Débat Trump-Harris en Pennsylvanie : le « fracking », cette aberration écologique au cœur de l’élection américaine
ÉTATS-UNIS - Un sujet explosif. Donald Trump et Kamala Harris se sont affrontés pour la première fois, ce mardi 10 septembre à 21 heures sur la côte Est des États-Unis (3 heures du matin à Paris), lors d’un débat tendu en Pennsylvanie, État-clé où se trouve l’un des plus grands gisements de gaz de schiste au monde. Un décor a fait ressurgir une polémique vieille de vingt ans sur le « fracking », ou « fracturation hydraulique » en français, une méthode d’extraction d’hydrocarbures au coût environnemental important.
Le débat entre Kamala Harris et Donald Trump passe aussi par une guerre des micros
Lors de la précédente campagne présidentielle, en 2020, Kamala Harris assurait vouloir interdire la fracturation hydraulique à l’échelle du pays. Mais quatre ans plus tard, alors qu’elle a été nommée au pied levé pour remplacer un Joe Biden déclinant dans la course à la Maison Blanche, la démocrate est revenue sur cette position. « Nous pouvons faire croître et développer une économie florissante basée sur les énergies propres sans interdire la fracturation », a-t-elle affirmé à CNN, le 29 août, dans sa première interview comme candidate.
De nouveau mardi soir, la vice-présidente a soutenu le « fracking » et s’est félicitée de la « plus forte augmentation de la production nationale de pétrole de l’histoire » sous l’administration Joe Biden. Dans le même temps, l’ancien président Donald Trump a tenté de mettre son adversaire au tapis sur cette question, en déclarant que si Kamala Harris était élue, « le pétrole serait mort ». Le revirement d’Harris sur la fracturation ulcère Trump, mais il s’explique par des considérations électorales.
Emplois pour la « ceinture de la rouille »
Et pour cause. Cette technique, qui consiste à injecter des millions de litres d’eau, de produits chimiques et de sable afin d’ouvrir des fissures dans la roche et libérer généralement du pétrole ou du gaz de schiste, a relancé la croissance industrielle et économique de la Pennsylvanie depuis les années 2000.
Dans ce « swing-state » éminemment important dans l’optique de remporter l’élection présidentielle, l’industrie du « fracking » est même l’un des principaux pourvoyeurs d’emplois. Elle fait vivre un demi-million de personnes de la « Rust Belt », cette « ceinture de la rouille », une région industrielle du nord-est des États-Unis. En appelant à « forer, forer, forer », Donald Trump avait réussi à séduire en 2016 ces électeurs catalogués de « classes populaires blanches », faisant basculer un État jusqu’alors historiquement démocrate. Un succès local qui avait considérablement pesé dans son accession à la Maison Blanche.
Les partisans de la fracturation hydraulique en soulignent aussi d’autres avantages : elle a permis de rendre les hydrocarbures « bon marché », mais aussi de sortir les États-Unis de leur dépendance à l’égard des importations étrangères et des centrales à charbon.
L’économie avant l’écologie
Sur la scène internationale, le « fracking » est devenu « une réalité géographique, géopolitique et géostratégique incontournable pour les USA sur le plan énergétique », rappelle le géographe Laurent Carroué au HuffPost. Et l’auteur de Géographie de la mondialisation ajoute : « Depuis la guerre en Ukraine, face à la question du gaz et du pétrole russes, les USA sont appelés à jouer un rôle important de fournisseurs de l’Europe pour découpler Moscou de Bruxelles. »
Sauf que si les États-Unis sont désormais le premier producteur mondial de pétrole et de gaz, le revers de la médaille est bien moins reluisant. En permettant de puiser à plus de 1 500 mètres sous terre, le « fracking » libère une quantité importante de méthane, un puissant gaz à effet de serre responsable à 25 % du réchauffement climatique lié aux activités humaines. Le processus d’extraction nécessite également une quantité astronomique d’eau, et les fuites lors de la production peuvent contaminer les eaux de surface et souterraines.
Sans parler des conséquences sanitaires. La qualité de l’air étant détériorée par ce type de forage, les personnes asthmatiques ont quatre fois plus de risques d’avoir une crise s’ils vivent près de puits de gaz de schiste en Pennsylvanie, selon une étude datant de 2016.
L’écologie et la santé ne sont néanmoins pas des arguments suffisants pour faire changer d’avis les partisans de Trump qui veulent voir perdurer cette industrie fructueuse.
Une position avant tout électorale
Reste que derrière leurs promesses respectives, ni Trump ni Harris, s’ils venaient à accéder à la Maison Blanche, ne pourraient en réalité intervenir sur le « fracking ». En effet, « aucun président ne dispose d’un moyen direct de réglementer le forage sur des terrains privés », rappelle Wayne D’Angelo, avocat au cabinet américain Kelley Drye, interrogé par Politico. « Seul un fort consensus parlementaire des Chambres peut initier le vote de nouvelles lois [sur le fracking], nous sommes très loin de ce rapport de force parlementaire », complète le géographe Laurent Carroué.
L’administration Obama a d’ailleurs déjà subi des blocages en la matière. Après avoir tenté en 2015 de donner plus de pouvoir au département de l’Intérieur - qui gère les ressources naturelles - pour réglementer la fracturation hydraulique, un tribunal fédéral a retoqué cette proposition. Dans la lignée de ce qu’expliquent les experts, la justice américaine a jugé que le Congrès n’avait pas donné de telles prérogatives à ce ministère.
Revendiquer l’autorisation (ou l’interdiction) du « fracking » aux États-Unis est donc avant tout symbolique. Kamala Harris cherche par ce biais à tendre la main aux classes populaires qui craignent l’inflation que pourraient provoquer des mesures écologiques « punitives ». « Ses conseillers [de Kamala Harris] savent que soutenir l’interdiction de la fracturation est une condamnation à mort pour ses chances électorales », a estimé à cet égard Karoline Leavitt, porte-parole de la campagne de Trump, citée par Politico.
« Kamala Harris sait qu’elle doit faire des compromis pour être élue. Cela passe par l’abandon - ou la mise en sourdine - de certaines de ses positions antérieures », poursuit Laurent Carroué auprès du HuffPost. La vice-présidente démocrate, qui avait pourtant soutenu le grand plan de transition énergétique de Joe Biden, l’« Inflation Reduction Act », a d’ailleurs aussi fait une autre volte-face fin août sur l’interdiction des pailles en plastique. L’effet repoussoir de l’écologie auprès des électeurs américains n’a jamais été aussi vrai que lors de cette campagne présidentielle.
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