Corruption, désordre et carences entravent l'armée afghane

par Hamid Shalizi KABOUL (Reuters) - Les forces étrangères encore présentes en Afghanistan ont subi plus de pertes dans le Helmand que dans tout autre province du pays, et un peu plus d'un an après le retrait de l'essentiel des forces de l'Otan, cette province du Sud afghan risque de passer sous le contrôle des taliban. Le désordre mais aussi la corruption qui règnent parmi les forces armées afghanes et une mauvaise administration des moyens expliquent cette évolution. Le district de Sangin, au nord-est de la capitale provinciale, Lashkar Gah, est le dernier en date à glisser progressivement sous la coupe de la milice islamiste. Sarwar Jan commande un bataillon de la police afghane qui a été en première ligne dans les combats à Sangin et dans le district de Marjah, un autre secteur sur lequel les taliban ont la haute main. Ses propos sont accablants pour les unités de l'armée afghane qu'il accuse d'avoir laissé ses hommes seuls pour combattre. "Lorsqu'il y a une attaque, nous les appelons en renfort mais ils ne répondent pas. Alors, l'état d'esprit de nos hommes, c'est puisqu'ils ne coopèrent pas, pourquoi devrions-nous les aider", dit-il. La situation dans le Helmand n'est pas unique. En septembre, les taliban ont pris pendant plusieurs jours le contrôle de la ville de Kunduz, dans le nord, dont ils avaient chassé des forces de sécurité démoralisées et désorganisées. Il a fallu l'intervention des forces américaines encore déployées dans le pays pour reprendre la ville. Mais dans le Helmand, des unités entières ont dû se battre des mois durant sans renfort ni appui logistique adéquat. Du fait de la corruption, du matériel a disparu et certaines unités sont en sous-effectifs, conséquence d'une pratique connue sous le nom de "soldats fantômes" - des déserteurs qui ne sont pas signalés pour que leurs supérieurs puissent empocher leurs soldes. Ataullah Afghan, membre du conseil provincial du Helmand, évoque ainsi un bataillon censé compter 400 hommes mais où il n'en reste plus que 150 environ. "Nous sommes confrontés à des failles du renseignement, à un manque de coordination et à une énorme corruption liée à la vente de carburants, aux 'soldats fantômes' et à bien d'autres choses", dit-il. ÉPARPILLEMENT DES CENTRES DE DÉCISION Bastion de longue date des taliban, haut lieu de la production d'opium qui participe au financement du mouvement islamiste insurgé, le Helmand n'a jamais été facile à contrôler. Mais un faisceau d'intérêts divergents et d'ingérences politiques a rendu la situation impossible, dénonce la députée Shekiba Hashemi, qui siège à la commission parlementaire chargée de la Sécurité. "Le chef de la police a été nommé par une personnalité influente, le gouverneur par une autre et le chef de l'armée par une troisième. La coordination, l'administration et le respect de la hiérarchie ne sont pas efficaces. On ne sait pas qui est responsable et quand les choses dégénèrent, ils commencent à s'en rejeter mutuellement la responsabilité", dénonce-t-elle. Formé à la suite des élections de l'an dernier qui n'ont pas produit de majorité claire, le gouvernement d'unité nationale du président Ashraf Ghani n'a pas pourvu certains postes essentielles et a laissé des responsables locaux dicter leurs choix. "Si leurs exigences concernant des nominations dans la police ou l'armée ne sont pas respectées dans telle ou telle province, ils créent des problèmes", témoigne un ministre sous couvert de l'anonymat. TRANSFERT DE RESPONSABILITÉ ACCÉLÉRÉ Pourtant, lorsque les troupes de l'Otan se sont retirées de la province du Helmand, en octobre 2014, les autorités afghanes et leurs alliés étrangers avaient exprimé l'espoir que les forces afghanes, récupérant les bases laissées par les soldats américains et britanniques, seraient en mesure de faire face seules aux taliban. Il n'en a rien été. Dans un rapport remis la semaine dernière au Congrès des Etats-Unis, le Pentagone a brossé un tableau sombre de la sécurité en Afghanistan, relevant que de janvier à mi-novembre les attaques à Kaboul avaient augmenté de 27% par rapport à la même période de 2014. Les forces de sécurité afghanes ont également enregistré 27% de victimes en plus pendant cette période. Le département américain de la Défense a aussi mis en lumière les problèmes de hiérarchie des forces afghanes de sécurité. Le rapport du Pentagone décrit aussi des unités passives, sur la défensive, se contentant de tenir leurs barrages de sécurité au lieu de prendre l'initiative et de traquer les taliban. Ministre en exercice de la Défense, Masoom Stanekzai, reconnaît que les combats dans le Helmand ont été "difficiles" mais les impute aux effets normaux du transfert de la sécurité aux forces afghanes. "En 2014, en toute hâte, tout le monde disait que nous devions assumer cette responsabilité. En un an à peine, nous l'avons fait", a-t-il dit lors d'une conférence de presse à Kaboul. Les militaires évoquent eux un problème de moyens et réclament davantage d'hélicoptères, de soutien et de renseignement aériens. Porte-parole du 215e corps d'armée basé dans la province, Mohammad Rasoul Zazai souligne ainsi que lorsque l'Otan opérait dans la province, ses troupes disposaient d'une soixantaine d'aérostats de surveillance statique dans le seul district de Sangin qui leur permettaient de suivre les mouvements des insurgés. Aujourd'hui, dit-il, les forces afghanes n'ont qu'un seul ballon de surveillance statique pour l'ensemble de la province. "Nos demandes n'ont pas encore été traitées", ajoute-t-il. (avec Mohammad Stanekzai à Lashkar Gah; Henri-Pierre André pour le service français)