 13 jours de congés par an.
Des adolescents sont aussi embauchés dans les usines : rien d'illégal au Bangladesh, où ils sont en droit de travailler à partir de 14 ans (et 15 ans selon les règles de Décathlon). Mais ces jeunes ouvriers sont payés moins cher que des adultes, et leurs salaires ne leur permettent pas de vivre.
"C’est un salaire légal, pas un salaire vital", a expliqué à Disclose Manirul Islam, directeur de l’Institut bangladais des études sur le travail.
Des soupçons d'usines clandestines
Le manque d'audit pour vérifier les conditions de travail chez les sous-traitants est aussi pointé du doigt : en 2024, Decathlon aurait mené moins d’un audit par an chez ses 1 300 fournisseurs, et le soupçon de recours à des usines clandestines plane aussi sur l'entreprise.
Par ailleurs, d'autres volets de l'enquête à paraître et le Cash investigation devraient mettre en lumière d'autres pratiques polémiques du groupe Mulliez en Chine ou au Brésil. Et s'attarderont notamment sur le travail infantile, le travail forcé des Ouïgours ou aux liens avec des entreprises qui participent à la déforestation amazonienne.
Decathlon fait une communication de crise à ses employés
Pour contrer le "bad buzz" à venir, la direction de Decathlon a envoyé un mail interne à ses collaborateurs, ce mercredi 5 février, afin de les préparer à la diffusion de l'enquête de Cash Investigation sur la galaxie Mulliez, révèle Libération.
🔴 “Auchan, Décathlon ... Les secrets d’une famille en or”. Une enquête de @GabrielGarciaTV pour #CashInvestigation, présentée par @EliseLucet, à découvrir jeudi 6 février à 21h05 sur #France2 et sur le site de @FranceTV pic.twitter.com/AblnAWqaKN
— CASH INVESTIGATION (@cashinvestigati) February 3, 2025
"Nous comprenons que vous puissiez avoir quelques questions." Dans cette communication signée par Barbara Martin Coppola, la directrice générale de Decathlon, l’entreprise affirme respecter des engagements stricts et rejette toute accusation d’exploitation :
"Nous condamnons fermement toute forme de travail d’enfant et de travail forcé. […] Nous exigeons de nos fournisseurs qu’ils respectent notre code de conduite ainsi que les réglementations locales."
Decathlon met en avant 842 audits réalisés en 2024 pour garantir la conformité de ses sous-traitants et rappelle l’existence d’une plateforme de signalement Whispli permettant de signaler toute infraction de manière confidentielle. Par ailleurs, les employés sont invités à rediriger les journalistes vers le service communication.