Coronavirus : "infaisable", "inefficace", Macron s'est-il emballé sur le traitement anti-Covid ?

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Développé par le laboratoire américain Lilly, le Bamlanivimab bénéficie d'une autorisation temporaire d'utilisation, délivrée par l'Agence Nationale de sécurité du médicament.

Emmanuel Macron est-il allé trop vite au sujet du Bamlanivimab, un traitement monoclonal contre le Covid ? Le président mise beaucoup sur les traitements, rapportait Le Figaro en début de semaine dernière. Au point, selon les Echos, que c'est "le chef de l'Etat lui-même, qui a décelé leur efficacité dans une étude scientifique que ses experts médicaux n'avaient pas pris la peine de relever, laisse fuiter l'Elysée", notait le journal économique.

Mercredi, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) délivrait une autorisation temporaire d'utilisation du Bamlanivimab, le premier anticorps monoclonal contre le Covid autorisé en France, dans un cadre spécifique : une utilisation en monothérapie, c'est-à-dire sans association avec un autre traitement, et avec une dose de 700mg.

"C'est du niveau de l'hydroxychloroquine"

Le lendemain, lors de la traditionnelle conférence de presse hebdomadaire, Olivier Véran annonçait que 83 hôpitaux ont déjà reçu "des milliers" de doses d'anticorps monoclonaux, un "traitement très innovant" qui permettrait de "limiter les risques de survenue de formes graves" chez les publics les plus fragiles. L'idée est séduisante, Emmanuel Macron semble avoir décelé la solution face au Covid.

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Problème, plusieurs médecins mettent en avant l'absence de preuve de l'efficacité de ce médicament. "C'est du niveau de l'hydroxychloroquine. Quelqu'un a dit que ça marchait donc on l'utilise. Sauf que non, ça n'est pas efficace", déplore Florian Zorès, cardiologue membre du collectif du Côté de la Science, qui a épluché les données sur le Bamlanivimab.

"Pas d'effet significatif"

"Les résultats disponibles montrent que pris seul, le Bamlanivimab n'a pas d'effet significatif sur la baisse de la charge virale, ni en 700mg, (condition dans laquelle il a eu l'autorisation temporaire d'utilisation, ndlr) ni pour n'importe quelle dose testée", nous explique Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie clinique du CHU de Bordeaux, qui dénonce "la précipitation" des autorités à autoriser ce traitement.

Car pour l'instant, les données sont encore très partielles, seuls les résultats d'une étude de phase 2 ont été publiés. Or, "le but d'une phase 2 c'est d'étudier la faisabilité d'un traitement, en testant des dosages différents par exemple pour voir s'il y a un début d'effet intéressant. C'est la phase 3 qui est dédiée à l'étude de l'efficacité d'un traitement", rappelle le professeur Molimard, également membre du conseil d'administration de la société française de pharmacologie et de thérapeutique.

Les essais de phase 2 confirmés une fois sur deux en phase 3

Des inquiétudes qui ont poussé la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique à partager ses réserves dans un communiqué publié ce lundi. "Les résultats disponibles ne permettent en rien de recommander l’intégration du Bamlanivimab 700 mg en monothérapie dans la stratégie thérapeutique précoce des formes symptomatiques légères à modérées de COVID-19", écrit la SFPT, qui rappelle qu'"il a été montré qu’en général les résultats prometteurs des phases 2 ne sont confirmés en phase 3 qu’environ 1 fois sur 2".

L'autorisation temporaire d'utilisation du traitement concerne les patients de plus de 80 ans et les personnes atteintes de déficits immunitaires du fait de maladies. "Sauf que le médicament n'a pas été testé dans cette population là, qui est plus fragile", pointe du doigt Mathieu Molimard, qui craint de potentiels effets indésirables graves.

"Les patients sont exposés à un risque d’effets indésirables"

Car si l'efficacité du médicament est clairement remise en cause par les médecins, qui réclament davantage d'études avant d'autoriser le traitement, ils s'inquiètent également des conséquences de l'autorisation d'un tel traitement. "En l’absence de preuve, les patients sont exposés à un risque d’effets indésirables ou d’effets délétères et des ressources de soins potentiellement mobilisées de manière indue tant que l’utilité du traitement est inconnue", alerte la Société Française de pharmacologie et de thérapeutique.

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Lors de l'autorisation délivrée par l'ANSM, il est précisé que le Bamlanivimab doit être utilisé uniquement à destination des adultes non hospitalisés à risque élevé de formes graves du Covid-19. Il doit donc être prescrit par un médecin hospitalier, et administré par voie intraveineuse à l'hôpital, dans les cinq premiers jours ou se manifestent les symptômes.

"C'est infaisable"

Autre inquiétude, la Direction générale de la Santé a signalé que l'utilisation de Bamlanivimab "peut favoriser la sélection des mutations de résistance". En clair, si ce traitement peut neutraliser le variant britannique, il est inefficace contre les variants sud-africains et brésiliens. En luttant contre certaines souches du virus, il permettrait ainsi à d'autres de devenir majoritaires. "C'est prendre un risque individuel, avec les possibles effets indésirables, et collectif, avec ces variants", alerte Mathieu Molimard. En raison de ce risque, les patients doivent désormais être hospitalisés en isolement jusqu'à avoir une PCR négative. "Cela va augmenter la surcharge des hôpitaux, qui sont déjà en tension, avec des patients dont l'état de santé ne nécessite pas à la base d'hospitalisation", ajoute le professeur Molimard.

Au-delà de l'efficacité remise en cause, la mise en application de ce traitement semble difficile depuis le terrain. "Dans la vraie vie, les malades ne se font pas tester dès le premier jour des symptômes. Vous ajoutez à cela que le traitement vise les plus de 80 ans, qui ont davantage de difficultés à se déplacer faire un test, la nécessité de faire un PCR de criblage pour exclure un éventuel variant, le temps de décider d'administrer le traitement et de trouver un centre... administrer le traitement dans les 5 premiers jours des symptômes, c'est infaisable", juge Clarisse Audigier-Vallette, pneumo-cancérologue au centre hospitalier de Toulon.

1000 à 2000 euros la dose

Car tous les hôpitaux ne peuvent pas faire des perfusions d'anticorps monoclonaux. Généralement, les services de cancérologie, ou de greffe assurent de tels traitements. "Depuis 1 an, on a créé une bulle sanitaire autour de ces services pour éviter que le Covid n'y entre, car les patients y sont très fragiles. Et avec ce traitement on va faire sortir des patients de leur isolement, donc contagieux, pour les faire entrer à l'hôpital alors que leur état ne le nécessite pas, et les mettre en contact avec des patients fragiles, non exposés au Covid. C'est ubuesque", dénonce la médecin.

Néanmoins, relève Mathieu Molimard, tout n'est pas à jeter. "Les données de phase 2 montrent qu'il y a peut être un effet intéressant à évaluer avec un dosage différent, 2800mg, et en association à un anticorps. Mais il faut davantage de preuves avant d'envisager ce mode de traitement", rappelle le chef du service de pharmacologie clinique du CHU de Bordeaux. Un traitement à l'efficacité remise en cause et au coût qui n'est pas anodin : entre 1000 et 2000 euros la dose. La France en aurait commandé 100 000 doses.

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