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Crise de l'asile en Belgique : symptôme d'une politique migratoire européenne défaillante ?

Venus d'Afghanistan, d'Afrique ou du Moyen-Orient, ils sont des centaines à frapper chaque jour, à la porte de l'office des réfugiés à Bruxelles pour y demander l'asile en Belgique. Débordé, le centre d'enregistrement de Fedasil, l'organisme habilité à gérer les demandes, ne parvient plus à faire face. Les organisations humanitaires sonnent l'alarme.

"Les gens qui dorment ici [ndlr : devant l'office des réfugiés] ont souvent essayé d'entrer hier ou avant-hier, mais ils n'ont pas pu," nous explique Helene Asselman, coordinatrice de Vluchtelingenwerk Vlaanderen. "Ils doivent revenir demain ou après-demain," poursuit-elle. "Entre-temps, ils n'ont pas de droits en Belgique, ils n'ont pas de statut, ils ne sont pas en séjour légal ; même les gens qui ont introduit une demande n'ont pas de centres d'accueil, en tout cas, les hommes seuls," fait-elle remarquer.

Des centaines de personnes à la rue

"On rencontre de plus en plus de mineurs, des mineurs de quinze ans ou des familles avec quatre petits enfants qui n'ont aucune solution," dit-elle. "On essaie de leur trouver une solution d'urgence, mais je crains vraiment que pour les jours qui viennent, on ne puisse pas leur en trouver," déplore-t-elle.

Parmi les centaines de personnes qui dorment dans les rues de la capitale européenne, tous ceux que nous rencontrons ont déjà tenté leur chance plusieurs fois. Ils sont à bout de forces.

"Nous sommes dans un état psychologique difficile, cela fait quatre mois qu'on est en Belgique et ils ne nous ont pas donné d'hébergement, ni de carte SIM, on vit dans ce froid glacial," témoigne Muhammad Mahani, demandeur d'asile palestinien. "Nous avons immigré pour construire notre avenir ; ce que nous avons vu dans notre pays, nous le voyons ici maintenant," constate-t-il, amer.

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Des personnes dorment devant l'office des réfugiés à Bruxelles dans l'attente de déposer une demande d'asile - Euronews

"Une situation sanitaire inquiétante"

À quelques mètres du centre d'enregistrement des demandes d'asile, l'association Médecins Sans Frontières a dressé des cliniques mobiles, les mêmes qu'elle utilise dans les zones de guerre. Le seul moyen pour ces hommes d'accéder aux soins.

"Cela fait trois mois et demi que je suis arrivé et que j'ai demandé l'asile, mais je n'ai toujours pas d'hébergement," précise Wali Khan Ebrahimi, demandeur d'asile afghan. "On a aussi des problèmes médicaux, on n'a pas de papiers, on ne peut pas travailler, on n'a pas d'argent et il y a beaucoup de problèmes," renchérit-il.

"Il y a une situation sanitaire assez inquiétante, on observe une épidémie de gale qui est difficilement contrôlable à Bruxelles puisque les personnes, en l'absence d'hébergement, retournent dans leur squat le soir ou dans la rue," explique David Vogel, chargé de plaidoyer chez MSF Belgique.

"On a eu aussi 17 cas de suspicion de diphtérie dont trois ont été confirmés par des laboratoires, on observe une dégradation très importante de la santé mentale de ce public, une exposition à la rue prolongée avec un parcours migratoire déjà assez difficile, jalonné de violences et de privations," ajoute-t-il.

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L'une des cliniques mobiles installées par Médecins Sans Frontières pour les demandeurs d'asile - Euronews

"Des carences étatiques"

À l'heure des repas, des queues se forment aux abords du Hub humanitaire de Bruxelles, géré par des associations et des collectifs de citoyens. La situation ne cesse d'empirer, souligne l'une des coordinatrices.

"On est maintenant à des moyennes de plus de 1 000 à 1 200 repas par jour alors qu'il y a un an, on était à environ 800 personnes," indique Clothilde Bodson, coordinatrice opérationnelle du Hub. "On offre des services spécialisés tels que des consultations médicales, du suivi psychologique, des distributions de vêtements, etc. Il y a différentes réponses des acteurs de la société civile et humanitaires, mais ce n'est pas suffisant," souligne-t-elle.

"Là, on est en train de répondre à des besoins qui sont des carences étatiques et la situation ne fonctionne pas."

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Le nombre de repas distribués a augmenté sur un an au Hub Humanitaire de Bruxelles - Euronews

Des réfugiés ukrainiens connaissent le même sort

Chaque soir, les associations multiplient les maraudes pour venir en aide aux centaines de personnes contraintes de dormir dehors. La crise est telle que même les réfugiés ukrainiens qui disposent d'un statut spécial en Belgique, comme ailleurs en Europe, sont de plus en plus nombreux à se retrouver à la rue.

C'est le cas de deux femmes que nous rencontrons à la Gare du Midi, au cœur de Bruxelles. "Je dois me rendre d'un endroit à l'autre pour dormir dans des abris temporaires et la situation est telle dans ces endroits, qu'on peut juste y passer une nuit," confie Liubov Skvorets, réfugiée ukrainienne. "Mais après, il faut reprendre ses affaires et aller chercher un autre endroit," ajoute-t-elle.

À ses côtés, Tetiana Makukha, réfugiée ukrainienne, renchérit : "Quand je me suis fait enregistrer, bien que j'aie montré des documents certifiant que j'ai un cancer, on m'a donné un abri pour une seule nuit dans un centre. Cela fait une semaine que je dors dans cette gare," dit-elle.

"Le chiffre que l'on obtient de la Croix-Rouge, c'est qu'en moyenne, chaque jour, il y a une centaine d'Ukrainiens qui arrivent encore à la gare du Midi," nous précise Magali Pratte, Samusocial Bruxelles. "Sur 100 personnes, Il y en a une quarantaine ou une cinquantaine qui ont vraiment un besoin d'hébergement, qui n'ont aucune solution par eux-mêmes," indique-t-elle. "Sur ces 40 personnes, il y en a 20 qui sont très vulnérables avec des enfants, des femmes enceintes, des personnes handicapées ou des personnes malades, mais pour lesquelles, aujourd'hui, on dit qu'il n'y a plus de places d'hébergement et les personnes partent, reviennent, partent, reviennent," déplore-t-elle.

Les deux Ukrainiennes pourront dormir cette nuit-là dans l'un des centres d'urgence où va les emmener l'équipe du Samusocial. Mais il leur faudra trouver une autre solution le lendemain.

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Deux réfugiées ukrainiennes installées à la Gare du Midi faute de solution d'hébergement - Euronews

"Ils ont besoin de plus d'aide que ce qu'on peut leur apporter"

L'équipe poursuit sa tournée auprès des demandeurs de protection internationale comme aux abords de l'un des centres d'hébergement de Fedasil, l'agence chargée de l'accueil des demandeurs d'asile. Les équipes de la Croix-Rouge belge sont également sur le terrain.

"On a mis en place des maraudes en plus vu qu'il y avait plus de besoins, mais on voit que les gens ont vraiment besoin de plus d'aide que ce qu'on peut leur apporter,"  constate Morgane Senden, de la Croix-Rouge. "Nous, on n'apporte pas grand-chose, juste un café, un thé, un petit peu à manger," soupire-t-elle..

Beaucoup dorment sur des matelas à même le sol, sans protection. Les tentes de fortune sont régulièrement démantelées par la police, et les groupes dispersés.

Un demandeur d'asile afghan nous indique que beaucoup dorment dans la rue depuis plusieurs mois, lui depuis 65 jours. "La police vient et dit qu'on ne peut pas dormir là, personne ne peut nous aider," lance un autre demandeur d'asile afghan, dépité.

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Un groupe de demandeurs d'asile afghans vivant dans la rue à Bruxelles - Euronews

Politique migratoire européenne défaillante

En Belgique comme aux Pays-Bas, mais aussi en France ou dans le sud de l'Europe, les demandeurs d'asile paient aussi le prix d'une politique migratoire européenne défaillante. Refoulés dans certains États de l'Union, ils souffrent dans d’autres, d'une gestion inefficace des demandes d'asile.

En désespoir de cause, des groupes de migrants ont occupé des bâtiments vides comme l'immeuble dans lequel nous nous rendons dans le centre de Bruxelles. Cet immense squat est passé d'environ 200 personnes à plus de 600 en l'espace de quelques jours.

Marie Doutrepont défend plusieurs des occupants du squat, menacés d'expulsion, au sein d'un collectif d'avocats qui se mobilise sans relâche pour les demandeurs de protection internationale.

"Depuis un an, Fedasil - et donc, à travers Fedasil, l'État Belge - a été condamné 7000 fois par le tribunal du travail qui a dit qu’il faut respecter la loi et fournir un hébergement à ces personnes, avec des astreintes qui n'ont pas été respectées par Fedasil ou avec un tel retard que cela n'a plus aucun sens," tempête l'avocate.

"Les avocats et avocates ont été jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg qui vient d'ordonner des mesures provisoires et de confirmer qu'il faut respecter la loi et accueillir ces personnes," poursuit-elle. "Ne pas le faire, c'est les soumettre à des traitements inhumains et dégradants et même ça, ça ne fait toujours pas bouger l'État belge !" s'indigne-t-elle.

"On est humains !"

Tous ceux que nous rencontrons dans le squat ont été enregistrés comme demandeurs d’asile il y a des semaines, voire des mois.

"Quand des nouveaux arrivent, on note leurs noms et leur numéro d’enregistrement," précise à Marie Doutrepont, Jean de Dieu Hitimana, demandeur d'asile originaire du Burundi. “Vous n’avez pas d’hébergement après le premier entretien et parfois, des gens qui sont reconnus comme réfugiés n’ont pas d’hébergement non plus," lui explique l'avocate.

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L'avocate Marie Doutrepont avec Jean de Dieu et Nasrullah qui vivent dans un squat à Bruxelles - Euronews

"Ici, on n’a pas assez de nourriture, on n'a pas de douches et on a froid," décrit Jean de Dieu. À ses côtés, Nasrullah Hallit, demandeur d'asile afghan, qui vit dans ce même immeuble. "On est humains, on est là parce qu’on est des réfugiés, rien d’autre !" lance-t-il. "Parce que notre vie est pleine de risques dans nos pays," assure-t-il.

Nasrullah était militaire en Afghanistan, à la prison de Bagram. Certains membres du nouveau gouvernement taliban étaient sous sa garde avant leur prise de pouvoir. Sa tête est mise à prix, tout comme celle de Jean de Dieu, pasteur au Burundi et militant des droits de l’homme.

Condamnation de l'État belge par la Cour européenne des droits de l'homme

Nous les retrouvons plus tard, aux côtés d’autres compagnons d’infortune venus participer à la manifestation organisée par leurs avocats non loin du secrétariat d'État pour l’Asile et la Migration.

"On vous invite à faire une petite action symbolique puisque la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l'État belge et que cela ne sert toujours à rien !" martèle-t-elle en s'adressant aux quelques dizaines de personnes rassemblées.

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Une manifestation organisée par des avocats en soutien aux demandeurs d'asile à Bruxelles - Euronews

L'avocate Manon Libert prend elle aussi la parole. "À quoi ça sert encore d’enfiler nos toges d’avocats, de préparer nos dossiers, d’aller plaider, de gagner les procédures et de faciliter des jugements si l'État marche dessus ensuite et laisse volontairement des femmes, des enfants et des hommes à la rue ?" dénonce-t-elle avant de lancer : "Nous demandons aujourd’hui, à la Belgique de remplir ses obligations internationales !"

Le secrétariat d'État à l'Asile et à la Migration, ainsi que l’agence chargée de l’accueil des réfugiés, ont décliné nos demandes d'interview.

Opposant aux critiques le manque de moyens, le gouvernement souligne aussi l’absence de solidarité européenne. Des arguments intenables disent les manifestants, face à l’urgence.