"Tout est décuplé": quel est l'impact psychologique de l'enfermement pour les candidats de télé-réalité?

Passer trois mois dans un château, avec des inconnus, sans avoir le droit de sortir, sauf exception, et sans pouvoir appeler ses proches plus d'une minute par jour. C'est ce qu'ont expérimenté Marine et Ebony, finalistes de la Star Academy, dont l'aventure s'achève ce samedi 25 janvier. Mais beaucoup d'autres candidats de télé-réalité ont éprouvé l'enfermement depuis les débuts de ce format en France. Dans des formes variables, allant des plus extrêmes (Loft Story, Secret Story...), à des plus légères (des tournages comme Frenchie Shore, Les Cinquante, L'île de la tentation…).

Dans ces dernières configurations, les candidats sont filmés dans une maison mais ont des jours de pause où ils peuvent sortir, appeler leurs proches à leur guise, et ne sont pas forcément filmés 24 heures sur 24. Il s'agit tout de même de conditions de vie exceptionnelles, que tout le monde ne tolère pas bien. Comme Maïssane, pourtant candidate emblématique des programmes de W9, qui affirmait vivre "tellement mal" ces tournages.

"J’ai les veines qui me grattent à chaque fois que je mets un pied dans un programme, mais c’est bien payé. C’est triste dit comme ça…", expliquait-elle à Télé 7 Jours.

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"J’ai beaucoup de mal en général avec la vie en communauté", poursuivait-elle. "Je suis quelqu’un de très solitaire, casanière Même si les autres candidats sont sympas, passer 24h/24 avec eux pendant plusieurs semaines, c’est insupportable pour moi. Ça me donne envie de me défenestrer."

Des émotions décuplées

Tous les candidats le disent: en tournage, leurs émotions sont amplifiées. "Tout est décuplé parce que tout est vécu de manière intense", explique à BFMTV.com Ella Gbezan, psychologue et finaliste de la saison 11 de Koh Lanta en 2011.

Une intensité liée aux conditions de tournage. Les candidats "n'ont plus leur travail, leur famille, qui créent un extérieur. Le monde se réduit d'un coup donc il est difficile de créer une distance par rapport à ce qu'il se passe", décrit la psychologue Tilila Relmani, co-autrice de la BD Éloge de la surface, dans les profondeurs de la téléréalité (Dargaud, 2023).

"N'avoir aucun espace de régulation émotionnelle et être constamment face à des gens qui vont émotionnellement les mettre à l'épreuve, puisque c'est le jeu, crée un débordement émotionnel", décrypte-t-elle pour BFMTV.com. Que ce soit de la tristesse, de la colère ou même de l'amour...

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Ainsi, lorsque des candidats se crient dessus pour des histoires futiles, cela peut être une stratégie pour créer une bonne séquence, mais cela peut aussi provenir d'un trop-plein sincère, décuplé par les conditions de tournage. Par exemple, lorsque Kim Glow hurle de toutes ses forces "sortez de ma chambre" après une rupture amoureuse sous l'œil des caméras dans Les Anges de la téléréalité 9, "on voit bien que la présence des autres vient faire effraction, qu'elle a besoin de créer des frontières", estime Tilila Relmani.

À Koh Lanta et dans la Star Academy, il n'est pas rare de voir des candidats fondre en larmes lorsqu'ils appellent leurs proches. Comme Lola dans la Star Academy 2023, qui s'est effondrée en appelant sa mère après seulement une journée au château.

"Souvent, les gens ne comprennent pas qu'on pleure quand on appelle les proches, mais pour nous 30 jours, ça fait 120 jours en ressenti", témoigne Ella Gbezan.

Plusieurs facteurs contribuent à cette perception. C'est ce qu'observe Dania Ramirez, psychologue qui intervient pour plusieurs émissions de télé-réalité au Québec, dont la Star Académie locale. "Ça rend parfois les gens anxieux d'être filmés 24h/24, de se retrouver en vie de groupe alors qu'ils connaissent très peu les gens avec qui ils vont cohabiter", dit-elle à BFMTV.com.

La psychologue pointe aussi le "climat de compétition" souvent instauré, puisque beaucoup de télé-réalités reposent sur l'élimination régulière: "Ça peut fragiliser d'être souvent évalué, souvent jugé et d'être sur la sellette." Ulysse, candidat de cette saison de la Star Academy française, souffre de crises d'angoisse depuis plusieurs années. Il a dévoilé à sa sortie en avoir fait une lors d'un prime, devant la pression qu'il ressentait face aux enjeux de l'émission.

Les jeunes et les parents plus vulnérables

Le fait d'être coupé de ses proches peut aussi être très dur à vivre. Là encore, les circonstances sont différentes selon les tournages: dans la Star Academy, les candidats n'ont droit qu'à une minute - filmée - de téléphone par jour chacun. Dans Secret Story, ils n'ont pas du tout de contacts avec l'extérieur, sauf exception.

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Dans la plupart des productions Banijay (Les Cinquante et L'Île de la tentation par exemple), ils ont des jours de repos, au minimum tous les six jours, indique à BFMTV.com Florence Fayard, PDG de la société de production. Ils ont alors accès à leur téléphone portable et peuvent appeler leurs proches comme ils le souhaitent.

Face à cet éloignement, certains profils sont particulièrement vulnérables, selon Dania Ramirez. Les "très jeunes" qui vivent encore chez leurs parents par exemple. "Ils n'ont plus de point de repère s'ils ont un problème", souligne la psychologue. "Ils forment des amitiés entre eux mais ce n'est pas comme parler à sa mère. Si on compare à des émissions comme The Voice où le candidat rentre chez lui à la fin de la journée, ce n'est pas du tout la même chose."

Les candidats qui ont des enfants peuvent aussi éprouver plus de difficultés: "Ils vivent la séparation avec beaucoup de culpabilité", explique Dania Ramirez. C'est pourquoi Banijay affirme que les parents ont eux le droit d'appeler leurs enfants tous les jours sur les tournages.

Enfin, l'ennui que ressentent parfois les candidats n'arrange rien. Si le montage se garde bien de montrer ces moments, "pour une scène d'une demi-heure à la télé, les candidats sont peut-être restés allongés quatre heures sur un sofa", rappelle Dania Ramirez.

Ella Gzeban l'a vécu en 2011: "Le temps est notre pire ennemi dans 'Koh Lanta', on pense aux proches, à la nourriture, quand on n'a rien à faire."

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Certains aspects de ces tournages peuvent aussi être appréciés par les candidats. Sur une télé-réalité en temps réel comme la Star Academy, il vaut sans doute mieux qu'ils n'aient pas accès aux réseaux sociaux sur lesquels les messages de haine ne sont pas rares.

De la "gestion de crise" pour des candidats fragiles?

Pour faire face aux impacts négatifs, les candidats peuvent bénéficier d'un accompagnement de la production. La plupart des émissions imposent un entretien avec un psychologue lors du casting, qui vise à déterminer si la personne est apte à supporter une télé-réalité.

Florence Fayard l'assure: chez Banijay, "on applique toujours un principe de précaution, on ne prendra jamais de risque pour l'intégrité physique ou mentale d'un candidat".

Ce psychologue est aussi présent sur les tournages, dans le cas de Banijay par téléphone ou visio-conférence puisque les émissions ont souvent lieu à l'étranger.

Dania Ramirez, elle, accompagne les candidats de la Star Académie au Québec lorsqu'ils le demandent. "Ce n'est pas une intervention psychologique traditionnelle qu'on fait, on fait parfois un peu de gestion de crise, on dénoue des situations ponctuelles", dévoile-t-elle.

Tilila Relmani est de son côté assez sceptique sur l'utilité de l'accompagnement psychologique en télé-réalité, qu'elle juge léger. Elle préconiserait plutôt deux séances obligatoires par semaine avec un psychologue pour les candidats, plutôt qu'à la demande. Mais, après avoir beaucoup étudié ces émissions, elle dit avoir remarqué qu'"à la base, le casting est composé de personnes fragiles".

"Ils sont choisis sur ces critères, avec des carences affectives, des failles narcissiques… Ce n'est pas un hasard qu'on choisisse d'aller chercher une notoriété avec ce type d'émissions."

De nombreuses personnes aux parcours de vie difficiles participent en effet à ces émissions. On peut citer Nathanya Sonia, découverte dans Les Anges, dont la mère s'est suicidée lorsqu'elle était enfant et qui a subi des violences conjugales dans sa jeunesse. Ou encore Aurélie Preston, dont la mère était alcoolique et le père héroïnomane.

Quel accompagnement après l'émission?

Une sélection que récuse avec force Florence Fayard: "Bien sûr que non, sinon on ne demanderait pas la peine de demander validation à un psy. Je peux vous assurer qu'au moindre warning, le candidat ne sera pas retenu". De même, si elle ne donne pas de nom pour respecter leur intimité, elle assure que certains ont déjà été renvoyés chez eux en cours de tournage en raison d'une trop grande fragilité.

La manière dont l'émission est filmée joue enfin beaucoup. Dans Secret Story ou la Star Academy, les caméras vont être fixées au mur et les candidats filmés en permanence, sauf pendant les pauses légales. Cela revient à "vivre constamment avec un regard intrusif sur soi", alerte Tilila Relmani.

Dans les productions Banijay, Florence Fayard souligne que les candidats "ne sont pas filmés la nuit" et qu'ils "savent toujours" lorsqu'ils le sont puisque la présence de caméras implique celle de cadreurs. "Être filmé, c'est forcément une forme de tension inévitable" donc "les candidats prennent tous des pauses" et ne sont pas toujours "dans l'axe des caméras", argumente-t-elle. "Après il y a des moments de tournage obligatoires, un jeu par exemple. Mais celui a envie d'aller se coucher deux heures pendant la journée, il le fait."

Selon la PDG de Banijay Productions, le moment où les candidats font le plus appel au psychologue est celui de la diffusion de l'émission, "à cause du harcèlement qu'ils peuvent subir sur les réseaux sociaux". "On les accompagne au mieux, mais même avec un psychologue qui les suit, ce sont des moments extrêmement difficile à vivre", alerte la productrice.

Les finalistes de la Star Academy, Marine et Ebony, risquent d'en faire les frais une fois qu'elles auront récupéré leur téléphone samedi soir, la seconde ayant notamment été la cible d'attaques racistes.

Article original publié sur BFMTV.com