Déconfinement : l'école peut-elle refuser des enfants à partir du 11 mai ?

Les établissements scolaires risquent de devoir refuser des enfants pour pouvoir respecter le protocole sanitaire, mais en ont-ils le droit ?
Les établissements scolaires risquent de devoir refuser des enfants pour pouvoir respecter le protocole sanitaire, mais en ont-ils le droit ?

Si les établissements scolaires vont rouvrir progressivement à partir du 11 mai, ils ne pourront probablement pas accueillir tous les élèves, en raison d’un protocole sanitaire strict. Ce qui risque de poser un problème de légalité.

Comme l’a annoncé Emmanuel Macron dès le 13 avril dernier, les établissements scolaires vont - en partie - rouvrir leurs portes à partir du 11 mai. Dimanche 3 mai, la version officielle et définitive du protocole sanitaire a été dévoilée. Ce document de 54 pages dresse les dispositions à prendre pour que les écoles, puis les collèges, ouvrent en toute sécurité.

Parmi les règles, celle de n’accueillir qu’un nombre restreint d’élèves par salle de classe pour pouvoir respecter la distanciation sociale. Ce qui risque de s’accompagner, logiquement, de la nécessité de faire des choix quant aux élèves qui reviendront dans les locaux et ceux qui poursuivront l’enseignement depuis chez eux.

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Un choix nécessaire mais pas clairement annoncé

Le protocole sanitaire a été suivi d’une circulaire relative à la réouverture des écoles et établissements et aux conditions de poursuite des apprentissages, dévoilée sur le site du ministère de l’Éducation nationale ce lundi 4 mai. Elle précise notamment que les parents n’ont pas l’obligation de remettre leurs enfants à l’école dès le 11 mai, comme l’avait déjà avancé Emmanuel Macron, mais qu’ils doivent poursuivre l’enseignement à distance. Ce document précise également que certains élèves sont considérés comme prioritaires pour retourner en classe, notamment “les élèves en situation de handicap ; les élèves décrocheurs ou en risque de décrochage ; les enfants des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation”.

Ce qui place donc, sans le dire clairement, les directeurs et proviseurs dans la situation de devoir choisir qui pourra revenir en classe et qui devra poursuivre à distance. Car, concrètement, le protocole sanitaire n’est pas compatible avec un retour de l’intégralité des élèves.

“Si on travaille avec les élèves les plus fragiles, les plus défavorisés, ceux qui ont le moins accès au numérique… ça signifie qu’on acte le fait de dire à d’autres de rester chez eux. Ce serait bien que le gouvernement le dise clairement”, réclamait Bruno Bobkiewicz, proviseur de la cité scolaire Berlioz de Vincennes et secrétaire nationale du Snpden-unsa, lundi 4 avril.

Rupture d’égalité et risque de discrimination

Cette circulaire - ainsi que le protocole sanitaire à respecter - risquent de poser des problèmes légaux, selon maître Valérie Piau, avocate spécialiste en droit de l’éducation. Selon l’article L111.1 du code éducation, l’instruction est obligatoire de 3 à 16 ans, et elle peut se faire pas deux moyens : à l’école ou à la maison sous des conditions bien précises - très différentes de la continuité pédagogique actuellement appliquée.

Lorsque toutes les écoles du pays ont fermé, en raison de la crise sanitaire du Covid-19, la continuité pédagogique est devenue la norme. Le problème, c’est que la réouverture de certains établissements cause une “rupture d’égalité”, comme nous l’explique l’avocate spécialisée, puisque tout le monde n’aura pas l’opportunité de suivre le même système d’éducation.

“Emmanuel Macron a dit que les parents avaient le droit de garder leurs enfants chez eux, mais si l’école ne peut pas les accueillir, ça signifie que certains seront obligés de les garder”, complète-t-elle. La possibilité se transformerait ainsi en obligation. Sans compter que les critères de sélection donnés dans la circulaire peuvent conduire “à des discriminations” selon les interprétations. Autre problème majeur, “une circulaire, c’est un ministre qui donne des instructions à ses services, mais ça ne peut pas modifier une loi existante”, poursuit Maître Valérie Piau.

Une loi manquante

En clair, ce n’est pas légal de refuser l’accès aux bancs de l’école à certains élèves et pas à d’autres, sur des critères qui ne sont encadrés que par une simple circulaire. “Des parents qui n’ont pas le droit de remettre leurs enfants dans les établissements scolaires pourraient saisir le défenseur des droits ou le tribunal administratif”, nous explique l’avocate. Bien sûr, “il reviendra au juge de trancher sur le sujet, puisqu’il n’y a pas de jurisprudence, mais ce flou juridique pose une question de légalité”, précise-t-elle.

Pour la spécialiste, il manque tout simplement un loi qui viendrait encadrer la réouverture des écoles. D’abord en légalisant le fait que l’instruction peut se poursuivre à la maison pour ceux qui sont habituellement scolarisés dans un établissement, même si celui-ci rouvre ses portes. Ensuite, en définissant clairement des critères nationaux pour les enfants prioritaires.

Le problème ne se posera sans doute pas partout, puisque beaucoup de parents n’ont pas l’intention de remettre leurs enfants à l’école avant la rentrée de septembre.

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