La crise en Ukraine, c'est aussi une guerre médiatique et ces images le prouvent

Vidéos, cartes et photos détournées soufflent aussi sur les braises du climat de tensions à la frontière entre l'Ukraine et la Russie ces dernières semaines.

UKRAINE - Les tensions entre l’Ukraine et la Russie, et la menace d’un conflit militaire qu’elles font peser sur l’Europe ne se résument pas à des pourparlers ou à des grandes déclarations internationales. N’en déplaisent à Emmanuel Macron et Vladimir Poutine qui se sont entretenus durant près de deux heures ce dimanche pour tenter de trouver un nouveau terrain.

Au-delà des images habituelles et des poignées de main relayées sur les canaux hertziens, c’est aussi une guerre des photos et des médias plus discrète qui se joue sur les réseaux sociaux.

En pleine escalade militaire, certains chefs militaires séparatistes n’hésitent pas à utiliser les réseaux sociaux pour instrumentaliser du contenu sorti de son contexte pour diffuser la peur, quand des groupes para-militaires néonazis du côté de Kiev jouent la ferveur nationale avec une septuagénaire, fusil à la main. Plusieurs exemples parlant de ces stratégies ont émergé ce week-end.

Des vidéos truquées

Dans une vidéo tournée le 18 février, Denis Pouchiline, chef de la République populaire autoproclamée de Donetsk, à l’Est de l’Ukraine, annoncait une évacuation massive des civiles: “La vie et la santé de nos citoyens peuvent être mises en danger si l’ennemi bombarde les zones peuplées de la République [...] pour cette raison, à partir d’aujourd’hui, 18 février, une évacuation massive et centralisée de la population vers la Fédération de Russie a été organisée”. Un message alarmant relayé sur la messagerie Telegram dans lequel on peut voir des extraits vidéos d’évacuations supposément tournées ce 18 février.

Scrutées par le site web d’investigation Bellingcat, les métadonnées des vidéos révèlent qu’en réalité, elles ont été tournées deux jours plus tôt, soit le 16 février, la veille de la reprise des bombardements sur le front est de l’Ukraine et pour lesquels chaque camp s’accuse mutuellement.

Une guerre des images qui va encore plus loin d’après les révélations du site déjà à l’origine de révélations autour de l’opposant politique à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny. Dans les informations métadonnées de ces vidéos, il est possible de trouver le nom du dossier où ont été stockées ces images.

D’après l’activiste ukrainien Serhii Sternenko, qui a dévoilé l’information sur son compte Twitter, le nom du dossier est “Mongoose Throw”, soit “Lancé de mangouste” en français. Une référence à peine cachée à l’“Opération Mongoose”, un nom donné aux actions menées par les États-Unis en 1961 pour faire chuter Fidel Castros.

De quoi renforcer encore la thèse de la planification, un argument notamment utilisé par Washington qui croit en la thèse selon laquelle la Russie surjoue la montée des tensions afin de créer un prétexte pour lancer le conflit en Ukraine.

La guerre des cartes

Autre exemple parlant, celui d’une carte, utilisée depuis ce samedi 19 février par les séparatistes pro-russes en place à Donetsk pour instiguer la peur parmi les Ukrainiens. Du matériel de propagande qui prétend montrer comment l’Ukraine prévoit d’attaquer dans les prochains jours pour prendre le contrôle des villes de Donetsk et Lougansk, comme sur cette vidéo où Eduard Basurin, chef adjoint de la milice populaire de la République populaire autoproclamée de Donetsk, se met en scène devant la fameuse carte.

Mais encore une fois, il y a un hic. Des spécialistes et experts, comme Sergej Sumlenny, expert sur l’Europe de l’Est, ou Maria Avdeeva, directrice de recherche du think tank ukrainien European Expert Association, et qui travaille sur les opérations d’information et de désinformation, doute de l’authenticité de cette carte. Enormément diffusée et partagée en ligne, elle est aussi en partie écrite en russe...

“Des militants du ‘DNR’ publient un faux ‘plan intercepté d’attaque ukrainienne sur le Donbass’. Selon cette carte, Kiev prévoit de se rendre à la frontière avec la Russie en deux jours. Mais il y a une seule chose que le Kremlin a oubliée: traduire “plan” en ukrainien pour le rendre un peu plus réaliste”, détaille cette experte.

“La propagande russe: ‘L’Ukraine discrimine la langue russe!’
Aussi la propagande russe: ‘Nous avons volé des plans secrets de l’armée ukrainienne sur la manière dont ils veulent prendre le contrôle de Donetsk et Lougansk, et ces plans sont euh... en russe’”, ironise cet expert sur Twitter. Des tentatives d’effrayer la population qui sont légion depuis plusieurs années dans cette zone, comme le montre sur Twitter, Alex Kokcharov, analyste du risque politique dans les pays de l’Est, en diffusant d’autres cartes semblables à celles utilisées ces dernières heures. Ces cas similaires remontant à 2018, voire même 2015, font la démonstration que la technique a déjà été utilisée par le passé sans que la moindre invasion ukrainienne ne voie le jour.

Instrumentalisation des civils


Avant les vidéos des séparatistes prorusses, certaines images virales circulaient aussi de l’autre côté, avec notamment des photos laissant penser à une militarisation quasi spontanée des Ukrainiens. Le cas d’une photo d’une jeune femme supposément ukrainienne est particulièrement évocateur. Diffusée sur différents comptes sur les réseaux sociaux depuis le 12 février, la photo montre une jeune femme assise dans un bus, Kalachnikov sous le bras avec la légende suivante: “La vie en Ukraine, maintenant”.

Une autre version, publiée deux jours plus tard, utilise les mêmes procédés pour témoigner du quotidien des Ukrainiens en 2022.

Mais encore une fois et comme le souligne très bien le site de fact-checking de France 24 Les Observateurs, il s’agit d’une nouvelle forme de manipulation puisque cette photo date en réalité de 2020 et a été prise en Sibérie russe.

Sur la photo d’origine, retrouvée grâce à la technique de recherche d’image inversée, la légende précise “je vais au stand de tir, j’ai une AK-47, vos ennemis le regretteront”, comme l’expliquent Les Observateurs, dans un article dédié à cette photo.

Contactée dans cet article, la jeune femme explique qu’elle revenait d’une séance photo au moment du cliché: “Personne ne m’a posé de question dans le bus et je suis rentré calmement en voiture. Bien sûr, l’arme était fausse. Je suis habituée au fait que la photo soit comprise d’une manière complètement différente”.

Mamie au fusil

Outre la réapparition de la jeune fille du bus, c’est la photo Valentyna Konstantynovska, une Ukrainienne de 79 ans, allongée en train de tirer, qui s’est frayé un chemin dans les médias internationaux. Ces derniers consacrant un reportage à cette mamie se formant auprès de groupes militaires ukrainiens pour “résister” en cas d’attaque russe.

Mais nombreux sont ceux, qui comme le souligne en revanche Euronews, ont oublié de mentionner que le groupe fournissant cet entraînement n’était autre que le mouvement paramilitaire et néo-zani d’extrême droite Azov Battalion. Une photo efficace et à moindre coût pour attiser le sentiment supra-nationaliste.

À voir également sur Le HuffPost: Les images d’un nouveau week-end de tensions entre Russie et Ukraine

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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