Crèches privées : « Emmanuel Macron a accentué la dégradation » du secteur de la petite enfance, selon ce syndicat
CRÈCHES - Deux ans après Les Fossoyeurs, où il ciblait les maisons de retraite et le groupe privé d’Ehpad Orpéa, le journaliste Victor Castanet épingle dans Les Ogres, publié ce mercredi 18 septembre chez Flammarion, un autre secteur où la rentabilité l’emporte sur l’intérêt et le bien-être des plus vulnérables : celui des crèches.
Dans les crèches, le risque de maltraitances est « insuffisamment maîtrisé »
Et en particulier les crèches détenues par de grands groupes privés, où se multiplient les « comportements inappropriés » et les « maltraitances » envers les tout-petits. C’est notamment le cas de People & Baby, pointé du doigt dans plusieurs affaires mettant en cause des professionnels de la petite enfance, l’une ayant causé la mort d’une enfant.
Le HuffPost a demandé à Véronique Escames, auxiliaire de puériculture et co-secrétaire générale du Syndicat National des Professionnel·le·s de la Petite Enfance (SNPPE), de commenter pour nous les retentissements de cette nouvelle enquête accablante.
Le HuffPost. La sortie du livre-enquête du journaliste Victor Castanet sur les dérives des crèches privées fait beaucoup de bruit. Qu’espérez-vous d’une telle médiatisation ?
Véronique Escames. Comme à chaque fois qu’un rapport ou qu’une enquête sort, on espère que cela va faire bouger les choses. Victor Castanet a réussi à en changer certaines avec Les fossoyeurs dans le secteur des Ehpad, même si tout n’est pas fait.
Ce n’est pas un livre qui va régler le problème de la petite enfance, en claquant des doigts. Mais s’il peut y avoir une prise de conscience du futur gouvernement et de l’opinion publique, cela fera avancer les choses. C’est l’occasion de remédiatiser encore une fois, de dire et de redire que oui, il y a une forme de maltraitance dans les structures, mais que ce ne sont pas les professionnels qui sont en cause. Que c’est une maltraitance institutionnelle. Que l’on piétine nos valeurs toute la journée.
Certains points du livre sont une évidence et ont été rappelés par différents rapports parlementaires, sept au total depuis 2016. Tous font le même constat. Par exemple, qu’il faut revenir sur le Cifam (ndlr : le crédit d’impôt famille, qui permet à des entreprises de réserver des places pour les enfants de leurs salariés, grâce à une incitation fiscale). Cela fait des années qu’on le dit.
Quel bilan faites-vous des actions menées sous les mandats d’Emmanuel Macron concernant la petite enfance ?
Emmanuel Macron a accéléré la déréglementation du secteur de la petite enfance et a accentué sa dégradation, clairement. Il a promis un service public de la petite enfance et un certain nombre de places en crèches, mais pour l’instant il n’a pas dit quels professionnels il allait trouver pour les encadrer, ni avec quelle formation. Sur la création d’un service public de la petite enfance, cela avance très, très doucement, car c’est un énorme chantier.
Le livre de Victor Castanet le montre, la marchandisation n’a rien à faire dans la petite enfance. Il faut que les collectivités locales reprennent leur rôle, ainsi que les associations. Nos enfants ne sont pas là pour qu’on se fasse de l’argent sur leur dos, au détriment de leur accueil, en plus. Si la qualité était là, pourquoi pas, mais ce n’est pas le cas.
Il y a beaucoup de recherches qui ont été faites sur le développement de l’enfant ces dernières années. Mais en parallèle, les conditions d’accueil ont été saccagées. Quand on lit le rapport des « 1 000 premiers jours de l’enfant », par exemple, tout ce que l’on a appris, on n’en tient pas compte.
C’est même plutôt l’inverse. Le rapport de l’Igas (en avril 2023) a dit qu’il fallait diminuer la taille des groupes, on n’en est pas là. Qu’il fallait augmenter le taux d’encadrement, on n’en est pas là. Il recommande de recruter des personnes qualifiées et on nous sort un décret qui dit qu’on peut embaucher n’importe qui… Depuis, on nous a promis une évaluation de ce décret, pour savoir combien de structures l’ont utilisé. Mais pour l’instant, nous n’avons pas eu de suite.
Les accusations de collusion entre Aurore Bergé et les lobbys des crèches privées, publiées dans le livre de Victor Castanet – et démenties par l’intéressée –, ont-elles été une surprise pour vous ?
Disons qu’on le ressentait. Il y avait des discours de la Fédération française des entreprises de crèches qui étaient repris parfois, de manière un peu différente, par les différents ministres et par Aurore Bergé… Ce sont des questions qui ont été posées lors de la commission d’enquête. Ce qui est différent, désormais, c’est que l’on sait que Victor Castanet a les documents qui prouvent ce qu’il avance, que ce n’est pas du vent.
Le fait que Matignon fasse appel à une crèche privée low cost, qu’est-ce que ça envoie comme message, pour vous ?
C’est un très mauvais signal. Cela dit que pour eux, n’importe qui peut s’occuper des enfants des autres et qu’à la limite, la qualité et le nombre de professionnels qui sont là, cela n’a pas d’importance.
Et tout ce qui concerne l’éveil des enfants, leur épanouissement, l’observation que l’on peut faire lorsque l’on est dans de bonnes conditions, de potentiellement pouvoir détecter de petits ou gros soucis, la sécurité affective des enfants, tout cela, on s’en moque.
Au moins, cela montre que les enfants des employés de Matignon sont sur le même plan que les autres. Mais c’est difficile de voir le peu de considération qu’on a pour les enfants.
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