Crèches People & Baby : le procès de deux ex-directrices pris dans la tempête médiatique
À Lille, une directrice de crèche et son adjointe, ex-salariées du groupe privé, sont jugées pour violences volontaires – physiques et psychologiques – sur neuf enfants.
REPORTAGE - Il y a presque autant de journalistes que de parties prenantes devant la 5e chambre du tribunal judiciaire de Lille, ce lundi 23 septembre. Et pour cause : le procès d’une directrice de crèche du groupe People & Baby et de son adjointe, suspectées de violences volontaires, physiques et psychologiques sur neuf enfants, a lieu quelques jours seulement après la sortie du livre de Victor Castanet, Les Ogres (éd. Flammarion).
L’enquête, qui porte sur les dérives du business autour de la petite enfance, consacre justement un chapitre à cet établissement de Villeneuve-d’Ascq, dans la banlieue de Lille. Les deux anciennes responsables sont jugées pour « violences sans incapacité sur mineurs de moins de 15 ans commises par une personne ayant autorité » – des faits qui se seraient déroulés entre 2019 et 2021. Ce sont deux mères qui, après avoir découvert des marques de bleus et griffures sur leurs enfants, avaient donné l’alerte.
Ce lundi, l’audience porte sur les cas de neuf enfants au total, dont certains avaient autour de 3 mois au moment des faits présumés : privations de repas, humiliations, isolement, maltraitances physiques… Au tribunal, la portée médiatique de l’affaire, amplifiée par la présence de Victor Castanet lui-même, donne des arguments à la défense pour demander son renvoi. « L’heure est grave, s’insurge Me Blandine Lejeune, avocate de l’ancienne directrice de 48 ans, veste noire, cheveux longs et grosses lunettes à écailles sur le nez. Ces femmes sont la cible, depuis la sortie d’un livre qui les présente comme des ogresses, d’un torrent de boue. »
« Il n’est pas question ici de vengeance, de lapidation ou de récupération médiatique »
Avant d’ajouter : « Il y a 60 pages sur elles, pas un élément à leur décharge et jamais on ne nous a contactées. » L’avocate de l’adjointe invoque elle aussi le retentissement médiatique de l’affaire et ses conséquences sur la santé de sa cliente, une femme de 34 ans à la longue natte rousse. « Depuis quelques jours, toute notre énergie a été mobilisée à fuir la presse, soutient Me Fatima En-Nih. Ce n’est pas un euphémisme. On n’ose même plus répondre au téléphone. »
La défense dénonce un « amalgame » entre le procès de ces deux femmes, présentes à l’audience, et celui qui est fait au système de crèches privées, pris pour cible par le journaliste dans son enquête. Elle va même jusqu’à faire un parallèle entre Les Hirondelles de Kaboul – un roman et un film sur la guerre en Afghanistan où, dans une scène, une femme se fait lapider – et le harcèlement médiatique dont est victime sa cliente. « Je pensais qu’on en avait terminé avec la lapidation, assène Me Fatima En-Nih. Je ne sais pas où on va, où notre pays va, à entendre constamment en boucle que les gens sont coupables avant d’avoir été jugés. »
Les avocats des familles vont dans le même sens : il s’agit du procès des deux femmes et non celui du groupe. « Il n’est pas question ici de vengeance, de lapidation ou de récupération médiatique », souligne Me Patrick Lambert. En revanche, ils appellent à ce que justice soit rendue après plusieurs années d’attente. « Cela fait 1 215 jours que les victimes sont anxieuses et qu’elles attendent », ajoute Me Alexandre Schmitzberger, qui a déposé plainte en parallèle contre le groupe People & Baby pour maltraitances contre son propre enfant à Metz. « Personne ne va bien dans cette affaire, argue-t-il contre un renvoi. Il faut la juger pour que l’on puisse tourner la page. »
« Derrière ces dysfonctionnements, c’est le procès de People & Baby »
La procureure rappelle, elle aussi, qu’il ne s’agit pas de « faire procès du système des crèches privées ». De fait, le groupe People & Baby n’est pas mis en cause dans ce dossier et seules les responsabilités individuelles des deux prévenues doivent être examinées. Après délibération, la demande de renvoi est rejetée, mais l’une des parties civiles demande la tenue de l’audience à huis clos. L’affaire concernant des mineurs, c’est accepté. La médiatisation prend fin : les journalistes et le public doivent quitter la salle.
Interrogé par Le HuffPost à la sortie de la chambre, le journaliste Victor Castanet élude les attaques de la défense à son sujet. « Dans mon enquête, je raconte les faits avec des témoignages des familles, des éléments du dossier. Je ne donne pas le nom de ces personnes, justifie-t-il. Et mon sujet, c’est toujours un sujet de système (...). Derrière ces dysfonctionnements, c’est le procès de People & Baby. Comment un groupe réagit ou ne réagit pas à des faits qui sont remontés. »
Pour lui, la médiatisation de cette affaire est d’autant plus nécessaire que le groupe de crèches privées tente, par le biais de plaintes en diffamation, de faire taire les familles qui ont parlé publiquement. « Ça montre l’attitude d’un groupe face à des alertes. Au lieu de mener des audits et des enquêtes internes, à chaque fois il y a eu une réaction extrêmement brutale à l’égard des familles », souligne le journaliste.
Le procès s’est poursuivi à huis clos, sans la présence des journalistes et du public. On ne sait pas si la défense a elle aussi invoqué le « système » People & Baby, cette fois-ci pour dénoncer les conditions de travail des deux salariées. Mais d’autres affaires de ce type devraient bientôt arriver devant les tribunaux.
Lundi soir, le parquet a requis six et 12 mois de prison avec sursis à l’encontre des deux femmes et demandé au tribunal de Lille de décréter une interdiction d’exercer pendant cinq ans. La décision est mise en délibéré au 7 octobre.
À voir également sur Le HuffPost :
Maltraitance des enfants et des tout-petits, ces signes qui doivent alerter selon un psychiatre
Gouvernement de Michel Barnier : l’absence d’un ministère dédié au Handicap ne passe pas inaperçue