Les cours d’empathie généralisés dans les écoles en France à la rentrée 2024, en quoi consistent-ils ?
ÉDUCATION - La mesure était dans l’air depuis plusieurs jours, Gabriel Attal l’a confirmée mercredi 27 septembre lors de la présentation du plan interministériel contre le harcèlement scolaire : les « cours d’empathie », appelés également des « cours du respect de soi et de l’autre », seront généralisés progressivement dans les écoles françaises dans moins d’un an.
« La France va inscrire dans le cursus scolaire des cours d’empathie, sur le modèle de ce qui existe dans d’autres pays, notamment au Danemark. (...) Ces compétences feront désormais partie officiellement des savoirs fondamentaux de l’école » a détaillé le ministre de l’éducation, expliquant que ces nouveaux cours seront donnés en plus des apprentissages classiques tels que la lecture, l’écriture et les mathématiques.
« Ce sera inscrit au programme, et je recevrai dès demain le président du conseil supérieur des programmes pour le saisir de ce chantier, en vue d’une pleine entrée en vigueur à la rentrée 2024 », a précisé Gabriel Attal, comme vous pouvez le voir dans l’extrait vidéo ci-dessous.
Plan de lutte contre le harcèlement scolaire: Gabriel Attal annonce la mise en place de "cours d'empathie" à l'école pic.twitter.com/0HrJWJMZ2T
— BFMTV (@BFMTV) September 27, 2023
« Mais nous n’attendrons pas la rentrée 2024 pour avancer. Dès la rentrée de janvier 2024, après les vacances, il y aura une école pilote par département, qui s’engagera dans les cours d’empathie, de respect de l’autre, de tolérance, sur le modèle de ce qui existe dans d’autres pays, où nous avons constaté ces dernières années que le harcèlement scolaire s’est effondré grâce à cette stratégie », a ajouté le ministre.
Une méthode déjà testée en France
Comme Le HuffPost vous l’expliquait dans cet article, de tels cours sont en effet proposés en Finlande et au Danemark. Ils appliquent une méthode appelée « Fri for Mobberi », qui a été mise en place progressivement à partir de 2005 au Danemark. Comme l’a décrit aussi au HuffPost une enseignante danoise, elle est axée autour de quatre valeurs fondamentales qui sont enseignées dans des moments dédiés, et même au-delà, dans tous les temps de l’enseignement : la tolérance, le respect, le soin et le courage.
En France, des cours fondés sur « Fri for Mobberi » ont déjà été testés ces derniers mois dans des écoles parisiennes. « C’est un peu réducteur d’appeler ça des ‘cours d’empathie’, c’en est l’une des composantes, mais le but est de travailler sur la dynamique de groupe et la communauté tout en développant les compétences socioémotionnelles des enfants », précisait auprès du HuffPost Margot Neuvialle, coordinatrice du programme pilote mis en place par la Ligue de l’enseignement de Paris.
Entre la rentrée 2022 et 2023, ce sont 18 écoles maternelles du 18e arrondissement de Paris et de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) qui l’ont testé avec succès. La méthode a ensuite été déployée en cette rentrée 2023 dans de nouvelles écoles des 19e et 20e arrondissements de Paris, ainsi qu’à Éragny (95) et Montreuil (93). Un projet pilote en crèche a également été lancé cette année dans le 18e et à Saint-Ouen.
Si on ne sait pas encore comment seront appliqués précisément ces cours dans les écoles françaises à partir de la rentrée de septembre 2024, les premiers cours donnés lors de ces programmes pilotes donnent des indications. Dans ces écoles, la méthode « Fri for Mobberi » s’est appliquée en proposant de lutter contre le harcèlement scolaire grâce à des moments concrets de discussions pédagogiques avec les élèves, des ateliers et des outils adaptés.
Planches de discussions et mascottes
Les enseignants des écoles pilotes ont par exemple utilisé dans plusieurs classes une mascotte - l’ami ours - pour incarner les valeurs du respect, de la bienveillance, de la tolérance et du courage. Les enfants peuvent aller le voir en cas de chagrin, et pour lui raconter ce qu’il se passe ou le donner à un camarade pour le consoler.
Les enseignants concernés ont aussi utilisé des planches de discussions. « Ce sont des planches cartonnées format A3, où au recto il y a une image, un dessin d’une situation quotidienne que les enfants pourraient rencontrer à la maternelle, par exemple un copain qui se fait un bobo ou un enfant qui gribouille sur le dessin d’un autre, précise au HuffPost Margot Neuvialle. Et puis au verso il y a des propositions de questions pour les professionnels, pour travailler le vivre-ensemble à l’école. »
Autre exemple donné : l’image d’une petite fille habillée en salopette verte, face à trois autres qui sont en robe et qui l’excluent de leur groupe. « L’idée c’est de faire prendre conscience aux enfants de tout ce que ça implique, le fait d’être dans un groupe, avec des habitudes et des intérêts en commun », explique la responsable à la Ligue de l’enseignement de Paris.
Parmi les premiers bénéfices notés par la coordinatrice du programme à la Ligue de l’enseignement de Paris dans les écoles tests : un impact positif sur le développement du langage oral des enfants, et le dialogue. « On a vu des petits s’identifier aux images sur les planches et prendre la parole alors que d’habitude ils ne parlaient jamais, raconte-t-elle. Avant de faire preuve d’empathie, il faut déjà être capable de comprendre ses émotions et de lire celles de l’autre ».
Une adaptation nécessaire
D’autres outils pédagogiques ont été fournis pour tester la méthode, et certains ont mérité des adaptations par rapport à la méthode danoise. Les enseignants avaient à leur disposition, dans un kit dédié, des jeux de groupe et un « livret de massage ». « Le terme ‘massage’ n’est pas du tout employé dans un sens thérapeutique, précise Margot Neuvialle. De nombreuses recherches montrent l’importance du toucher, qui permet de libérer une hormone, l’ocytocine, qui permet de favoriser le lien d’attachement. » L’idée n’était donc pas que les enfants se fassent des massages à proprement parler, mais qu’ils s’amusent en dessinant avec leurs doigts dans le dos les uns des autres.
Ces massages n’étaient bien entendu pas obligatoire, mais permettaient aussi de rendre concrète la notion de consentement. Et pour les mettre en œuvre, le livret danois d’où était tirée cette application de la méthode « Fri for Mobberi » a dû être adapté, pour correspondre davantage à la culture française. « On n’a pas le même rapport au toucher qu’au Danemark, souligne Margot Neuvialle qui y a vécu et travaillé pendant sept ans. Là-bas, le toucher est plus libre et plus développé ».
Au Danemark, le programme a été mis en place dans 60 % des crèches et écoles maternelles et 45 % des écoles élémentaires. « Une étude d’impact a été réalisée en 2017 et a montré qu’il existait une corrélation positive significative entre l’utilisation du programme et l’indice d’empathie des enfants, ainsi que la capacité des enfants à gérer les conflits par eux-mêmes », selon Margot Neuvialle.
Ce que confirme l’institutrice danoise interviewée par Le HuffPost, pour qui la méthode a vraiment fait ses preuves avec des différences de comportement entre les enfants qui entrent en primaire après avoir suivi la méthode en maternelle, et ceux qui n’y ont jamais eu affaire. « Lors des conflits, ceux qui ont été initiés à cette approche trouvent plus facilement un compromis et une solution, assure-t-elle. Parce que, quand on est un enfant, l’instinct naturel c’est de vouloir régler un conflit en obtenant ce qu’on veut. Mais ceux qui ont déjà appris cette méthode ont le réflexe de dire ’OK, il faut que je trouve une solution qui me convienne mais qui convienne aussi à mon camarade’. »
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