Détention de Paul Watson : le Japon veut manger toujours plus de baleines

L’emprisonnement au Groenland du fondateur de l’ONG Sea Shepherd, dont le Japon demande l’extradition, s’inscrit dans la volonté de Tokyo de faire perdurer la chasse à la baleine.

ENVIRONNEMENT - Les autorités japonaises « veulent m’utiliser à titre d’exemple pour montrer qu’on ne touche pas à leur chasse à la baleine ». Pour Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Shepherd, arrêté fin juillet au Groenland pour ses activités de protection des cétacés, l’acharnement du Japon pour le juger s’inscrit dans une volonté de faire perdurer la chasse ancestrale à la baleine.

Paul Watson, le militant de Sea Shepherd dont le Japon réclame l’extradition, reste en détention pour le moment

Emprisonné depuis plus d’un mois au Groenland, le militant américano-canadien, âgé de 73 ans, restera 28 jours de plus derrière les barreaux au centre pénitentiaire de Nuuk, a statué la justice danoise mercredi 4 septembre. Le ministère danois de la Justice ne s’est en revanche pas encore exprimé sur la demande d’extradition de Paul Watson exprimée par le Japon pour une action sur un navire baleinier en 2010.

« Tradition » et « sécurité alimentaire »

L’arrestation de ce lanceur d’alerte, qui risque la prison à vie s’il est livré au Japon, revêt un caractère hautement politique. De fait, le gouvernement japonais justifie, sur son site Internet, la chasse à la baleine au nom d’une tradition remontant au XIIe siècle. L’animal était tué pour sa viande mais aussi son huile, qui servait autrefois à l’éclairage, et ses os pour les outils.

Le Japon garde aussi en mémoire une grave crise alimentaire survenue au sortir de la Seconde guerre mondiale, que la viande de baleine lui a permis de surmonter, rappelle Ouest France. Dans un contexte de malnutrition et d’occupation américaine, la viande de baleine, peu chère, était servie aux écoliers à la cantine, ajoute Le Monde. Des millions de Japonais ont donc grandi en consommant le mammifère.

Autre argument mis en avant par les autorités nippones : la « sécurité alimentaire », le pays disposant de faibles ressources agricoles. Cet argument est incohérent, estime Nicola Beynon, responsable des campagnes de la branche australienne de la Humane Society International, une ONG de protection des animaux, interrogée par le magazine Marine et Océans. « Tuer des baleines qui vivent longtemps, se reproduisent lentement et sont soumises à une myriade de menaces anthropiques telles que le changement climatique et la pollution plastique ne contribuerait en rien à améliorer la sécurité alimentaire », souligne-t-elle.

À rebours de ce qu’avance le gouvernement japonais, la viande de baleine est de moins en moins consommée par la population. Après un pic à 233 000 tonnes en 1962, les Japonais n’en mangent plus que 2 000 tonnes par an. Ce qui représente une quantité annuelle de 23,7 grammes par personne, selon l’association japonaise Ikan. Pour répondre à ce besoin, les « baleiniers japonais capturent aujourd’hui environ 250 à 300 individus par an et Tokyo achète également des baleines à l’Islande », relève Vincent Ridoux, professeur de biologie et de communication scientifique à l’université de La Rochelle, auprès du HuffPost.

Malgré le manque d’appétence évident pour la viande de ce cétacé, le Japon est persuadé qu’il peut « redonner goût aux Japonais de consommer la baleine », poursuit le spécialiste des mammifères marins. C’est pourquoi le Japon a lancé un nouveau navire-usine en mai 2024, le Kangei Maru, taillé pour une chasse intensive et lointaine. C’est ce bateau, parti en mission pour le triste objectif de tuer 200 cétacés en huit mois, que le capitaine Paul Watson voulait l’intercepter dans le Pacifique nord, où se trouvent des sanctuaires de baleines. Il a été arrêté avant de l’atteindre.

Pour rentabiliser l’investissement d’un tel navire de 44 millions d’euros et très coûteux en carburant, « il faut des quotas importants de pêche pour équilibrer les coûts d’exploitation », s’inquiète Vincent Ridoux. Pour gagner plus, le Japon a donc étendu les espèces pêchées en ajoutant les rorquals communs, classés comme « vulnérables » par l’UICN. Sur la liste des cétacés pouvant être chassés par ses baleiniers figure aussi le rorqual boréal, une autre baleine « menacée ».

La pêche intensive de la baleine semble tout à fait incongrue au XXIe siècle. Elle fait d’ailleurs l’objet d’un moratoire depuis 1986 adopté par la Commission baleinière internationale (CBI), visant à la suspension de la chasse commerciale pour permettre aux espèces de se reconstituer.

« Jusqu’en 2018, le Japon faisait partie de la Commission baleinière internationale et utilisait l’argument de la pêche scientifique pour continuer à chasser des baleines », explique au HuffPost Sophie Gambardella, spécialiste en droit de l’environnement au CNRS. Le pays va en effet détourner pendant des décennies l’article 8 de la Convention baleinière « pour capturer annuellement jusqu’à 1 300 baleines sous couvert de programmes scientifiques en Antarctique et dans le Pacifique Nord. En réalité, ces baleines étaient ensuite commercialisées au Japon », complète Vincent Ridoux, également responsable scientifique de la délégation française à la CBI.

Cette chasse déguisée va tout de même durer 30 ans, jusqu’à ce que la Cour internationale de justice juge illégale cette « chasse scientifique » en 2014. Le Japon a d’abord essayé de redéfinir ses programmes de recherches avant de quitter définitivement la CBI en 2019.

Si le moratoire « a eu un effet bénéfique général » sur les populations les plus menacées, les baleines ne sont toujours pas hors de danger, selon Vincent Ridoux. Toutes ne se portent pas bien, comme la « baleine bleue ou le rorqual commun qui n’ont fait qu’un bout de route vers leur reconstitution ». Si certaines populations n’arrivent pas à retrouver leur effectif, comme la baleine franche, c’est aussi à cause d’autres menaces, comme « les collisions avec les bateaux, la pollution sonore », ou encore le changement climatique qui participe à la raréfaction du phytoplancton, leur alimentation principale. En bref, tous les problèmes des baleines sont liés à l’homme et à ses activités commerciales.

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