"Du coup", "en fait", "j'avoue"... Faut-il combattre les tics de langage?
Les tics de langage, expressions ou autres conjonctions en tous genres fleurissent et inondent la langue française. Si ceux-ci se banalisent, faut-il les bannir et s'empêcher de les utiliser?
"Du coup, j'avoue que c'est clair en fait!". Voilà une phrase typique, certes un peu accentuée, que l'on pourrait entendre aujourd'hui à chaque coin de rue. Ces expressions de la langue française, que l'on peut aisément considérer comme des tics voire des erreurs de langage en dépit de leur omniprésence, sont-elles pour autant à bannir de notre grammaire?
Pour Françoise Nore, docteure en linguistique et traductrice, ces habitudes de langage "non seulement ne sont pas utiles, en ce qu'elles n'apportent pas d'informations, mais bien souvent elles sont imprécises".
"Si vous dites, j'ai vu ceci ou cela, et je suis choqué. Mais qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que ça signifie que j'ai eu peur, que je suis impressionnée? Ces expressions n'ont pas de contenu sémantique de sens précis", analyse la docteure en linguistique.
Le tic, symbole d'une appartenance à un groupe
Pour autant, bannir simplement ces tics de langage semble chose vaine tant ces expressions sont répandues. Bertrand Périer, avocat et enseignant spécialisé dans l'art oratoire invité de BFMTV, explique ainsi que l'omniprésence d'expressions de langage a "toujours existé".
Mais pour l'auteur du livre Sur le bout de la langue, paru en 2019, il faut avant tout chercher à expliquer et analyser ces différentes expressions afin de comprendre les raisons de leur utilisation. La première d'entre elles est celle d'une utilisation rassurante pour tout un chacun en termes de sociabilité.
"C'est très mimétique en réalité le tic de langage. Cela signe l'appartenance à un groupe social, ça nous rassure d'employer les mêmes mots que les autres. (...) Donc les politiques ont les leurs, l'entreprise a les siens, les jeunes ont les leur", estime-t-il.
Pour l'expert en linguistique, l'utilisation de ces termes superflus représente aussi "une petite paresse, un moment que l'on s'offre pour ne pas laisser le silence prendre le pouvoir avant la parole".
"Le langage n'a pas toujours pour fonction de communiquer. Parfois, il a simplement pour fonction d'occuper l'espace sonore. On ne veut pas de blanc, on met donc un 'euh', un 'du coup', un 'tu vois ce que je veux dire'", estime Bertand Périer.
Une évolution naturelle de la langue
Ces expressions sont aussi utilisées pour faciliter le commencement d'une phrase, une banalité qui peut parfois s'avérer compliquée pour certains. Le fameux "du coup" en est l'exemple type pour Bertrand Périer.
Cette expression revêt initialement "un sens causal: je suis sorti, il pleuvait, du coup j'ai attrapé un rhume", commence à analyser le spécialiste de l'éloquence. "Là où ça devient absurde, c'est le 'Du coup, tu vas bien?'. C'est le signe de dire qu'il est difficile de commencer une phrase. Le 'du coup' me permet une entrée en matière un peu plus facile", observe-t-il.
Serait-il alors judicieux de vouloir éradiquer ces tics de langage de la langue de Molière? Pour Sami Biasoni, essayiste et docteur en philosophie, c'est un grand non. Selon lui, l'utilisation de ces expressions est perçue comme une richesse, qui permet à la langue de rester "vivace".
"C'est souvent là que se joue la méprise autour de la langue. Les individus ont peur et ça a été beaucoup le cas pour les termes anglais, ou d'origine anglo-saxonne. Que la langue disparaisse dans sa forme, non. Elle s'enrichit, tant qu'on ne force pas la langue", explique-t-il.
Un avis partagé par Bertrand Périer, qui pense lui aussi que que ces tics de langage sont les marqueurs d'une appartenance sociale essentielle à l'être humain.
Article original publié sur BFMTV.com
VIDÉO - "Je fais rire tout le monde avec ça" : Le trouble de langage de Laetitia Casta qui amuse ses proches