Avec le départ de Thierry Breton, Ursula von der Leyen joue cavalier seul

Avec le départ de Thierry Breton, Ursula von der Leyen joue cavalier seul

En 2019, l'arrivée de Thierry Breton à Bruxelles avait eu lieu pour mettre fin à la confusion née du rejet par le Parlement européen de Sylvie Goulard, la candidate française au poste de commissaire européen. Un épisode qui avait déclenché l'ire de l'Élysée.

L'ancien PDG d'Atos s'était alors jeté dans la mêlée, décrochant le portefeuille convoité du marché intérieur.

Thierry Breton aura donc quitté ses fonctions comme il les a prises, de manière fracassante pour ainsi dire.

Dans une lettre cinglante, publiée sur X, le Français a annoncé sa démission et directement accusé la présidente Ursula von der Leyen de vouloir l'évincer du prochain mandat.

Jusqu'à lundi matin, M. Breton faisait pourtant office - du moins, sur le papier - de candidat idéal pour un poste de vice-président, dans le cadre du second mandat de Mme von der Leyen, qui devrait privilégier l'économie et la compétitivité.

Le bilan de M. Breton, qui visait notamment à limiter les excès de pouvoir des géants de la Tech, semblait constituer un atout solide pour aspirer à ces nouvelles fonctions.

Dès le début de son mandat, ce dernier avait opté pour le pragmatisme, s'inspirant sans complexe de son expérience dans le privé. Les images de ses nombreuses visites d'usines à travers l'Europe alimentaient son compte sur les réseaux sociaux.

Mais son bilan n'aura pas réussi à avoir raison des divergences observées avec Ursula von der Leyen, désormais étalées au grand jour.

Déjà, en mars dernier, M. Breton s'en était pris au Parti populaire européen (PPE), et au soutien précoce formulé à la présidente de la Commission, en vue d'un second mandat.

Sa diatribe avait soulevé de sérieuses questions éthiques, puisqu'elle semblait peu compatible avec les lignes directrices de l'exécutif, qui imposent des limites aux commissaires afin d'éviter les conflits d'intérêts et la politisation de leurs fonctions, et elle n'avait pas manqué de susciter des interrogations en termes de loyauté.

Le mois dernier, M. Breton, dans sa croisade contre l'hégémonie de la Silicon Valley, avait adressé une lettre à Elon Musk, avant l'interview du milliardaire avec Donald Trump sur X. M. Breton avait ainsi rappelé à Elon Musk qu'il était tenu, en vertu de la législation européenne, d'empêcher la propagation de contenus préjudiciables et promettait de "faire pleinement usage des outils" à disposition, en cas d'actes répréhensibles.

Mais cette mise en garde s'était aussitôt retournée contre l'auteur de cette missive, que ses détracteurs percevaient comme une atteinte à la liberté d'expression, et un cas flagrant d'excès de pouvoir. La Commission avait alors pris ses distances, assurant que Mme von der Leyen n'avait pas eu connaissance du message de M. Breton.

Ursula von der Leyen contre-attaque

Ce passif a ainsi ouvert la voie à la démission de Thierry Breton, qui n'hésite pas à affirmer que Mme von der Leyen a poussé le président Emmanuel Macron à abandonner le commissaire français à son sort, en échange de quoi Paris pourrait escompter un portefeuille plus élevé.

"Vous avez demandé à la France de retirer mon nom - pour des raisons personnelles dont vous n'avez en aucun cas discuté directement avec moi - et vous avez proposé, en guise de compromis politique, un portefeuille prétendument plus influent pour la France dans le futur collège ", a écrit M. Breton.

La Commission n'a ni confirmé, ni infirmé, ces allégations, Thierry Breton se contentant de qualifier la gestion de son ancienne patronne de "gouvernance douteuse" , la Commission s'étant refusé à tout commentaire.

Raphaël Glucksmann, eurodéputé socialiste français, a fait l'éloge de l'héritage de M. Breton et a qualifié son départ de "très mauvais signal, tant sur le fond que sur la forme". Dirk Gotink, du PPE, a quant à lui déclaré qu'il était "tout à fait ridicule de torpiller ainsi le processus de formation du collège pour des motifs personnels mesquins".

Les effets palpables de sa démission

Avec l'éviction de Thierry Breton, Mme von der Leyen resserre son emprise sur la Commission et donne le ton de son nouveau mandat : l'allégeance sera donc le mot d'ordre.

Forte d'une majorité plus étendue que prévu, Mme von der Leyen n'a aucune raison de faire des compromis, alors que sa gouvernance avait été parfois décrite comme excessivement centralisée, et inaccessible, hormis pour un groupe restreint de conseillers triés sur le volet. Son penchant pour une communication maîtrisée et sa réticence à entrer dans la controverse lui ont d'ailleurs valu le surnom de "Reine Ursula".

Thierry Breton n'est pas le premier à contester la présidente de la Commission

Frans Timmermans, le vice-président exécutif néerlandais chargé du Green Deal, connu pour ses propos sans filtre, avait quitté la Commission en 2023 pour se présenter aux élections nationales. Il était alors devenu la cible d'une campagne au vitriol menée par le PPE et n'avait reçu que peu ou pas de soutien public de la part de Mme von der Leyen.

Josep Borrell, qui avait de son côté publiquement critiqué Mme von der Leyen pour sa gestion initiale de la guerre entre Israël et le Hamas, sent approcher la fin de son mandat et quittera bientôt Bruxelles.

C'est donc une route dénuée d'obstacles qui se présente à Mme von der Leyen, le PPE étant en passe d'avoir la mainmise sur une bonne majorité des postes au sein de la prochaine Commission.