"Mes copines", la comédie sexuelle et féministe qui a révélé Léa Seydoux
Mes copines est un film unique. Non seulement il a révélé Léa Seydoux, mais ce teen movie est aussi l’unique comédie française grand public à aborder frontalement la question souvent taboue au cinéma du plaisir féminin. Sorti en 2006, ce film tantôt potache, tantôt émouvant raconte comment quatre copines - Manon, Djena, Aurore et Marie - vont devoir découvrir l’orgasme pour apprendre à se libérer, et remporter une compétition de danse de haut niveau.
Un film au pitch en apparence improbable, né de la volonté de faire un American Pie à la française. "Pathé voulait que ce soit un événement chez les ados, pour les attirer dans les salles", explique la réalisatrice Sylvie Ayme. "Il y avait un désir marketing très fort. Ce film est avant tout un produit." Christophe Cervoni, producteur du film, assume: "Je voulais faire de l’entertainment français pour les jeunes filles! À l’époque, il y avait un film français qui n'avait pas mal marché, mais qui était pour les garçons, Sexy Boys. J'ai proposé de faire Sexy Girls."
Jérôme Seydoux, grand patron de Pathé, est séduit par le concept, et s’engage très tôt, bien avant qu’un casting soit trouvé. Christophe Cervoni engage une scénariste, Joanne Giger, qui trouve le canevas: "Je voulais parler de l'orgasme féminin. Je me suis beaucoup inspirée de mes copines et des problèmes qu’on pouvait avoir quand on avait 16, 17, 18 ans. J’y ai mis beaucoup de souvenirs." "On voulait montrer que quand on prend du plaisir, la vie est plus simple, on peut s’épanouir. C'est une idée toute bête qui est valable pour chacun d’entre nous", ajoute Christophe Cervoni.
"Un film qui fasse rêver et rire les adolescentes"
Une idée simple, qui anticipait pourtant d’une dizaine d’années une thématique récurrente des séries contemporaines - et qui au centre du Regard féminin, manifeste de l’universitaire Iris Brey pour un cinéma libéré d’un regard exclusivement masculin: "Ce n’était pas notre idée d’être avant-gardiste. On voulait être populaire”, répond Christophe Cervoni. "On voulait aborder ce sujet sans se moquer, mais avec humour, légèreté", ajoute Joanne Giger.
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Pour la mise en scène, ils font appel à Sylvie Ayme: "Ils cherchaient quelqu’un qui soit capable de parler aux ados et de faire un film d’adolescentes, qui les fasse rêver et rire", se souvient la réalisatrice, alors connue pour la série Sous le Soleil. Elle est séduite par ce projet qui a su trouver un juste milieu entre la comédie trash et la comédie romantique, en proposant des portraits réalistes d’adolescentes.
Le personnage d’Aurore (Léa Seydoux), "une gamine assez abîmée par l’absence du père", "déjà très mûre pour son âge", la frappe particulièrement: "C’est important dans la comédie d’avoir des personnages qui se rapprochent du réel", analyse la réalisatrice. "On voulait que les ados se reconnaissent vraiment, non seulement dans des scènes fictives et amusantes, mais aussi dans quelque chose de plus profond avec des problématiques qui les concernent directement."
"En danse, Léa n’était pas aussi bonne que les autres"
Pour trouver les quatre copines. Sylvie Ayme rencontre des milliers de jeunes filles. "Elles n’avaient pas forcément l’expérience du sexe, mais elles avaient déjà beaucoup d’humour sur le sexe!" Son choix se porte sur Léa Seydoux (20 ans), Stéphanie Sokolinski, alias Soko (20 ans), Anne-Sophie Franck (19 ans) et Djena Tsimba (16 ans). En découvrant ce scénario un peu osé, Djena Tsimba a "envie de pleurer": "Je me suis demandé comment mes parents allaient réagir en découvrant le film."
La présence d’une femme à la mise en scène rassure la jeune actrice. Encore adolescente, elle doit faire face à des actrices déjà majeures, et plus expérimentées qu’elle. "J’étais la plus jeune et je devais faire leur cheffe! J’étais en panique. Je ne connaissais rien de ce que cette Djena-là avait vécu! Ce n’était pas du tout un rôle fait pour moi à la base." Elle avait en effet passé le casting pour apparaître juste comme danseuse. Elle s’était ensuite retrouvée en lice pour le rôle d’Aurore, alors que Léa Seydoux était pressentie pour celui de la danseuse qui apprend aux héroïnes les mystères de l’amour. Un rôle que Léa Seydoux avait dû céder à Djena Tsimba: "En danse, Léa n’était pas aussi bonne que les autres", confie Christophe Cervoni.
Déjà très mûre en termes de jeu, Soko était "la plus libérée" de la bande, se souvient Sylvie Ayme. Dès le casting, elle s’était démarquée: "Elle est la seule à avoir osé faire un orgasme, et à avoir su le rendre drôle!" La réalisatrice loue son énergie et sa créativité: "Elle a beaucoup influencé le film. Il y avait plein de trucs qu’elle trouvait et que je lui prenais. Elle s’est positionnée en leader dans le quatuor. Elle les entraînait. Elle a été formidable." Léa Seydoux, elle, est moins appréciée. "Ça a frotté entre elle et Soko", confirme Joanne Giger. "J’ai le souvenir de Léa comme de quelqu’un qui a besoin de son espace, qui a sa vie à elle, qui n’a pas besoin des autres."
"On s’est dit que Léa pouvait devenir une star"
Le mot "lunaire" revient beaucoup pour la décrire. "Elle énervait les techniciens. On venait de la préparer pour une scène puis elle s’allongeait. Elle ne faisait pas attention à ses cheveux et à son maquillage. Elle n'était jamais dans sa marque. Pour la danse, elle a eu les plus grandes difficultés pour apprendre à danser", indique Sylvie Ayme. "Comme elle était complètement à côté de la plaque, elle était un peu devenue le bouc-émissaire du tournage. Il a vraiment fallu que je mette le holà pour qu’elle ne le soit pas totalement."
Pour autant, la réalisatrice a bien vu une star naître sur son plateau: "Ce n’est pas quelqu’un qui était dans la grande maîtrise de son corps. Ce n’est pas une grande technicienne. Elle est dans la spontanéité de son corps. Elle se laisse complètement nourrir. Elle devient ce que le réalisateur veut. C’est pour ça que je savais que ça allait marcher pour elle."
Et c’était une évidence quand elle la regardait dans l’œilleton de la caméra: "Quand la caméra se mettait sur elle, il y avait cette présence extraordinaire. J’ai tout de suite senti que cette fille était extraordinaire. Je lui ai dit de s’accrocher." Les autres aussi avaient repéré son potentiel. "Léa avait un truc, elle avait une aura", indique Djena Tsimba. "Avec Matthias, l’autre producteur, on s’est dit qu’elle pouvait devenir une star", assure Christophe Cervoni.
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Sur le tournage, Sylvie Ayme prend son temps, peut-être un peu trop au goût de ses producteurs, afin qu’une réelle complicité se crée entre ses actrices. Sylvie Ayme prend ainsi une après-midi pour tourner une scène où elles découvrent l’épilation à la cire. Après dix-sept prises, l’alchimie est là: "Il fallait que leur relation sonne vrai. Le scénario avait un côté artificiel avec ce concours de danse. On savait qu’elles allaient gagner... La force du film devait venir de ce quatuor de jeunes filles." "Les comédiennes ont très bien fonctionné entre elles", se félicite Joanne Giger. "Il y a de la complexité. Ça m’a fait plaisir. C’était le but. Sylvie a créé quelque chose d’assez fort: l'alchimie se voit à l’écran."
Un four
La sortie est loin d’être amicale. Jérôme Seydoux, fan du film, demande à son service marketing de "mettre toutes les forces de Pathé" - "et ce n’est pas parce qu’il y avait une Seydoux [Jérôme Seydoux est le grand-père de Léa Seydoux] dans le film: il avait juste beaucoup aimé le film", précise Christophe Cervoni. Une grosse couverture médiatique est imaginée, avec le magazine Girls infiltré sur le tournage et un blog tenu tout du long par Joann Giger.
Malgré les efforts de Pathé, la presse regarde avec méfiance ce teen movie, genre qu’elle encense rarement, qui plus est lorsqu’il est pratiqué par des Français. Les télévisions, indispensables à la vie médiatique d’un film aussi modeste, boudent Mes copines, à l’exception de Tout le monde en parle, le fameux talk-show de Thierry Ardisson alors en bout de course. "Laurent Baffie avait bien aimé le film et il avait invité les quatre actrices", rapporte Sylvie Ayme.
Sur le plateau, Ardisson lance une série de questions inappropriées aux comédiennes. Djena et Soko le remettent à sa place. Vexé, le présentateur coupe court à l’interview et il les vire de l’émission. "Ça n’a pas été monté. On a loupé le moment où on aurait pu avoir un petit buzz", déplore la réalisatrice. Sorti dans 200 salles le 21 juin 2006, Mes copines est un four, avec à peine 100.000 entrées. L’idée d’en faire un contre-programme de la Coupe de Monde de football est un échec:
"Ils voulaient attirer celles qui ne regardaient pas le foot. Sur l’affiche, c’était ce qu’il y avait d’écrit: 100% filles, interdit aux garçons. Ça n’a pas marché. Le jour de la sortie, je suis allée en salle. J’étais quasiment toute seule dans la salle. La personne à côté de moi envoyait des textos. Les gens n’étaient pas intéressés par le sujet, les parents choqués par le film n’avaient pas envie de parler de ça avec leurs enfants et les filles ne se sont pas jetées sur le film."
"Léa a très vite craché sur 'Mes copines'"
Selon Christophe Cervoni, la multiplication des supports pour la promotion a été contre-productive: "À un moment, on ne savait plus si c’était un film ou un blog. Je pense que Pathé a beaucoup appris en sortant le film. La date de sortie n’a pas été suffisamment martelée dans les médias." Pour Sylvie Ayme, dont c’est l’unique film, la situation est douloureuse. Si Soko rebondit assez rapidement, Anne-Sophie Franck et Djena Tsimba, aujourd'hui journaliste à BFM Paris, s’éloignent progressivement du cinéma.
Devenue une star mondiale, et l’unique actrice de l’histoire à remporter une Palme d’or (qu'elle partage avec Adèle Exarchopoulos), Léa Seydoux "a très vite craché sur Mes copines", regrette Sylvie Ayme. Elle renie le film et refuse d’en parler en interview. "Je ne lui ai pourtant pas mis une arme sur la tempe pour qu’elle fasse ce film!", s’indigne la réalisatrice. "Elle ne peut pas dire qu’elle regrette d’avoir fait ce film alors qu’elle m’attendait à la sortie du casting pour me dire presque en pleurs qu’elle voulait absolument le faire, que c’était le film de sa vie! C’est d’ailleurs sa motivation qui m’a motivée à la choisir."
Mes copines jouit depuis une quinzaine d’années d’un succès discret. "C'est le film que j’ai le plus vendu à la télévision", confirme Christophe Cervoni, désormais le producteur des comédies de la "Bande à Fifi" (Babysitting, Alibi.com, et sa suite). "Mes copines passait sans arrêt sur les chaînes câblées et cartonnait sur NRJ 12. Il est aussi visible sur YouTube. On ne se bat pas pour l’interdire. Ce n’était pas un succès en salle, mais le film a été vachement vu. Je pense qu’il a marqué une génération."
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