Coup de poker ou méthode Coué? Alors que la colère gronde, l'exécutif se projette dans l'après-réforme

Cachez cette crise que je ne saurais voir. En difficulté sur sa très contestée réforme des retraites, l'exécutif veut changer le décor. Quitte à user de la méthode Coué et déclarer comme l'a fait Olivier Véran sur BFMTV-RMC que ce projet de loi est "derrière nous".

Illustration avec Élisabeth Borne. Ce lundi, après une réunion à l'Élysée et à la veille d'une dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, la Première ministre a tapoté quelques signes sur Twitter. Pour évoquer le sujet du moment? Loin de là.

"Nous sommes à la tâche"

La cheffe de Matignon, qui va consulter tous azimuts - la majorité, les oppositions, les syndicats - pendant trois semaines, a préféré afficher sa détermination à "bâtir un programme de gouvernement et un nouveau programme législatif", conformément aux consignes d'Emmanuel Macron.

Pas un mot sur la réforme des retraites donc. La macronie met le cap sur d'autres sujets. Dans son tweet, Élisabeth Borne évoque "le plein-emploi", "la réindustrialisation", "l'ordre républicain", "l'écologie", "la santé" et "l'éducation". Et si jamais le message n'était pas passé, elle conclut: "Nous sommes à la tâche".

L'exécutif verse la même soupe aux centrales. La Première ministre comme le président se disent "à la disposition" de l'intersyndicale pour discuter de sujets relevant des conditions de travail, mais pas de celui des retraites. Le gouvernement refuse d'ailleurs la proposition des syndicats d'avoir recours à une médiation pour renouer le dialogue sur ce projet de loi.

"Délégitimer l'ordre raisonnable"

En attendant, la maison brûle. La neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites - la première depuis l'utilisation du 49.3 - et une autre contre les méga-bassines à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres ont été émaillées de nombreuses scènes d'affrontements violents entre les forces de l'ordre et les manifestants.

Le camp présidentiel renvoie la faute sur les insoumis. Ce lundi, Emmanuel Macron les a ostensiblement ciblés lors d'une réunion à l'Élysée avec les responsables de la majorité présidentielle et les ténors du gouvernement, déclarant:

"Il y a un réel projet politique mené par La France insoumise qui tente de délégitimer l'ordre raisonnable, nos institutions, les outils institutionnels".

Des colères qui vont "bien au-delà de la réforme des retraites"

Beaucoup de macronistes reprennent ce refrain. Ce mardi matin, la députée Prisca Thévenot a ainsi estimé sur France Info que "les insoumis attisent le feu dans le pays", tout en accusant ces derniers de ne pas dénoncer les violences observées lors des manifestations.

De son côté, l'exécutif veut se présenter comme le garant de l'ordre. "Nous sommes et nous resterons le rempart à la violence illégitime et dangereuse", a déclaré Olivier Véran.

En réaction aux différentes déclarations du camp présidentiel, Mathilde Panot a dénoncé une "diversion grotesque". Pour la cheffe des députés insoumis, il s'agit de "changer la discussion dans le pays" afin "qu'on ne parle plus des retraites".

Reste que la dernière mobilisation contre la réforme n'a pas été uniquement marquée par des débordements dans le pays, mais également par son ampleur. Entre 1,089 et 3,5 millions de manifestants ont battu le pavé en France, selon les décomptes respectifs de la police et de la CGT.

Pour autant, Prisca Thévenot, à l'image du président de la République, estime que "les colères exprimées" lors des manifestations vont "bien au-delà de la réforme des retraites".

"Coup de Poker"

En faisant comme si "de rien n'était", l'exécutif prend le "risque de devenir inaudible et de perdre en lucidité", relève Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique sur BFMTV-RMC.

La Première ministre met le cap sur son programme de gouvernement et l'élargissement de la majorité, mais "qui y croit?", questionne notre journaliste, avant de répondre: "Pas grand monde, y compris au sein du gouvernement". Chez Les Républicains, Éric Ciotti a exclu un éventuel ralliement dans les colonnes du Figaro. "Cette question ne se pose pas", selon le président du parti de droite.

"Elle aurait pu se poser au lendemain des dernières élections législatives mais ni Emmanuel Macron ni les Républicains ne l'ont souhaité. Je ne vois pas ce qui changerait cette équation aujourd'hui", conclut Éric Ciotti.

Autrement dit, il s'agit d'une "mission quasi impossible" pour Élisabeth Borne, juge Matthieu Croissandeau. D'après lui, la Première ministre "joue sa survie".

"Tout dépendra pour elle de la suite de la mobilisation, sur laquelle elle n’a pas la main, et des résultats des consultations, sur lesquelles elle mise son va-tout. Ça ressemble à un coup de poker, ou alors à de la méthode Coué".

Article original publié sur BFMTV.com