Le congé menstruel, une fausse bonne idée ?

Alors qu’une seconde proposition de loi sur ce sujet doit être déposée à l’Assemblée nationale, Le HuffPost s’est interrogé sur les bienfaits réels d’une telle mesure, entre communication politique et nécessité de sensibiliser sur la santé des femmes.

Et si le congé menstruel, dont s’emparent de plus en plus d’entreprises et certaines municipalités, était finalement une fausse bonne idée ? Après une première proposition de loi PS sur le sujet, une seconde, portée par des députés écologistes, va être déposée à l’Assemblée ce vendredi 26 mai. Les deux textes souhaitent faire entrer le congé menstruel dans le Code du travail, avec un avis médical annuel. Mais cette idée, qui semble pourtant consensuelle, ne fait pas l’unanimité, jusque dans les groupes de militantes féministes.

Fin mars, c’est la municipalité de Saint-Ouen qui annonçait mettre en place un congé menstruel pour les agents souffrant de règles douloureuses ou d’endométriose, à l’image de ce qui se fait en Espagne. À Paris, Anne Hidalgo aurait envoyé une lettre à Élisabeth Borne pour lui exprimer son souhait de le proposer à ses équipes.

En avril, l’enseigne Carrefour décidait d’accorder des jours d’absence à ses employées souffrant d’endométriose, en cas de fausse couche ou dans le cadre d’une procréation médicalement assistée (PMA) dès l’été 2023. Une décision applaudie par la Première ministre elle-même, fin avril, qui assurait alors que le gouvernement étudiait « le dispositif » législatif pour « faciliter cet engagement ».

« Politiquement, c’est un enjeu important, souligne Nicole Maggi-Germain, enseignante-chercheuse en droit social qui dirige l’institut des Sciences Sociales du Travail (ISST) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Et c’est aussi une manière de mettre le gouvernement, qui refuse de déposer un projet de loi sur ce sujet, face à ses responsabilités. »

« Un employeur peut préférer choisir un homme »

Mais des voix s’opposent à cette idée. Ce congé supplémentaire pourrait entraîner une « désorganisation » au sein des petites entreprises, s’inquiète la Confédération des PME (CPME). Son de cloche similaire du côté du Medef, qui relève qu’une telle mesure « renverrait l’image que les femmes ne peuvent pas occuper les mêmes postes que les hommes ».

Un risque également pointé par différentes associations féministes. « À première vue, on peut se dire que c’est bien, que cela prend en compte la douleur des femmes, reconnaît Violaine de Filippis, porte-parole d’Osez le Féminisme. Mais cela pourrait accroître les discriminations dont les femmes font déjà l’objet, au stade de l’embauche et de l’avancement de carrière. À compétences équivalentes, un employeur peut préférer choisir un homme. »

Du côté des parlementaires, cette potentielle conséquence négative est rapidement balayée. « Malheureusement, être une femme est déjà un frein pour les carrières, expliquait au HuffPost Fatiha Keloua Hachi, députée PS à l’origine de la PPL. Mais ce dispositif ne va pas concerner toutes les femmes qui sont sur le marché du travail, ce qui va rendre difficile une discrimination à l’embauche a priori, puisqu’il sera impossible de savoir si une candidate a ce problème ou non. Deuxièmement, on sent que la société est prête à lever ce tabou. Et donc, s’il y a discrimination à l’embauche en raison de ce facteur, cela pourra être signalé comme tel. »

Pas sûr que cela suffise à convaincre. « Ça nourrit un discours qui dit que la femme est faible, qu’elle n’est pas adaptée au travail, souligne Mathilde Gaupillat, avocate spécialisée en droit du travail et de la Sécurité sociale. Ça peut avoir un effet boomerang important. Et ce sera très difficile de prouver qu’elles auront été discriminées pour cette raison-là. »

Suppression du délai de carence

Autre question : alors qu’il est déjà possible pour les femmes ayant des règles douloureuses ou atteintes d’endométriose de poser des arrêts maladie, ce congé est-il vraiment nécessaire ? « L’assurance maladie dispose déjà d’outils sur lesquels on peut s’appuyer, confirme la députée PS Fatiha Keloua Hachi. Mais le fait que ce soit inscrit dans le Code du travail implique tout le monde. Il s’agit aussi de visibiliser ces situations »

Invitée de l’émission Dimanche politique sur France 3 le 30 avril, la présidente de la CGT Sophie Binet se montrait, elle aussi, réticente au congé menstruel et suggérait plutôt la suppression des jours de carence, qui peuvent être un frein pour certaines femmes à prendre un arrêt. « Aujourd’hui, en cas d’arrêt maladie, on a entre un et trois jours de carence, où l’on n’est pas payé pour les arrêts maladie. Et le problème, c’est que les règles douloureuses, c’est jamais plus de trois jours d’arrêt. Donc systématiquement, ça va être des jours non payés », estime-t-elle.

Cette mesure est également avancée par certaines associations. « Il faudrait que tous les salariés, hommes comme femmes, soient indemnisés sans carence dès le premier jour, avec éventuellement un plafond de jours par an sans délai de carence », renchérit Violaine de Filippis, porte-parole d’Osez le Féminisme. Mais pour l’avocate spécialisée Mathilde Gaupillat cela ne concernerait finalement que peu de personnes.

« Les délais de carence sont gommés la plupart du temps par les conventions collectives, fait-elle remarquer. Statistiquement, c’est un peu absurde de dire que c’est un frein. » Elle préconise plutôt « des aménagements du travail, qui permettent de faire du télétravail, ou des salles de repos, etc. Des mesures alternatives qui évitent de stigmatiser les femmes. »

« Ce n’est pas normal d’avoir mal »

Et si la réponse aux règles douloureuses et à l’endométriose dans la sphère professionnelle était ailleurs ? « Depuis qu’on est petites, la société apprend aux femmes à minimiser leur douleur et à s’inquiéter plus des autres que d’elles-mêmes, souligne Violaine de Filippis. Le fait de déposer ce type de proposition de loi a le mérite de remettre le sujet sur la table du débat public. Mais renvoyer les femmes chez elles avec leur douleur, ça ne va pas solutionner les problèmes de santé spécifiques des femmes. »

C’est également le point de vue de Yasmine Candau, présidente d’EndoFrance. « C’est bien d’oser parler de règles et de douleurs dans l’entreprise, mais il ne faut pas se contenter de ça », prévient-elle. « D’avoir besoin d’un congé parce qu’on a mal, ce n’est pas normal, estime-t-elle. Si une femme souffre pendant ses règles, avec ce congé, de mois en mois, elle pourrait tarder à se poser la question de pourquoi elle a mal. » Et certaines pathologies pourraient continuer à être invisibilisées.

Si la présidente d’EndoFrance ne veut pas décourager les bonnes volontés, le congé menstruel n’est à ses yeux pas suffisant. « Il faut l’accompagner, l’expliquer, informer pour aller au-delà, souligne-t-elle. Et investir dans la recherche sur la santé des femmes afin qu’elles n’en aient plus besoin. » Il n’existe toujours aucun traitement curatif contre l’endométriose, dont le délai moyen de diagnostic est de dix ans et qui concerne une femme menstruée sur dix.

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