Dans la crise ukrainienne, Vladimir Poutine maîtrise le temps

par Christian Lowe MOSCOU (Reuters) - La décision de la Russie de signer la déclaration de Genève appelant à un apaisement des tensions en Ukraine ne constitue en rien le signe que le Kremlin cède mais indique plutôt que Vladimir Poutine est prêt à la patience dans une partie d'échecs diplomatique où il conserve l'avantage. L'objectif de Moscou, selon les commentaires publics du président russe et les confidences d'observateurs familiers de son mode de pensée, vise à la réunification à terme des communautés russophones éclatées après la dislocation de l'Union soviétique en 1991. La promulgation ce lundi d'une loi amendant le code de la nationalité pour faciliter l'octroi de la citoyenneté russe à tous les russophones de l'ex-URSS va précisément dans ce sens. En maître tacticien disposant d'un temps politique long, Vladimir Poutine, réélu il y a deux ans à peine pour un mandat de six ans renouvelable, sait qu'aller trop vite sur la voie de cette ambition exposerait la Russie - ainsi que le montrent les menaces de sanctions accrues de la part des Occidentaux et les velléités européennes de diversification de leurs sources d'approvisionnement énergétique. La signature jeudi dernier de l'accord de Genève avec l'Ukraine, les Etats-Unis et l'Union européenne, indiquant par là même que Moscou est prêt au compromis, s'inscrit dans ce jeu de patience. "Désormais, l'essentiel est de rester paré et d'être prêt à la possibilité que la crise en Ukraine dure longtemps", relève Fiodor Loukianov, de la revue Global Affairs, liée au ministère russe des Affaires étrangères. "Des accords seront brisés et renégociés. Mais la Russie, pour une fois, n'est pas sur la défensive. Elle avance. Cela signifie qu'elle n'a aucun raison d'être nerveuse et qu'elle peut continuer de creuser son sillon", ajoute-t-il. "POUTINE VEUT AVOIR L'UKRAINE" Les objectifs officiels du Kremlin en Ukraine sont limités: protéger la sécurité de la Russie, contrer l'expansion de l'Otan vers l'est et venir en aide, si nécessaire, aux populations russophones du pays. L'accord de Genève, qui appelle notamment à l'arrêt immédiat des violences, au désarmement des groupes armés illégaux, à la restitution des bâtiments illégalement occupés et à la libération des espaces publics, n'a pas tardé à être fragilisé. Dimanche, une fusillade qui a éclaté dans des circonstances encore obscures à un barrage routier tenu par des séparatistes pro-Russes près de Slaviansk, dans l'est du pays, a fait au moins trois morts. Si certains insistent pourtant sur l'importance du texte négocié à l'Hôtel InterContinental de Genève - pour la première fois, disent-ils, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov s'asseyait à une table de négociation avec le mandat de parvenir à un accord -, d'autres y voient plutôt une ruse de Moscou. L'accord de Genève, estime ainsi un diplomate européen, a permis à Poutine de desserrer les pressions diplomatiques qui s'accentuaient sur la Russie. "Les discussions et les compromis ne sont que tactiques. Poutine veut avoir l'Ukraine", dit-il sous couvert d'anonymat et en insistant sur le fait qu'il expose là une opinion personnelle. Genève pourrait aussi enfoncer un coin entre les Etats-Unis, qui semblent plus enclins à de nouvelles sanctions, et l'Union européenne, qui a du mal à présenter un front uni compte tenu des différents degrés de relations économiques de ses Etats membres vis-à-vis de la Russie, notamment pour ce qui est de l'approvisionnement en gaz. "POURQUOI ONT-IL FAIT CELA ? DIEU SEUL LE SAIT" Au fond, affirme Andreï Illarionov, ancien conseiller économique de Poutine, "l'objectif à présent, c'est la Novorossiya". Littéralement la Nouvelle Russie, cette entité territoriale remonte à l'époque tsariste et couvrait de larges portions de territoires aujourd'hui situés dans l'est et le sud de l'Ukraine. L'ancien conseiller devenu détracteur du président ajoute sur son blog: faire renaître la "Novorossiya" est "la mission historique de l'Homme russe". Vladimir Poutine y a fait lui-même allusion dans une émission de télévision fleuve programmée le matin de la réunion quadripartite de Genève. "Tous ces territoires ont été cédés à l'Ukraine dans les années 1920 par le gouvernement soviétique. Pourquoi ont-ils fait cela ? Dieu seul le sait", a-t-il ajouté. Prié d'éclaircir le propos, le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, n'a fait aucun commentaire. Mais la thèse d'une nation russe divisée par des frontières nationales artificielles est défendue de longue date par des intellectuels proches de Poutine. A tout le moins, de son mode de pensée. (Henri-Pierre André pour le service français)