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Coupe du monde 2022 : pourquoi les paris sportifs sont dans le viseur de la Seine-Saint-Denis

La Seine-Saint-Denis lance une campagne de prévention contre les paris sportifs à l’attention de la jeunesse
(Département Seine-Saint-Denis) La Seine-Saint-Denis lance une campagne de prévention contre les paris sportifs à l’attention de la jeunesse

PARIS SPORTIFS - « Grosse mise, grosse perte, grosse galère ». Ce slogan vous rappelle peut-être quelque chose, mais sonne différemment et c’est normal. À six jours du premier match de la Coupe du monde de football au Qatar, le département de la Seine-Saint-Denis a lancé lundi 14 novembre une campagne de prévention sur les paris sportifs, ciblant avant tout les jeunes des quartiers populaires.

Le département veut marquer les esprits en détournant les codes utilisés par les opérateurs de paris sportifs dans leurs publicités. Ainsi, sur les abribus et panneaux de campagne de Seine-Saint-Denis, « Tout pour la daronne » se transforme en « Retour chez la daronne », « Grosse mise, gros gain, gros respect » en « Grosse mise, grosse perte, grosse galère ». Des histoires qui collent davantage à la réalité des parieurs compulsifs qu’aux rêves que les opérateurs souhaitent vendre dans leurs pubs.

Cette initiative, le département la prise face à une situation inquiétante. Selon les prévisions de l’Autorité nationale des jeux (ANJ), citée par Libération, la Coupe du monde au Qatar sera l’événement sportif où les mises sur Internet seront les plus importantes. Si 72 % des parieurs ont entre 18 et 35 ans, près de la moitié a moins de 26 ans. Et l’âge continue de baisser. Selon l’ANJ, plus d’un tiers des 15-17 ans parient, alors même que cette pratique est interdite aux mineurs. Et selon une étude de Santé Publique France publiée en octobre, sur 100 parieurs sportifs, une quinzaine risque d’avoir une pratique problématique.

Le jeune de banlieue, le candidat parfait

Selon Magalie Thibault, vice-présidente du département de la Seine-Saint-Denis chargée des solidarités et de la santé, interrogée par Libération, « les parieurs sportifs ont perdu plus d’un milliard d’euros en 2021 » et selon l’Autorité nationale des Jeux, sur la totalité des 4,5 millions de joueurs en 2021, seuls 27 500 ont gagné plus de 1000 euros.

« Pour la Coupe du monde au Qatar, l’Autorité nationale des jeux a fait des prévisions sur les mises Internet pour un minimum de 530 millions d’euros, soit 70 % de plus qu’en 2018 », explique Magalie Thibault, qui ajoute : « Au final, c’est toujours le joueur qui perd et l’entreprise qui se fait de l’argent sur son dos. »

Et si les opérateurs choisissent les jeunes de milieux défavorisés comme cibles, ce n’est pas un hasard. Selon une étude de l’ANJ, les jeunes sont bien plus susceptibles de devenir addict  aux paris sportifs que leurs aînés. L’Autorité nationale des jeux prend pour exemple les tendances observées pendant les confinements. 16 % des joueurs de 18 à 24 ans et 14 % des joueurs de 25 à 34 ans déclarent avoir ressenti une perte de contrôle durant le deuxième confinement (contre 2 % des 50 ans et plus). Et les nouveaux joueurs se montrent plus touchés encore par ce sentiment de perte de maîtrise : un quart d’entre eux déclare avoir été dans cette situation au cours du deuxième confinement.

L’addiction aux jeux, une dépendance « catastrophique »

Selon l’Observatoire des inégalités, « près de 60 % de joueurs à risque ou pathologiques ont des revenus mensuels nets inférieurs à 1100 euros et la quasi-totalité a, au mieux, un niveau d’études équivalent au baccalauréat ». Les joueurs aux comportements de jeu excessifs ou à risque modéré sont plutôt des hommes jeunes appartenant à des milieux sociaux modestes.

Comble du cynisme, ce qui fait des jeunes de banlieue de si bons clients est justement leur envie de s’en sortir. « Ces jeunes sont souvent dans des conditions sociales difficiles, dans des familles qui touchent le RSA, par exemple. S’identifier aux personnages des publicités qui, en quelques clics, arrivent à gagner des milliers d’euros et s’émanciper de leur condition, ça fait rêver », résume auprès du HuffPost Armelle Achour, psychologue et présidente de l’association SOS Joueur. « Mais dire dans les pubs que l’on peut devenir riche, fort, le meilleur de tous, en pariant, ce n’est pas les bons signaux que l’on envoie », avertit-elle. D’autant que nombre de ces jeunes vivent encore chez leurs parents et ne comprennent pas encore forcément la valeur de l’argent.

D’autant que pour ces jeunes joueurs, il est très facile de tomber dans la dépendance aux jeux. L’adrénaline, la compétition entre copains, la socialisation par le jeu, l’émulation décuplée lors des matchs, l’enjeu personnel réel... Tout est réuni pour un cocktail menant à l’addiction.

« C’est catastrophique d’être endetté et dépendant aux jeux pour ces jeunes. Ils évoluent dans un milieu social pauvre et ne peuvent donc pas facilement trouver de l’argent pour se ‘refaire’ », regrette Armelle Achour. Il n’est alors pas rare que certains aient recours aux délits comme le vol ou les petits trafics pour se renflouer.

Grosse perte, grosse honte, grosse dépression

L’autre aspect qui inquiète particulièrement l’association, c’est l’impact psychologique. « Nous avons beaucoup de jeunes chez qui les valeurs véhiculées dans la famille sont très ancrées, explique Armelle Achour. Chez certains, jouer de l’argent est interdit car considéré comme un péché. Malgré tout, pour une raison ou pour une autre, ils tombent dans les paris sportifs, deviennent accros et ne peuvent plus s’en sortir ».

Se dévoile alors la dure réalité de l’addiction aux jeux : la honte, aux multiples origines, qui accable le joueur dépendant. On y trouve la honte d’aller contre les valeurs de sa famille, celle de perdre face à ses copains, celle de ne pas arriver à s’émanciper de cette addiction, d’être coincé dans sa dépendance et souvent la honte de finir par voler -parfois sa famille ou ses amis- pour pouvoir jouer encore davantage. Une pression qui, selon notre interlocutrice, peut finir par détruire psychologiquement ces jeunes.

Ce d’autant plus que, dans ce matraquage de publicités auquel on assiste, sont martelés les slogans tels que « Grosse côte, gros gain, gros respect », induisant que si le joueur perd, il n’aura pas droit au respect de ses pairs.

Armelle Achour en a vu des jeunes dépendants. Certains dans des situations dramatiques. « La dépendance peut leur faire tout perdre : logement, travail, famille, amis, leur partenaire. L’addiction les isole, renforce leur solitude et les plonge dans la dépression. Certains en arrivent parfois à tenter de se suicider. D’autres encore n’ont même pas conscience de leur addiction et s’enfoncent encore plus ».

Un phénomène que la Coupe du monde 2022 risque malheureusement de favoriser.

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