Publicité

Décrire la franchise pour mieux la comprendre

<span class="caption">Intervient souvent un moment périlleux où le franchisé souhaite renégocier son contrat. </span> <span class="attribution"><span class="source">Aymane Jdidi / Pixabay</span></span>
Intervient souvent un moment périlleux où le franchisé souhaite renégocier son contrat. Aymane Jdidi / Pixabay

La franchise emploie plus de 300 000 personnes en France, près de 8 millions aux États-Unis. Elle est une des formes d’activité majeure dans des secteurs comme l’hôtellerie, la restauration rapide, les services à la personne, ou encore le commerce. Apparue aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, elle prend, en France, sa forme moderne en 1923 lors de la création des magasins Pingouin, lancés par Jean Prouvost, patron de la Lainière de Roubaix.

Les économistes ont beaucoup étudié ce phénomène en mobilisant leurs théories et leurs modèles (coûts de transaction, théorie de l’agence, contrats incomplets). Comme l’a cependant noté Rajiv P. Dant, grand spécialiste du sujet, il manquait encore une description de type phénoménologique de cette relation dans sa complexité, c’est-à-dire une « analyse descriptive des vécus en général » pour reprendre la définition fondatrice du philosophe Edmund Husserl.

Pour la mener, nos travaux sont partis de l’analyse la plus simple de la relation, pour la complexifier pas à pas. Puis, dans la mesure où cette relation se développe dans le temps, ils en ont identifié des scénarios dynamiques. La recherche repose sur dix entretiens, d’une heure et demie à deux heures, réalisés avec des franchiseurs et des franchisés dans quatre secteurs différents (hôtellerie, immobilier, commerce de détail, coiffure) et avec des spécialistes de la franchise.

Déséquilibre et émotion

La franchise, dans sa description fondamentale, est une relation économique de type gagnant-gagnant entre un franchiseur-entrepreneur et un franchisé (souvent)-ex-cadre. L’entrepreneur, qui invente un concept, a envie de le développer rapidement et ne dispose souvent que d’un capital limité. Le cadre, qui, vers quarante-cinq ans, a accumulé un capital et veut quitter le monde hiérarchique de l’entreprise, court un risque en devenant son propre patron (bon nombre des entreprises nouvellement créées font faillite).

Le franchiseur va alors mettre à disposition du franchisé un concept qui a déjà fait ses preuves, faire de la publicité, il va le former, lui fournir des services qui vont l’aider à gérer son affaire, lui donner accès à son réseau de fournisseurs. Le franchisé va apporter son capital et son énergie. Puisqu’étant directement intéressé à la réussite d’une affaire dont il reste propriétaire, il sera sans doute plus actif qu’un simple salarié. Il versera également une redevance, correspondant souvent à un pourcentage de son chiffre d’affaires.

De l’aveu des acteurs de la franchise eux-mêmes cependant, la relation est en réalité bien plus compliquée. Le contrat reste souvent déséquilibré. Il se noue entre une grande société, parfois multinationale, et un individu qui risque tout ce qu’il a. Un franchiseur le formule ainsi :

« Si le franchisé se casse la g… il perd tout. Avec y compris, souvent, un divorce à la clef. Pour ma part, si un franchisé se casse la g… ce n’est pas très grave. Contrairement à ce qu’on dit, ce n’est pas une relation égale. »

De surcroit, cette relation prend généralement une dimension émotionnelle. Les franchisés présentent souvent leur entrée dans un réseau de franchise en utilisant une métaphore bien particulière :

« Une relation entre deux commerçants indépendants comme une relation amoureuse. »

Le créateur de certains réseaux est ainsi une figure centrale. Les franchisés de « Monsieur Dessange » en parlent par exemple avec émotion. Quand il a disparu, certains se sont posé la question de quitter le réseau : fallait-il continuer par respect à ce qu’il avait été, ou partir d’un groupe qui n’était plus dirigé par lui ? Bien évidemment, l’émotionnel ne l’emporte pas sur l’économique, mais il joue un rôle important.

Réseau et rivalités

Cette relation de franchise se complexifie encore du fait qu’il s’agit d’une relation multiniveau puisqu’interviennent également les équipes du franchiseur. Et les choses peuvent se passer de façon bien différente avec les uns ou les autres. Un franchiseur décrit un moment de changement de stratégie du groupe.

« La fidélité était liée à la fidélité aux équipes, les franchisés avaient confiance. Même s’il y avait des choses qui ne leur plaisaient pas trop, ils restaient fidèles. Dès que la stratégie s’est décidée en dehors d’eux et de nous, ils ont commencé à partir. »

Le lien entre le « eux » (les franchisés) et le « nous » (les services du franchiseur au contact des franchisés) se rompt ici du fait d’une absence de liens entre les équipes du franchiseur et leur direction.

Il faut aussi comprendre que la relation n’est pas duale, comme cela semble être le cas à première vue. Il s’agit d’une relation de réseau qui se joue à trois : le franchiseur, le franchisé et l’ensemble des autres franchisés. Animer et gérer son réseau est donc une des fonctions essentielles du premier d’après un spécialiste :

« Il faut alimenter les entrepreneurs qui ont envie de grandir dans un esprit de co-construction. On a beaucoup entendu parler d’"intelligence collective" dans les réseaux. Ils ne travaillent pas pour le réseau car le réseau, c’est eux-mêmes. C’est un cercle vertueux. »

Enfin, la relation de franchise est une relation agonistique qui engendre conflits et rivalités. Sur la totalité des litiges en affaires aux États-Unis, 30 % concernent la franchise. La plupart sont réglés par médiation ou arbitrage.

De la renégociation à l’ébranlement du réseau

Cette fragilité de la relation et sa gestion ne peut par conséquent se comprendre que dans une perspective dynamique. Notre travail a ainsi identifié plusieurs scénarios. Le scénario noir est celui de la faillite du franchisé. Il existe, mais intervient moins souvent en moyenne que la faillite d’un nouvel entrepreneur : la franchise traduit là son rôle protecteur. Cinq idéaux types semblent en fait apparaître :

Le scénario 1 repose sur l’établissement d’un équilibre dans la relation. Le franchisé se débrouille seul, le franchiseur desserre son contrôle pour lui laisser de l’autonomie.

Si le franchisé réussit, il peut estimer qu’il n’a plus vraiment besoin du franchiseur et trouver que la redevance qu’il lui verse est trop forte alors qu’il ne recourt plus beaucoup à ses services. Il veut alors renégocier. C’est le deuxième scénario, celui de la renégociation. Un franchiseur le décrit bien :

« On est toujours sur le fil du rasoir, c’est un rapport de force, ce n’est pas qu’un rapport d’affection. Si le franchiseur est en position de force, ça va ; si le franchiseur ne peut pas se permettre de perdre des franchisés, il doit faire plus d’efforts. »

Il y a là un fragilisant structurel de la relation. Si les discussions n’aboutissent pas, le scénario 3 peut être la sortie du réseau. Le franchisé met fin à la franchise ou bien change de franchiseur en négociant des conditions plus favorables.

Il existe aussi des cas de passage à la multifranchise. Le franchisé a, par exemple, réussi dans l’habillement et il va aussi prendre une franchise de restauration. Certains groupes offrent d’ailleurs à leurs franchiseurs plusieurs concepts possibles. En restauration, la chaîne Bertrand propose ainsi les restaurants à viande Hippopotamus, les moules-frites Léon de Bruxelles, les brasseries Au Bureau et Volfoni, spécialisé dans la cuisine italienne. La multifranchise est une des manières de stabiliser la relation entre franchiseur et franchisé avec une perspective de croissance commune.

Reste cependant un dernier scénario, celui de l’ébranlement du réseau. Les tentatives de renégociation ont échoué, les franchisés peuvent alors quitter individuellement le réseau, avec un effet de cumul. Ils peuvent également décider de se grouper et il est même arrivé, cas évoqué au cours d’un entretien, que les franchisés rachètent le franchiseur.

Le travail de description de la relation de franchise dans sa complexité dimensionnelle et dynamique permet ainsi de mieux comprendre les problèmes de gestion rencontrés par les acteurs qui se lancent dans cette activité. On touche également à l’art gestionnaire qu’ils doivent élaborer pour la faire fonctionner.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

Lire la suite: