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Covid-19 : comment expliquer la détresse des étudiants face aux restrictions sanitaires ?

Les étudiants semblent avoir atteint un niveau de désespoir inédit depuis le début de la crise sanitaire. Aux craintes pédagogiques liées à l’absence de cours en présentiel, s’ajoutent l’isolement extrême et la précarité.

Voilà presque un an que nos vies ont été bouleversées par le coronavirus et par les restrictions sanitaires imposées pour tenter de lutter contre sa propagation. Et une partie de la société ont pu reprendre un semblant d’activité - les écoles et les entreprises sont ouvertes, tout comme l’ensemble des commerces - ce n’est pas le cas pour tout le monde. Stations de ski, restaurants, bars, boîtes de nuit, musées, théâtres, cinémas... Parmi cette longue liste de lieux toujours fermée figurent également les universités.

De quoi rendre la vie dure aux plus d’un million d’étudiants inscrits à la faculté. Selon une étude réalisée par la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes), près de trois étudiants sur quatre se disent affectés sur le plan psychologique, affectif ou physique. Un sur cinq déclare avoir eu des pensées suicidaires pendant le deuxième confinement.

Les témoignages de désespoir affluent sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #etudiantsfantomes. Un abattement qui ne se manifeste pas qu’en ligne. Ces derniers jours, deux étudiants ont tenté de se suicider près de Lyon.

VIDÉO - Crise sanitaire : un étudiant qui souffre de la solitude témoigne

Une période charnière de la vie

Les étudiants “sont les principales victimes collatérales de la crise sanitaire”, estime d’ailleurs le professeur Nicolas Franck, psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier et auteur de Covid-19 et Détresse psychologique. Notamment en raison de leur âge, mais aussi de la période charnière que représentent les études.

“L’adolescence et le début de l’âge adulte, c’est un moment de fragilité. C’est d’ailleurs là que commencent les pathologies en psychiatrie”, nous explique-t-il. À ce moment de la vie, on n’a “pas encore construit sa vie intime, on n’a pas son autonomie financière, ni son futur travail, certains ne savent même pas ce qu’ils veulent faire”, énumère le professeur.

Et cette période de construction et de fragilité se heurte actuellement à bien des bouleversements. Pédagogiques d’une part, et sociaux de l’autre.

Décrochage et perte de qualité

“Ce qui ressort beaucoup, c’est la difficulté à s’accrocher, à continuer de suivre les cours”, nous décrit Mélanie Luce, présidente de l’Unef (Union nationale des étudiants de France) et étudiante en droit. De fait, les étudiants universitaires passent leurs journées face à leur ordinateur, à suivre des cours magistraux et quelques travaux dirigés sur des applications de communication par vidéo.

Si le décrochage est un risque plus important chez les premières années - où les taux de réussite sont d’ordinaire déjà bien plus faibles que le reste du cursus - “l’inquiétude est généralisée”, assure Mélanie Luce. Notamment sur la question de l’apprentissage et de l’insertion dans le monde du travail.

“Un cours en visio ne remplacera jamais un cours en présentiel en qualité, et la colonne de chat de la plateforme ne remplacera jamais la question que vous posez à la fin du cours au professeur”, commente Jacques Smith, délégué national de l’UNI (l’Union nationale inter-universitaire). Il redoute que cette méthode joue sur “la qualité de la formation et la valeur du diplôme”.

Les partiels, la goutte de trop

Et les examens du premier semestre ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Car si le gouvernement avait bien conseillé aux universités de prévoir une session de substitution, afin que les étudiants positifs au coronavirus ou cas contact ne prennent pas le risque de venir passer les partiels et de contaminer leurs camarades, il n’a rien rendu obligatoire.

Or, certains élèves se sont vus attribuer des 0, les forçant à aller aux rattrapages, comme nous le confirment Mélanie Luce et Jacques Smith. Selon ce dernier, le Premier ministre Jean Castex a affirmé, auprès des organisations étudiantes vendredi 15 janvier, que cette situation ne se reproduirait pas au deuxième semestre.

Pas toujours de session de substitution aux partiels du premier semestre.
Pas toujours de session de substitution aux partiels du premier semestre.
La réponse du ministère sur la question des sessions de substitution.
La réponse du ministère sur la question des sessions de substitution.

La précarité augmente

À ces problématiques pédagogiques s’ajoutent des problèmes sociaux. L’isolement, d’une part. Particulièrement marqué chez les étudiants dont la famille et les amis ne vivent pas dans la même ville ou chez les expatriés. “Pour eux, les principaux liens sociaux, ce sont les camarades d’université. Sans ça, ils se retrouvent vraiment isolés”, constate le psychiatre Nicolas Franck.

En plus de l’isolement, souvent dans des logements de petite taille, de plus en plus d’étudiants basculent dans la précarité, voire même dans la pauvreté. “On a perdu nos emplois en mars, beaucoup n’ont pas réussi à travailler cet été. Et ceux qui avaient retrouvé un boulot à la rentrée l’ont à nouveau perdu avec le deuxième confinement”, rapporte la présidente de l’Unef. “La solution, c’est la solidarité familiale, mais nos familles aussi sont touchées par la crise”, complète l’étudiante en droit. “Donc non, on ne peut pas ‘tenir encore’ comme le demande Emmanuel Macron”, poursuit-elle, faisant allusion à la réponse du chef de l’État à Heïdi Soupault, une étudiante de Sciences-Po Strasbourg qui lui avait adressé une lettre.

“La fragilité due à cet âge, combinée à un isolement et un manque de ressources entraîne une grande souffrance”, commente le professeur Nicolas Franck. Pour Jacques Smith, la bascule d’une situation difficile à une situation catastrophique s’est opérée courant décembre. “Les étudiants savent qu’on est plus sur une logique de restriction que de libération et que le retour en cours pour tout le monde, ce n’est pas pour tout de suite”, analyse-t-il.

Le retour en cours, une urgence

Face à la détresse des étudiants, le gouvernement tente d’agir. Lors de la conférence de presse du jeudi 14 janvier, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, a annoncé la reprise, en présentiel et en demi-groupe, des travaux dirigés pour les premières années. Ce qui est loin d’être suffisant pour les étudiants. “L’urgence, c’est d’offrir cette possibilité à tous, que chaque étudiant puisse remettre un pied à l’université”, martèle Mélanie Luce.

“On a fait le calcul, avec les différentes conférences des présidents d’université : si l’emploi du temps est bien organisé, faire revenir chaque élève au moins une fois par semaine en présentiel, ça correspond à une jauge de 25 à 30% de la capacité d’accueil, donc on ne comprend vraiment pas pourquoi ce n’est pas fait”, avance de son côté Jacques Smith. Tous deux sont bien conscients que la situation sanitaire ne permet pas un retour à la normale. “Ce n’est d’ailleurs pas ce qu’on demande”, commente la présidente de l’Unef.

Une lenteur incomprise

“On va observer ce qu’il se passe sur 15 jours, trois semaines, [avec l’ouverture des TD par demi-groupe aux premières années] et puis on espère faire revenir la totalité des étudiants”, a précisé Frédérique Vidal sur BFM TV le 15 janvier. Mais cette lenteur exaspère. D’autant plus que les étudiants de classe préparatoire et de BTS n’ont, eux, pas cessé d’aller en classe depuis la rentrée de septembre puisque les lycées sont restés ouverts.

L’autre mesure, dévoilée par Europe 1 et qui devrait voir le jour dans quelques semaines, c’est la mise en place d’un “chèque psy”, permettant de consulter un psychologue pour trois séances. “C’est un élément de solution”, commente le professeur Nicolas Franck, qui envoie lui-même “beaucoup d’étudiant chez le psychologue”. “C’était l’une de nos demandes”, commente de son côté Mélanie Luce, “mais on voulait que ce chèque s’accompagne d’autres décisions, comme le retour en cours. Cette mesure, toute seule, ne veut rien dire”, insiste-t-elle. Et, si les demandes divergent dans les détails, l’Unef comme l’UNI réclament des solutions rapides contre la pauvreté des étudiants.

Selon Europe 1, Emmanuel Macron devrait aller en personne à la rencontre d’étudiants, ce jeudi 21 janvier. Reste qu’une simple discussion ne parviendra sans doute pas à les sortir de leur détresse.

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