Confronté au retour de la colère des agriculteurs, le gouvernement veut éviter "la prime au bordel"
Une génisse éventrée par un loup déposée devant une sous-préfecture du Doubs, une veillée funèbre tenue à "la mémoire de l'agriculture française" en Corrèze, des chrysanthèmes disposés au pied de croix symbolisant des éleveurs des Vosges abandonnés par le groupe laitier Lactalis...
Ces derniers jours, les agriculteurs ont haussé le ton, prêts à reprendre la route de la mobilisation, après des semaines de mobilisation historique en janvier et février dernier qui avaient tourné au casse-tête pour Gabriel Attal, 3 semaines à peine après son arrivée à Matignon.
"Prêts à repartir, peut-être encore plus forts"
La FNSEA, qui a parfois semblé à la traîne des mobilisations l'an dernier, a accéléré ce mercredi. Son président Arnaud Rousseau a appelé à des actions "dans tous les départements à partir de lundi". La Coordination rurale, aux avants-postes de la colère l'an dernier, a promis de son côté "une révolte agricole".
"On sent bien que les agriculteurs sont prêts à repartir, peut-être encore plus fort que l'an dernier", décrypte l'ancien ministre de l'Agriculture Dominique Bussereau auprès de BFMTV.com.
Il faut dire que des motifs d'épuisement et d'inquiétude se sont déjà ajoutés à ceux existants l'hiver dernier: peur de voir les taxes grimper aux frontières américaines avec l'élection de Donald Trump pour les vignerons français, retour du Mercosur à la Commission européenne, cet accord de libre-échange entre l'Union européenne et certains pays d'Amérique du Sud qui pourrait mettre en péril la filière bovine française...
Le tout sur fond de trésorerie exsangue avec la hausse des prix de l'électricité. Autant de motifs qui poussent à vouloir ressortir les tracteurs dans les rues.
"Tout ça arrive au milieu d'un automne social très chaud"
"Nous sommes très conscients des problèmes que traversent les agriculteurs depuis des mois. Toute notre énergie va à trouver des solutions", défend l'entourage de la ministre de l'Agriculture Annie Genevard.
"Tout ça arrive au milieu d'un automne social très chaud. Ce n'est vraiment pas bon. On doit avancer maintenant", presse un député macroniste qui suit de près le dossier.
Première étape pour faire redescendre la pression: la présence de Michel Barnier à Bruxelles ce mercredi pour rappeler à la présidente de la commission européenne Ursula von der Leyen l'opposition de la France à la signature du Mercosur. Problème pour la France: la patronne de l'institution est bien décidée à soutenir ce texte.
"Le Premier ministre "a rappelé l'opposition absolue du gouvernement vis-à-vis d'un traité qui mettrait en péril nos éleveurs", a bien plaidé ce mercredi midi Maud Bregeon, la porte-parole du gouvernement.
"Cet accord n'est pas acceptable", a tancé de son côté Michel Barnier depuis Bruxelles ce mercredi au micro de BFMTV. Sans guère convaincre les agriculteurs jusqu'ici.
"Totalement arrêter le Mercosur n'est pas possible"
En Haute-Garonne, Jérôme Bayle, figure de la mobilisation de l'hiver dernier dans le Sud-Ouest, a par exemple estimé que la signature de l'accord UE-Mercosur sera l'élément "qui fera exploser la colère".
Michel Barnier, certes très apprécié sur la scène européenne, peut-il vraiment réussir à faire reculer la Commission européenne? L'ex-ministre de l'Agriculture Stéphane Travert en doute.
"Arrêter le Mercosur n'est pas possible mais ce qu'on doit faire, c'est mettre notre veto, faire une coalition de pays qui sont d'accord avec nous et reprendre les négociations sur des bases acceptables", nous explique le député macroniste.
"L'obsession" de la ministre de l'Agriculture à avancer
Seconde manœuvre pour calmer les agriculteurs: tenir les engagements annoncés par Gabriel Attal en février dernier. Si le gouvernement a bien débloqué des centaines de millions d'euros d'aides, les avancées concrètes ont du mal à arriver sur le terrain.
Annoncé à l'automne dernier, la circulaire qui doit permettre "un contrôle administratif" unique, loin des dizaines de contrôles auxquels doivent se plier les agriculteurs, a enfin été publiée.
Quant à la loi d'orientation agricole, stoppée par la dissolution, elle doit arriver au Sénat dans les prochaines semaines, après avoir été votée à l'Assemblée en avril dernier. Mais pour l'instant, Annie Genevard n'est pas en mesure de donner une date précise pour un vote en seconde lecture par les députés.
"Il ne se passe rien depuis des mois"
"L'idée est d'aller très très vite", assure l'une de ses proches. La ministre de l'Agriculture n'a eu de cesse devant le Sénat tout comme devant l'Assemblée de rappeler "son obsession" à avancer.
"On a perdu du temps... Les sénateurs auraient pu s'emparer du texte dès septembre pour qu'on puisse le voter, nous, à nouveau à l'Assemblée. Il ne se passe rien depuis des mois, ce n'est pas normal", s'agace pourtant Stéphane Travert.
"On n'a pas été aidé par la campagne des européennes puis par la dissolution mais ça, ce n'est pas le problème des agriculteurs. C'est inentendable de se dire qu'on n'a pas beaucoup bougé depuis la crise de janvier", s'agace un sénateur macroniste.
L'ombre des élections syndicales
Dernière étape: jouer l'opinion contre d'éventuels blocages alors que le mouvement pourrait rapidement se durcir. À l'approche des élections professionnelles dans le secteur, les syndicats pourraient avoir envie de multiplier les actions coup de poing pour satisfaire leur base.
"Certains syndicats parmi les plus énervés peuvent être encore plus énervés", traduit l'ancien ministre de l'Agriculture Dominique Bussereau.
Dans son viseur: la Coordination rurale aux méthodes parfois musclées comme lors de dégradations au centre-ville d'Agen ou le blocage de Rungis avec des centaines de tracteurs.
"Une prime au bordel"
Deuxième syndicat agricole de France, sa présidente Véronique Le Floch pourrait être tentée de hausser encore le ton pour enfin dépasser la FNSEA, au ton beaucoup plus institutionnel. La Coordination rurale a par exemple déjà appelé à "paralyser et affamer Toulouse".
"C'est un syndicat avec des comités locaux très indépendants. Chacun fait ce qu'il veut. Bon courage pour les ramener à la maison quand il va y avoir une prime au bordel", soupire un ex-conseiller ministériel de Marc Fesneau, aux manettes ministérielles lors de l'éruption de colère en janvier dernier.
Manifestement bien consciente du risque, Annie Genevard a déjà mis en garde sur TF1 les agriculteurs mardi matin. "Pas de violence à l'égard des forces de l'ordre, pas de dégradation des biens publics", "pas de désordre au moment où on approche les fêtes de Noël", a exhorté la ministre.
"C'est pas facile pour vous mais on fait ce qu'on peut"
"L'an dernier, le mouvement a été très populaire auprès des Français. Mais cette année, le contexte est différent, la vie probablement plus difficile pour beaucoup de gens", juge son entourage.
"On va jouer le bras de fer entre l'opinion et les agriculteurs, un peu sur le ton 'c'est pas facile pour vous mais on fait ce qu'on peut. Tout le monde fait un effort donc vous aussi'", décrypte, plus direct, un député du camp d'Emmanuel Macron.
Pour l'instant, le calcul semble raté. 82% des Français interrogés dans un sondage Elabe pour BFMTV affichent de la sympathie voire du soutien vis-à-vis de la mobilisation des agriculteurs qui doit démarrer lundi prochain. Un soutien "quasi intact" par rapport aux actions du début d'année.