Délinquance: les statistiques mensuelles annoncées par Darmanin, un simple coup de com'?

Marlène Schiappa et Gérald Darmanin, le 7 juillet 2020 - AFP / Thomas Samson
Marlène Schiappa et Gérald Darmanin, le 7 juillet 2020 - AFP / Thomas Samson

"La confiance, ça passe par la transparence." Dimanche dans les colonnes du Parisien, Gérald Darmanin a affiné sa stratégie pour combattre la délinquance. L'une des annonces phares du ministre de l'Intérieur concerne les statistiques de cette délinquance, que lui et sa binôme Marlène Schiappa entendent communiquer chaque mois, avec un point presse organisé à Beauvau.

"Il reprendra six points", liste Gérald Darmanin. "La lutte contre les stupéfiants, les chiffres des violences conjugales, intrafamiliales et sexuelles, les heures de patrouilles pédestres sur la voie publique des gendarmes et des policiers, celles dans les transports publics également, le nombre de dérives sectaires signalées, et aussi le thème de l'immigration et de l'asile."

Cette pratique, qui rappelle les méthodes qu'appliquait Nicolas Sarkozy lorsqu'il occupait l'hôtel Beauvau au début des années 2000, vise à rendre plus lisibles les résultats du gouvernement en matière sécuritaire.

En d'autres termes - et c'est ce que reprochent depuis longtemps ceux qui raillent une "politique du chiffre" -, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa ont pour objectif de montrer combien le gouvernement, et à travers lui Emmanuel Macron, prennent à bras le corps cette préoccupation majeure des Français.

Statistiques déjà disponibles

Le problème, pointé du doigt sur notre antenne le sociologue Jean-Michel Schlosser, est qu'une évaluation mensuelle - et médiatisée comme telle - de la délinquance risque de priver l'opinion publique d'une cohérence d'ensemble sur le sujet. Une cohérence que les chiffres annuels sont peut-être davantage en mesure de procurer.

Par ailleurs, ces données existent et sont déjà diffusées: elles sont publiées chaque mois sur le portail officiel d'Interstats, l'outil statistique du ministère de l'Intérieur. Elles sont rassemblées dans une "analyse conjoncturelle des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie".

La dernière date du 4 septembre et passe donc en revue le mois d'août, tout en précisant que l'évolution des indicateurs est "atypique" depuis le déconfinement et "très complexe" à interpreté. Tout cela est accessible au grand public sur le site du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), ou même via les réseaux sociaux.

Il y a également un fichier, communément appelé "état 4001", qui recense l'ensemble des vols violents et avec armes enregistrés par les forces de l’ordre depuis les années 2000 et qui est accessible sur le site Data.gouv. Comme l'a toutefois souligné CheckNews, le site de vérification des faits de Libération, les données recueillies pour l'"état 4001" sont brutes et n’ont pas été passées au tamis du SSMSI. Ce dernier appelle donc à la plus grande prudence dans leur usage.

Durcissement des lois

Plus généralement, le débat sur les statistiques de la délinquance ne date pas d'hier. Il recouvre un nombre important d'indicateurs et de biais méthodologiques, par exemple le fait de pouvoir qualifier de "délits" certaines violences en fonction des circonstances, ce qui peut avoir un effet inflationniste sur leur recensement.

"Il y a eu depuis dix ans un durcissement des lois sur ce sujet, élargissant le périmètre des 'coups et blessures volontaires', qui a certainement eu un effet à la hausse sur les enregistrements de ces faits", affirmait Christophe Soullez, chef de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP), dans CheckNews le 21 août.

Ce constat s'accompagne du fait que certaines violences, notamment intrafamiliales, sont davantage signalées auprès des forces de l’ordre qu'auparavant. Le nombre d'enregistrements de plaintes a donc augmenté, ce qui ne veut pas nécessairement dire que le nombre d'actes violents a augmenté de manière concomitante.

Besoin de communiquer

Pour ces raisons, beaucoup - notamment à gauche - reprocheront à Gérald Darmanin de faire essentiellement de la communication. De vouloir brandir en grande pompe les résultats de son action afin de permettre à Emmanuel Macron de parler à l'électorat le plus sensible à la notion d'insécurité.

Une sensibilité avivée par les faits divers violents de l'été et confirmée par le sondage publié par l'Ifop ce lundi, d'après lequel 70% des Français trouvent justifié l'usage du terme "ensauvagement" par le ministre de l'Intérieur pour décrire le climat que traverse la société.

"Ce que nous sommes en train de mener, c'est aussi un combat culturel pour l'ordre républicain", a expliqué Gérald Darmanin dans Le Parisien. "Il se mène en étant offensif, mais aussi en communiquant sur ce que l'on fait. Si on met en place des dispositifs, mais que les gens ne le savent pas, ils ne peuvent pas y avoir recours, et ça ne sert à rien."

Un propos qui offre un éclairage sur les motivations qui guident la place Beauvau dans sa volonté de doter Emmanuel Macron d'un bilan sécuritaire lisible d'ici à 2022.

Article original publié sur BFMTV.com