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Congrès de l'AMF: la succession de François Baroin, révélatrice du climat politique

François Baroin, président de l'Association des maires de France, photographié au Sénat en juillet 2017 (illustration) (Photo: Charles Platiau via Reuters)
François Baroin, président de l'Association des maires de France, photographié au Sénat en juillet 2017 (illustration) (Photo: Charles Platiau via Reuters)

POLITIQUE - Une succession à couteaux tirés. À partir de ce mardi 16 octobre, les 34.965 membres de la (très) influente Association des maires de France (AMF) doivent désigner celui qui succédera à François Baroin, après 7 ans à la tête de l’association. Et pour la première fois depuis de nombreuses années, deux listes s’affrontent sur fond de règlements de comptes politiques.

La première liste est celle menée par David Lisnard. Vice-président sortant de cette association non-partisane, le maire LR de Cannes, connu pour ses positions (très) droitières, fait équipe avec le socialiste André Laignel, actuel premier vice-président délégué de l’AMF.

Un ticket transpartisan qui bénéficie de la bénédiction du président sortant et qui a à cœur de préserver “l’indépendance” de cette structure qui a eu des relations compliquées avec Emmanuel Macron, jugé trop éloigné des besoins et des préoccupations des élus locaux.

L’ombre de la majorité

En face, se tient la liste de Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux dans les Hauts-de-Seine. Actuellement secrétaire général de l’association, l’homme à la moustache en guidon fait valoir ses 20 ans d’engagement au sein de l’AMF. Pour autant, il y a bien un enjeu politique derrière cette bataille, l’ombre de la majorité présidentielle planant derrière cette liste jugée “macron-compatible”, ce que l’intéressé conteste.

“Les deux tiers de la liste de Philippe Laurent, ce sont les nuances du gris du macronisme, qui se tirent la bourre pour se placer si Macron est réélu. Ce que je découvre, c’est que je prends du plaisir à faire campagne, alors que toute la machine gouvernementale est derrière Philippe Laurent”, a récemment grincé dans Le Monde David Lisnard.

Des accusations que réfute le principal intéressé. “Entendre cela, c’est considérer que les maires qui m’ont accompagné dans cette aventure sont manipulables. Les maires ne sont pas manipulables”, s’est-il défendu ce mardi sur Public Sénat, assurant pouvoir se montrer “très critique” vis-à-vis de l’exécutif. Une défense qui n’empêche pas de s’interroger sur les liens qui existent entre le centriste et la galaxie macroniste.

Selon Le Point, sa liste a été composée “en lien étroit” avec des personnages clés de la majorité présidentielle, comme Jérôme Peyrat, ex-conseiller politique du chef de l’État désormais au service du patron de LREM, Stanislas Guérini, et de Marc Fesnau, ministre chargé des relations avec le Parlement. Karl Olive, maire de Poissy et soutien actif d’Emmanuel Macron, fait d’ailleurs campagne pour le maire de Sceaux. Si une source de l’exécutif assure au HuffPost que Philippe Laurent n’est “en rien” téléguidé par l’Élysée, la compétition pour la succession de François Baroin prend une tournure très politique.

Le réveil de la guerre de la droite

Il n’en fallait pas moins pour réveiller les vieilles rancœurs. Premier à dégainer, le président de la région Paca, Renaud Muselier. Ce lundi 15 novembre, l’élu LR a appelé à voter pour le maire UDI, et en ayant des mots particulièrement durs à l’égard de son concurrent cannois. Dans un courrier adressé aux maires de sa région, Renaud Muselier affirme que la présidence de l’AMF “ne peut pas et ne doit pas être assumée par un maire qui n’a jamais appelé à voter en faveur des forces politiques républicaines lors des élections régionales en juin dernier”.

Et d’ajouter, cinglant: “voilà pourquoi je vous affirme que le maire de Cannes, du haut de son tapis rouge, niché dans son Palais des festivals, ne pourra jamais comprendre ce que vous et vos concitoyens vivez au quotidien dans vos territoires, dans le monde réel auquel nous sommes tous quotidiennement confrontés”. Ce qui, logiquement, a provoqué les réactions ulcérées des soutiens de David Lisnard, qui ont encore en travers de la gorge le scénario des élections régionales en Paca, où le président sortant a été réélu avec le soutien de LREM.

“La lettre de Renaud Muselier, petit télégraphiste de Macron soutenant le candidat macroniste à l’AMF contre David Lisnard, soutenu par François Baroin, Christian Jacob et Gérard Larcher est honteuse, indigne et doit le conduire à quitter notre famille politique”, a réagi illico le candidat à la présidentielle, Éric Ciotti.

“On est à quelques encablures de la présidentielle, donc les esprits et peut-être la testostérone commencent à se chauffer un peu”, a réagi sur France Bleu, François Baroin, rappelant que sans la crise sanitaire, le Congrès de l’AMF aurait déjà eu lieu. “S’il s’était tenu l’an dernier, j’aurais pris la même décision, puisque ma décision était prise, de ne faire qu’un mandat à la tête de l’AMF. Il n’y aurait pas eu les régionales, et donc il n’y aurait peut-être pas eu les règlements de compte personnels qui sont assez dérisoires, pour ne pas dire plus”, a poursuivi le maire de Troyes.

De Le Foll à Zemmour

Et il n’y a pas qu’au sein des Républicains que l’issue de cette élection divise. Ce mardi 16 octobre, l’ancien ministre de François Hollande, Stéphane Le Foll, par ailleurs maire socialiste du Mans, a fait savoir qu’il désapprouvait le soutien formulé par la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, à l’endroit de David Lisnard. “Homme de gauche, je ne voterai pas pour le maire de Cannes”, a tweeté l’élu PS. Une façon d’atteindre, par ricochet, l’actuel état-major du PS avec lequel il est en désaccord frontal sur la campagne présidentielle.

De l’autre côté du spectre, c’est Éric Zemmour qui s’invite dans le débat. “Si elle élit David Lisnard, l’AMF restera indépendante. Sans quoi, elle deviendra une succursale de l’Élysée. L’Assemblée nationale fait déjà cela très bien, inutile d’en rajouter”, a tweeté le polémiste, soucieux de paraître en phase avec les éléments les plus droitiers du parti de Christian Jacob. Ce qui offre aux soutiens de Philippe Laurent l’occasion de jouer la carte du cordon sanitaire.

“Pour le Congrès des Maires, le candidat LR/PS/EELV reçoit le soutien de Zemmour! Je souhaite beaucoup de courage pour ce grand écart aux élus qui se disent de gauche et qui soutiennent cette liste”, a taclé Laurent Bonnaterre, maire de Caudebec-lès-Elbeuf (Seine-Maritime) et ancienne tête de liste soutenue par la majorité présidentielle pour les élections régionales en Normandie.

Selon un observateur bien informé cité par l’AFP, le match entre les deux candidats à la présidence de l’AMF s’annonce “très serré”, car “on peut imaginer que le maire d’une petite commune ait une préférence pour un président proche du pouvoir d’autant que les sondages donnent Emmanuel Macron à nouveau vainqueur en 2022″.

Quoi qu’il en soit, la teneur de cette campagne inédite, avec des partis traditionnels qui s’unissent en faveur de l’indépendance vis-à-vis d’un exécutif macroniste jugé méprisant envers les élus locaux, une droite qui n’a pas encore réglé ses problèmes internes et ses relations avec l’extrême droite puis une gauche qui affiche ses désaccords en public, offre le spectacle d’une recomposition politique qui n’est pas encore arrivée à son terme. Le résultat du vote, qui a commencé ce mardi après-midi, est attendu mercredi après-midi.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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