Les professionnels de l'analyse médicale, héros méconnus de la lutte contre le Covid-19

Les tests PCR sont massivement utilisés pour détecter les infections au SARS-CoV-2 (illustration) (Photo : Xinhua/Xinhua via Getty)

Au cœur des stratégies de lutte contre la pandémie de Covid-19, le dépistage constitue un enjeu capital. Depuis le début de la crise sanitaire en France, cette mission est assurée dans des conditions difficiles par les personnels des laboratoires d'analyse médicale, qui se préparent encore à redoubler d'efforts dans les semaines à venir.

Moins visibles que les personnels soignants, ils n'en font pas moins partie des héros de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Depuis le début de la crise sanitaire, en France comme ailleurs, les personnels des laboratoires d'analyse médicale, biologistes, secrétaires et techniciens, sont même en première ligne dans un domaine décisif, le dépistage de la population infectée.

Une “vaste opération de dépistage” aux contours flous

À l'image d'autres établissements du même type, le Centre Henri Becquerel de Rouen (Seine-Maritime) est mobilisé depuis un mois sur ce front. Les activités habituelles de ce Centre régional de lutte contre le cancer ont été mises en attente et l'énergie des employés est orientée vers la réalisation et l’analyse de tests PCR de détection du coronavirus.

Cet investissement total va encore s'intensifier dans les semaines à venir, après l'annonce faite le 6 avril dernier par le ministre de la Santé du lancement d'une “vaste opération de dépistage, qui concernera notamment les Ehpad. “Nous n’avons pas d’idée précise sur l'ampleur de la campagne de tests qu'il veut mener”, tempère néanmoins Pascaline Etancelin, docteur en génétique moléculaire au centre Becquerel.

Les laboratoires agro-vétérinaires en renfort

Dans l'immédiat et à la suite d’un décret publié dans la foulée des annonces d'Olivier Véran, les professionnels de l'analyse médicale vont recevoir l'aide des laboratoires agro-vétérinaires, qui s'étaient portés volontaires. “Actuellement, nous avons une capacité d'environ 300 tests par jour. Le fait de conclure un partenariat avec un laboratoire agro-vétérinaire nous permettrait a minima de doubler cette capacité”, illustre le Docteur Etancelin.

Ce renfort concerne cependant uniquement la phase de réalisation des tests (extraction et mise en évidence de l'ARN viral), qui n'est qu'une partie du processus de dépistage, après les prélèvements et avant l'analyse des résultats. Pour faire en sorte d'augmenter la force de frappe en matière de détection du Covid-19, des moyens vont donc également devoir être déployés pour ces deux autres phases, notamment pour pouvoir effectuer des prélèvements directement dans les Ehpad.

Un besoin en ressources humaines

Dans la perspective d'augmenter la capacité de tests, la question des ressources humaines est cruciale. “Si on veut dépister massivement les Ehpad, on aura besoin de ressources humaines, confirme la praticienne du Centre Becquerel. On pourra en partie en trouver dans les laboratoires agro-vétérinaires, mais par exemple, il va forcément falloir embaucher en secrétariat, parce que les enregistrements d'examens doivent être traités, et on n'a pas la possibilité de le faire avec les moyens actuels.

Cet écueil renvoie plus généralement au problème du financement de la campagne de dépistage, un point sur lequel le gouvernement s'est, là encore, montré très évasif. Pour des structures qui sont parfois, à l'image du Centre Henri Becquerel, des entreprises privées à but non lucratif, il ne peut pourtant en aucun cas s'agir d'une question secondaire.

Notre rôle est aussi important que celui des réanimateurs ou des urgentistes

On ne sait absolument pas quel sera a posteriori le financement qui va nous permettre d'éponger les surcoûts, s'inquiète le Docteur Etancelin. Les kits et la machine d'extraction, c'est nous qui les avons achetés. Je ne sais absolument pas comment nous pourrons avoir un remboursement. On nous demande de compter les surcoûts, de les tracer, d'évaluer combien cela a coûté à l'établissement de réaliser tant de tests, mais on ne sait pas à quoi cela va servir.

Dans ce contexte difficile, les personnels concernés gardent le cap de leur mission capitale. “Depuis un mois, nous n'avons pas compté nos heures, témoigne Pascaline Etancelin. Les équipes techniques font preuve d'une volonté sans faille, tout comme les secrétaires et nous les biologistes. Nous sommes solidaires et nous travaillons dur pour qu'il soit possible de rendre ce service. Nous faisons partie du mouvement global des équipes soignantes, et finalement, notre rôle est aussi important que celui des réanimateurs ou des urgentistes, même si nos métiers sont moins visibles.

Inquiétant embouteillage en perspective

Ce rythme risque cependant d'être difficile à tenir sur la durée, alors que se profile un inquiétant embouteillage dans les services de soins. “C'est un peu le même problème partout, affirme Pascaline Etancelin. Dans les hôpitaux comme dans notre Centre de lutte contre le cancer, on peut temporiser certaines choses pendant deux, trois ou quatre semaines, mais au-delà, ça devient compliqué. Dans notre cas par exemple, la prise en charge des cancers, par définition, ça n’attend pas, donc nous allons être obligés de reprendre cette activité de manière plus soutenue.

De nombreux personnels qui ont été affectés dans les unités Covid vont devoir retrouver leur poste, dans des conditions de fatigue avancée, peut-être parfois de lassitude aussi, complète la praticienne. Forcément, il y a un moment où ça risque de poser problème, surtout d'un point de vue humain.” Déjà usés par un mois de crise sanitaire, les personnels des laboratoires d'analyse médicale se préparent donc à des semaines encore plus difficiles, sans aucune visibilité sur le moyen terme.

Tout ce qui est fait aujourd'hui, c'est dans l'urgence

Est-ce que des moyens humains vont être déployés pour nous prêter main forte ? Est-ce qu'il y aura vraiment une réforme du système de santé ? On peut en douter... J'ai l'impression que tout ce qui est fait aujourd'hui, c'est dans l'urgence, constate le Docteur Etancelin. C'est le message que je donne à mes équipes : les informations que je leur fournis le matin, je ne sais pas si elles seront toujours valables le lendemain. C'est un stress et une angoisse supplémentaires pour tout le monde : tu agis comme tu peux au jour le jour, mais... Franchement, c'est très frustrant.

Une situation d'impréparation qui découle d'orientations stratégiques de longue date. “La politique du gouvernement, comme celle des gouvernements antérieurs, a beaucoup été de taper sur la biologie en baissant de manière constante les tarifications, explique la biologiste. Cela a amené à des flux tendus, des augmentations de cadence et de performance au détriment du développement de nouvelles technologies par exemple. Cette augmentation d'activité, nous l'avons tous absorbée, mais il y a un moment où le gouvernement devra rendre des comptes.

Un enjeu crucial dans la lutte contre les pandémies

On nous annonce que les soignants auront une prime, poursuit la praticienne. À titre personnel, je n'y crois pas, parce que je ne sais pas comment cela pourrait être financé, mais surtout, ce n'est pas uniquement ce que nous demandons. Il faudrait s'orienter vers une redistribution de la santé qui ne soit pas envisagée comme une marchandise, mais comme quelque chose qui, forcément, va coûter de l'argent. Qu'on essaye d'éviter les abus en termes de dépenses, ça se comprend parfaitement, mais dire en permanence qu'il faut que ça coûte moins cher, que les thérapies innovantes coûtent trop cher, c'est une logique dangereuse.

Tout cela coûte cher effectivement, donc il y a probablement un rééquilibrage à faire de ce que l'on entend par ‘dépenses de santé’, avance Pascaline Etancelin. Il faudrait qu'on ne soit pas trop bridé dans la mise en place des actes innovants dont nous avons besoin au quotidien, cette crise le montre de manière très claire. Ce que prouve aussi cette pandémie, c'est que nous, les laboratoires, avons des expertises à tous les niveaux, en virologie, en génétique, qui nous donnent un rôle crucial dans ce genre de crises.” Des crises amenées à se répéter, selon plusieurs spécialistes, alors même que celle-ci est encore loin d'être finie...