Deauville 2019 : "La Mort aux trousses m'a donné envie de faire du cinéma" confie Nicolas Saada

Le 45ème festival du cinéma américain de Deauville se poursuit. Aujourd'hui, voici notre rencontre autour du cinéma américain avec le juré Nicolas Saada, réalisateur d'Espion(s) et de Taj Mahal et ancien journaliste aux Cahiers du cinéma :

AlloCiné : Quel est votre premier souvenir d'un film américain ?

Nicolas Saada : Ce devait être La Tour infernale, à sa sortie. Un film très impressionnant, j'étais avec mon père, mon frère je crois. Nous avions vu beaucoup de films américains déjà, mais il était très violent, très spectaculaire. Je ne sais pas si c'est mon premier souvenir de cinéma américain, mais c'est un souvenir fort.

Votre film de chevet, celui que vous pouvez voir et revoir ?

La Mort aux trousses d'Hitchcock, c'est celui qui m'a donné envie de faire du cinéma, qui me l'a fait comprendre. Jusqu'à ce film, je voyais beaucoup de films américains qui étaient à grand spectacle comme Les Canons de Navarone, La Tour infernale, Le jour le plus long, des films où l'on déployait à l'écran énormément de moyens, et c'est ça qui faisait la différence. Avec La Mort aux trousses, je me suis rendu compte que ce qui me plaisait (...) c'était la manière dont les choses étaient montrées et organisées dans l'image. J'ai pris conscience du fait qu'un film n'était pas qu'une addition de moyens et de stars, mais que c'était une science très particulière. (...) Il y avait une écriture de l'image. Une image pensée en fonction d'une émotion à trouver. Et Hitchcock est le maître de ça.


La Mort aux trousses

Un film qui n'a pas vieilli ?

Je pourrais en citer une centaine. Très peu de films américains vieillissent mal, en fait. Je dirais Bunny Lake a disparu, d'Otto Preminger. De tous les cinéastes américains classiques, Otto Preminger me paraît être le plus moderne de tous, car on a le meilleur du nouveau monde et le meilleur de l'ancien monde. Il a connu les films de studios avec les grandes stars dans les années 40, et lorsque le cinéma américain est devenu moderne, il a suivi ce mouvement, sans se laisser dépasser par ce qui se passait. En 1965, lorsqu'il fait Bunny Lake a disparu, il est toujours aussi à la page qu'en 1944 quand il fait Laura (...).

Le film qui vous a fait le plus rire ?

Y a-t-il un pilote dans l'avion ? reste quand même un sommet.

Celui qui vous a fait le plus peur ?

Je dirais que c'est Psychose. Beaucoup du cinéma d'horreur contemporain repose sur le même élément qui est le jump scare, qui a été inventé par Hitchcock avec Psychose. Sauf qu'avant ce jump scare de l'assassinat de Janet Leigh sous la douche, il y a une mise en place, une tension, un malaise qui irrigue chaque plan, chaque séquence, et qui fait que dès que le film commence, on est sur nos gardes. Je pense qu'il a inventé le film d'horreur moderne. Il est encore terrifiant. Un des enfants de Psychose c'est Hérédité d'Ari Aster, que j'aime beaucoup. J'ai vu aussi Midsommar, qui m'a terrifié. Il n'y a pas de peur sans malaise, et le malaise ça se travaille. Il ne suffit pas de faire bondir le spectateur sur son siège. Pour travailler le malaise, il faut être un grand maître du climat. Kubrick et Hitchcock sont des maîtres du climat.


Midsommar

Le film qui vous a fait le plus pleurer ?

Il y en a beaucoup. J'en ai deux : Les plus belles années de notre vie de WIlliam Wyler, qui est sur le retour à la vie de soldats démobilisés au lendemain de la Seconde guerre mondiale, un film bouleversant qui dure presque trois heures, pas assez connu. (...) Mais celui qui me fait le plus pleurer c'est Les Lumières de la ville de Charlie Chaplin. Même après l'avoir vu des millions de fois.

Moi c'est "La Fièvre dans le sang" d'Elia Kazan.

J'aurais pu l'ajouter ! La lecture du poème par Natalie Wood, la fin des Lumières de la ville et l'arrivée des trois soldats dans Les plus belles années de notre vie c'est parmi les choses les plus émouvantes qui aient été filmées.

Une pépite méconnue ?

De Sang froid de Richard Brooks, un film absolument exceptionnel, peu connu, peu vu, qui pose tout le cinéma américain des années 70 et 80. C'est un film de 1966, qui déjoue un peu l'idée qu'il n'y a rien avant le Nouvel Hollywood. (...) Il est d'une complexité, d'une recherche graphique, psychologique, dramaturgique remarquables. C'est un film d'un ancien scénariste qui comme Preminger appartient à l'Hollywood des studios et qui s'accommode parfaitement de ses changements, il y a des acteurs formidables comme Robert Blake, Frederick Forsyth, et c'est un des films les plus inquiétants du cinéma américain. C'est un film que des réalisateurs comme Fincher ou d'autres ont dû voir et revoir, porté par une incroyable bande originale de Quincy Jones.

Un film coup de coeur ?

Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. Un des films qui m'a le plus impressionné depuis un an et demi ou deux. Je l'aime parce que c'est un film parfait qui ne recherche pas la perfection. Il est très recherché et on a l'impression que tout ce qui se passe sous nos yeux se fait sans que le metteur en scène le décide. (...) Pour Paul Thomas Anderson, c'est le film de la maturité, il laisse vraiment les choses se faire et en même temps, il les contrôle avec moins d'obsession que sur ses films précédents.

Un acteur et une actrice contemporain avec qui vous adoreriez travailler ?

Leonardo DiCaprio et Tom Cruise et en actrice j'aime beaucoup Scarlett Johansson mais je dirais Meryl Streep, qui est démente et Amy Adams. Comme ça il y a toutes les générations.


Extrait de l'affiche "De sang froid" de Richard Brooks

Quel est votre genre de prédilection dans le cinéma américain ?

Le film noir. Parce que ce n'est pas un genre, mais un style. Comme le jazz (...). On le retrouve dans le film de super-héros comme Batman, mais dans Margin Call, La Soif du mal, L'ombre d'un doute, Le Parrain, Conversation secrète... Tous les cinéastes américains ont fait un film noir. C'est mon genre préféré car c'est le plus ouvert, le plus poreux à tous les styles de cinéastes. J'ai fait ma maîtrise à la fac de cinéma sur le film noir américain, donc je suis un obsédé du film noir. Je découvre qu'il dépasse le cinéma américain, on en retrouve au Japon, en Angleterre, même un peu en France et d'autres cinématographies.

Une bande originale culte ?

J'en ai plein ! La musique de Lalo Schifrin pour Bullitt.

Et pour finir, un réalisateur que vous aimeriez rencontrer ?

Steven Soderbergh. Un cinéaste passionnant sur lequel il y a peu d'entretiens et de documentaires. C'est une des voix du cinéma américain, quelqu'un d'important. Je le trouve passionnant. Il tourne tout le temps parce qu'il aime tourner, il ne veut pas construire une oeuvre, il est dans un rapport extrêmement joyeux à son travail, il n'a pas en ligne de mire les récompenses ou les Oscars. Il travaille et je l'admire.

Et je voudrais ajouter quelque chose. Lorsqu'on parle du cinéma américain, on ne parle pas assez de l'autre cinéma américain, underground et documentaire, qui a énormément nourri le cinéma américain de fiction. Et pour moi cette année, il y a l'un des plus grands cinéastes américains qui est mort c'est Jonas Mekas. Il est connu dans le milieu underground mais pas dans le milieu cinéphilique classique, si on peut dire. Toute sa vie, il a tourné des films en filmant ses amis, ses proches (...), qui a documenté sa vie en la filmant et en faisant des films très ouverts, très poétiques, très émouvants, très touchants (...) et qui a beaucoup compté pour Scorsese. La séance de montage Super 8 de Raging Bull, c'est un hommage à Jonas Mekas. Un autre grand cinéaste encore en activité c'est Fred Wiseman. (...) Ce qu'il fait avec ses images est très important pour le cinéma américain de fiction. Beaucoup admirent son cinéma et même en ont besoin. Un autre cinéaste américain underground, photographe génial, est mort cette semaine : Robert Frank. Ce cinéma apparemment marginal et peu diffusé a eu une grande influence sur des cinéastes comme Gus Van Sandt, et Todd Haynes ou Scorsese.

La bande-annonce de "De sang froid" :